Non, la Déclaration des droits de l'homme et la Convention européenne des droits de l'homme ne dispensent pas de payer l'impôt en France

  • Publié le 20 juin 2025 à 12:30
  • Mis à jour le 24 juin 2025 à 13:41
  • Lecture : 6 min
  • Par : Pierre MOUTOT, AFP France
En France, le droit prévoit que toute personne physique ou morale peut être concernée par l'impôt. Des publications sur les réseaux sociaux prétendent pourtant démontrer le caractère "facultatif" de l'imposition en se basant sur des arguments pseudo-juridiques. D'après elles, il serait possible d'échapper à la contribution obligatoire en invoquant des articles de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) ou de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) consacrant notamment l'interdiction du travail forcé ou le consentement à l'impôt. Mais cette idée fausse, qui renvoie souvent à des contenus liés à la mouvance des "citoyens souverains", ne repose sur aucun fondement juridique.

"L'article 4 de la Convention européenne des droits de l'homme nous stipule bien qu'il est interdit aux Etats de pratiquer le travail forcé et l'esclavage (...) et que le citoyen a le droit de consentir de lui-même à la contribution publique", peut-on entendre dans une vidéo partagée pour la première fois en janvier 2025 sur TikTok (archive), et relayée près de 7.000 fois par d'autres utilisateurs. L'audio de la vidéo est régulièrement réutilisé sur le site de vidéos courtes (1, 2), ou sur X (archive), par-dessus des fonds divers, pour assimiler impôt et travail forcé : "(...) on ne peut pas vous forcer à payer un impôt, (...) si on vous oblige à céder une partie de votre travail sous forme d'impôt, c'est du travail forcé (...)".

La voix-off ajoute : "Plus loin dans cet article de loi, on nous dit que le citoyen a le droit de consentir par lui-même à la contribution publique... du coup, on ne peut pas vous forcer à payer un impôt !". Il s'agit en l'occurrence d'une confusion avec un autre texte, l'article 14 de la Déclaration du droit de l'homme et du citoyen

Mais en réalité, aucun de ces deux textes ne prévoit la possibilité pour le citoyen de ne pas consentir à l'impôt.

Image
Capture d'écran réalisée sur TikTok, le 19/06/2025. La croix rouge a été ajoutée par l'AFP.

Une lecture partielle des textes de droit

L'argument erroné selon lequel la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ou la Convention européenne des droits de l'homme rendraient facultatif le paiement de l'impôt repose sur une incompréhension ou une lecture partielle de ces documents. L'article 4 de la CEDH prévoit bien que "Nul ne peut être tenu en esclavage" ou "astreint à accomplir un travail forcé", mais ce chapitre est sans rapport avec l'organisation de l'impôt. Un alinéa du même article prévoit d'ailleurs que n'est pas considéré comme du travail forcé "tout travail formant partie des obligations civiques normales".

L'article 1er du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, adopté en 1952, reconnaît par ailleurs le "droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires (...) pour assurer le paiement des impôts, contributions et amendes". Aucun article de la CEDH n'autorise donc un citoyen à refuser de payer l'impôt.

La Cour européenne des droits de l'homme a réaffirmé à plusieurs reprises ce principe dans ses arrêts, estimant que les obligations fiscales relèvent du devoir civique et ne constituent pas un fardeau disproportionné au regard des droits garantis par la Convention. 

D'autres vidéos TikTok (12) et billets sur les réseaux sociaux (archive ici) totalisant des milliers de partages prétendent s'appuyer sur un autre document constitutionnel, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, pour affirmer le caractère optionnel de l'impôt. Les auteurs de ces déclarations font spécifiquement référence à l'article 14 du texte : "Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée".

Image
Captures d'écran réalisées sur les réseaux X et TikTok le 19/06/2025. Les croix rouges ont été ajoutées par l'AFP

Dans ces contenus, l'expression "consentir librement" est interprétée comme exprimant un droit individualisé à accepter ou non de payer l'impôt, et selon cette logique, l'absence d'opposition vaudrait consentement, incitant les internautes à signifier par écrit leur opposition au prélèvement.

Mais il n'en est rien : l'article 13 du même document consacre le caractère "indispensable" de la "contribution commune", qui doit être "également répartie entre tous les citoyens". Il n'y a jamais figuré la possibilité de s'y soustraire du fait de sa propre volonté.

"Ce texte est systématiquement déformé", signale le service de presse de la Direction générale des finances publiques (DGFIP), le 24 juin à l'AFP : "le 'consentement libre' évoqué ici n'est pas un consentement individuel, mais un consentement collectif, exprimé par l'intermédiaire des représentants élus du peuple".

Les règles, lois, et modalités de recouvrement encadrant l'impôt sont fixées par l'article 34 de la Constitution, comme l'indique le site officiel Vie publique. Celui-ci consacre les principes de légalité et d'annualité, selon lesquelles c'est le Parlement français qui confère au gouvernement le droit de percevoir l'impôt en votant la loi de finances de l'année.

"Citoyens souverains"

Image
Capture d'écran réalisée sur le site "fraudedunomlegal.fr" le 19 juin 2025.

On retrouve dans ces vidéos et billets de réseaux sociaux des éléments caractéristiques de la mouvance informelle des "citoyens souverains" : références à des "normes" juridiques supérieures aux contours flous, illégitimité supposée des lois des États, volonté de se soustraire aux prélèvements obligatoires...

Selon des théories régulièrement citées sur des comptes rattachés aux "citoyens souverains", l'État français n'existerait pas en tant qu'entité publique mais relèverait d'une entreprise de droit privé créée en 1947. Ses adeptes, n'ayant pas consenti à contracter avec cette société, n'auraient alors pas besoin de se soumettre aux lois françaises, évitant ainsi de payer impôts et amendes. 

L'AFP a consacré un article de vérifications à ce sujet, à retrouver ici

Les vidéos et posts en question renvoient souvent vers des sites "d'information", des groupes de partages d'astuces pseudo-juridiques visant à contester la légalité des prélèvements obligatoires, ou à des formations en ligne - payantes - promettant aux utilisateurs des moyens de se soustraire aux taxes ou à leurs dettes. 

"Ces affirmations sont juridiquement infondées, erronées et dangereuses pour les personnes qui y adhèrent, lesquelles s'exposent à de lourdes sanctions, fiscales et pénales", pointe la Direction générale des finances publiques. Le Code général des impôts, qui fixe le cadre juridique de l'imposition, prévoit des majorations du montant dû, puis des poursuites de la part de l'administration fiscale en cas de refus répétés.

"Les contribuables qui refusent de s'acquitter de l'impôt sur la base de ces interprétations s'exposent à différentes sanctions", rappelle la DGFIP, qui distingue : "D'une part, les instigateurs et théoriciens des collectifs de 'citoyens souverains', qui encourent des poursuites pénales pour organisation du refus collectif de l'impôt ou incitation du public à refuser ou à retarder le paiement de l'impôt", selon l'article 1747 du Code général des impôts.

D'autre part "les contribuables qui refusent de s'acquitter de l’impôt en se fondant sur des interprétations fallacieuses du corpus juridique fondant la contribution publique et des théories complotistes, s'exposent à titre individuel à l'application, si le non-consentement prend la forme d'un défaut de dépôt de déclarations fiscales, de majorations de 10 à 80 % pour défaut ou insuffisance de déclaration, voire 100 % en cas d'opposition au contrôle de l'administration fiscale", selon l'article 1732 du CGI.

Le Code pénal prévoit enfin des peines de prison et de lourdes amendes en cas de "manœuvres frauduleuses" visant à se soustraire à l'impôt, ou "d'opposition individuelle" des contribuables aux agents de l'État dans leur mission de recouvrement de l'impôt.

"En définitive, le refus de payer l'impôt, qu'il soit individuel ou collectif, est incompatible avec l'État de droit et constitue une atteinte grave au pacte social et républicain qu'il convient de sanctionner sévèrement", concluent les services de la Direction générale des finances publiques.

Ajout de la réponse de la DGFIP
24 juin 2025 Ajout de la réponse de la DGFIP

Vous souhaitez que l'AFP vérifie une information?

Nous contacter