Cette vidéo est ancienne et n'a pas de lien avec les violences commises contre les civils en RDC

A la mi-février 2025, les combattants du M23 alliés à des troupes rwandaises ont pris le contrôle de Bukavu, grande ville de l'est de la République démocratique du Congo (RDC). Des milliers de civils ont fui cette localité, tandis que d'autres ont été victimes de violences, l'ONU accusant le M23 d'y avoir exécuté des enfants. Plusieurs posts diffusés sur les réseaux sociaux depuis la fin du mois de mars prétendent, vidéo à l'appui, que ce groupe armé et des militaires rwandais ont brutalisé la population congolaise à coup de bâtons. Mais ces images sont sorties de leur contexte : elles datent en réalité de 2018 et ont été prises en Ouganda, où des soldats ont violemment frappé des civils dans les rues de la capitale, Kampala.

Ces derniers mois, le conflit dans l'est de la RDC s'est intensifié : le groupe armé M23 ("Mouvement du 23 mars"), piloté selon des experts de l'ONU par l'armée rwandaise, a lancé fin janvier une offensive d'envergure et s'est emparé en l'espace de quelques semaines des deux grandes villes de l'Est congolais, Goma et Bukavu.

Les dernières violences dans le pays ont fait plusieurs milliers de morts et forcé des centaines de milliers de personnes à quitter leur foyer, selon l'ONU et le gouvernement congolais.

Quelques jours après la prise de Bukavu, le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme a par ailleurs confirmé, le 18 février, des "cas d'exécutions sommaires d'enfants par le M23 après son entrée dans la ville" (lien archivé ici). 

A la fin du mois de février, deux explosions visant un meeting du M23 à Bukavu ont également fait au moins 17 morts et plusieurs dizaines de blessés, dans un climat où règnent toujours la peur et l'incertitude (lien archivé ici). 

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Des cercueils à Bukavu le 4 mars 2025 lors des funérailles des victimes des explosions du 27 février 2025 lors d'une réunion du mouvement M23 (AFP / AMANI ALIMASI)

Depuis la fin du mois de mars, plusieurs publications partagées des centaines de fois sur Facebook et X prétendent dévoiler des images de militaires rwandais ou de combattants du M23, frappant violemment des civils congolais à Bukavu.

"Depuis l’arrivée de l’AFC/M23 à Bukavu, la ville est ingouvernable, les militaires rwandais passent à tabac la population sans aucune raison", avance par exemple une publication Facebook diffusée par une page ivoirienne le 27 mars et relayée plus de 100 fois, vidéo à l'appui (lien archivé ici). 

"Dans leur propre sol , les congolais aujourd’hui colonisés par Les RWANDAIS !! Voila comment les libérateurs M23 traitent nos compatriotes (sic)", soutient un autre post X diffusé plus de 200 fois depuis le 27 mars, en s'appuyant sur la même séquence d'une vingtaine de secondes (lien archivé ici). 

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Captures d'écran prises sur Facebook (à gauche) et X (à droite) le 15 avril 2025 / Croix ajoutées par la rédaction de l'AFP

On y voit un groupe d'hommes en uniforme kaki armés de bâtons, courir et  frapper violemment deux hommes, dont l'un laissé le visage ensanglanté.

Cependant, cette vidéo n'a pas été tournée récemment en République démocratique du Congo. En réalité, elle date de 2018 et montre des militaires ougandais s'en prenant à des civils, a expliqué à l'AFP un journaliste ougandais affirmant être l'auteur de ces images.

Une vidéo filmée en 2018...

Pour les retrouver, nous avons mené une recherche inversée à l'aide du logiciel InVID-WeVerify.

Elle nous a notamment conduit à un tweet du média ougandais NBS Television publié le 26 septembre 2018.

On y reconnaît, au début d'une séquence vidéo d'une quarantaine de secondes, l'homme au t-shirt rouge brutalisé par des hommes en treillis et visible dans la vidéo actuellement diffusée sur les réseaux sociaux (lien archivé ici). 

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Comparaison de deux captures d'écran montrant un tweet du média ougandais NBS Television (à gauche) et une publication actuellement virale sur les réseaux sociaux (à droite)

"VIDEO : Le colonel Charles Okello Egola devant la commission de la défense au sujet de la violence des UPDF, il dit que les hommes en uniforme qui battent les gens sont originaires d'Afrique de l'Ouest et non pas des UPDF", est-il écrit en légende, en anglais, en référence aux Force de défense du peuple ougandais (Uganda People's Defence Force).

...en Ouganda

La même vidéo a été mise en ligne quelques jours plus tôt, le 21 septembre 2018, sur le compte Facebook d'un journaliste ougandais, Canary Mugume, travaillant notamment pour cette même chaîne de télévision, NBS TV (lien archivé ici). 

Dans cette séquence, plus longue, l'homme au t-shirt rouge et au visage ensanglanté est soigné par un autre homme portant un gilet pare-balles floqué de l'inscription "presse".

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Capture d'écran prise sur Facebook le 18 avril 2025 / Visage flouté par la rédaction de l'AFP

"Il s'agit d'une vidéo prise à Kampala, en 2018, lors du retour du leader de l'opposition Bobi Wine, soigné à l'étranger après avoir été torturé par l'armée ougandaise lors d'un scrutin électoral. Les gens s'étaient rassemblés pour l'accueillir, mais l'armée ougandaise a utilisé tous les moyens, y compris la force, pour les disperser", a expliqué Canary Mugume à l'AFP,  le 16 avril.  

"J'ai couvert cet événement, et ces images ont été prises avec mon téléphone", nous a-t-il assuré, rapportant que "cette vidéo a été prise près du poste de police de Kasangati, à Kampala, à proximité du domicile de Bobi Wine".

"La vidéo dans laquelle un certain Peter Ssewankambo, alias Sweet Pepsi, a été battu et pris en charge par un journaliste local s'est déroulée pendant le mouvement de protestation Free Bobi Wine", a confirmé le correspondant de l'AFP basé en Ouganda.

Lewis Rubongoya, le secrétaire général du parti politique National Unity Platform (NUP) -- celui de Bobi Wine -- lui a également assuré le 15 avril que "la vidéo dans laquelle Peter Ssewankambo a été brutalement battu a été prise en Ouganda et non en RDC". 

"Les personnes filmées dans la vidéo parlent le luganda, notre langue locale. Nous pouvons identifier les visages des victimes. Ce sont des Ougandais et non des ressortissants de la RDC", a ajouté Lewis Rubongoya. 

Répression de l'opposition

Un an plus tard, en octobre 2019, l'ex chanteur et opposant politique Bobi Wine partageait sa peine sur son compte Facebook après le décès de  Sweet Pepsi.

"L'année dernière, Sweet Pepsi a été brutalisé par les militaires. Pour s'être joint à d'autres Ougandais afin d'exprimer sa solidarité avec moi et avec notre cause [...] Ces hommes froids et brutaux l'ont laissé saigner abondamment et se sont dirigés vers d'autres cibles", écrivait-il notamment (lien archivé ici). 

Ces violences envers les civils ougandais ont notamment été documentées par l'Institut d'études interculturelles et internationales, rattaché à l'université de Brême en Allemagne, dans un rapport publié en 2023 (lien archivé ici). 

Parmi les noms figurant sur une liste des partisans de l'opposition brutalisés par les forces de sécurité, recensés par le NPU, on retrouve celui de "Hannington Ssewankambo a.k.a Sweet Pepsi" : l'homme au t-shirt rouge dans la vidéo.

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Capture d'écran extraite d'un rapport de l'Institut d'études interculturelles et internationales de Brême

A un an de la présidentielle en Ouganda, plusieurs organisations de défense des droits humains et l'ONU ont exprimé leur inquiétude concernant la répression de l'opposition en Ouganda (lien archivé ici). 

Dix-huit journalistes ont été violemment frappés par des militaires et des membres d'une unité antiterroriste ougandaise, alors qu'ils couvraient une élection locale à Kampala, a dénoncé le 20 mars dernier Reporters sans frontières (RSF).

Si la vidéo que nous vérifions a été tournée dans un contexte de répression en Ouganda, et non pas à Bukavu, les habitants de l'est de la RDC sont toujours victimes des affrontements entre les forces congolaises et le groupe armée M23, appuyé par le Rwanda voisin. 

Depuis janvier, plus de 40.000 Congolais fuyant les violences ont d'ailleurs trouvé refuge en Ouganda, selon l'ONU.

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