Non, l'Angola ne vient pas d'envoyer des troupes dans l'est de la RDC

De violents affrontements se poursuivent dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), opposant les forces gouvernementales à l'armée rwandaise et ses alliés du M23. Sur les réseaux sociaux, des internautes prétendent que les autorités angolaises viennent de voter l'envoi de centaines de soldats dans cette région, où la population civile est obligée de fuir les combats. Ils s'appuient pour cela sur des vidéos montrant des chars et des militaires angolais armés, censées prouver que le déploiement est en cours. Mais c'est faux : l'Assemblée angolaise n'a pas voté l'envoi de troupes ni même évoqué récemment la "situation en RDC", a assuré à l'AFP son service de presse. Par ailleurs, les vidéos invoquées comme preuves datent d'il y a plusieurs années et les voix-off qu'on y entend sont tirées de reportages datant de 2023.

Depuis la prise le 28 janvier de Goma, cœur économique de l'est de la République démocratique du Congo (RDC), le groupe armé antigouvernemental M23 et les troupes rwandaises continuent leur percée dans le pays.

Les affrontements ont repris après un bref cessez-le-feu et ces troupes se sont emparées vendredi de l'aéroport de Bukavu, alimentant les craintes que cette capitale de la province du Sud-Kivu tombe elle aussi (lien archivé ici).

Depuis la récente intensification des combats dans cette zone en proie aux conflits depuis plus de 30 ans, les appels de la communauté internationale à une désescalade se sont multipliés, avec la crainte que le conflit ne dégénère en guerre régionale. Le Burundi, frontalier de la RDC et du Rwanda, a déjà déployé une dizaine de milliers de soldats et environ 2.500 miliciens dans le Sud-Kivu, en appui aux forces de Kinshasa.

L'Angola, qui dirigeait les derniers efforts de médiation entre la RDC et le Rwanda, a lui demandé le "retrait immédiat" du M23 et des troupes rwandaises du territoire congolais au lendemain de la chute de Goma.

Dans ce contexte, des publications diffusées depuis début février prétendent que les autorités angolaises ont déployé des centaines de soldats dans l'est de la RDC, images à l'appui. 

"La présidente de l'assemblée nationale angolaise, et son parlement ont votés [sic] à une unanimité de déploiement [sic] d'un contingent de 400 à 500 soldats dans le Nord-Kivu à l'est de la République Démocratique du Congo", avance par exemple un reels Facebook publié le 2 février et visionné près de 7.000 fois depuis (lien archivé ici). 

"Le gouvernement angolais donne son feu vert à l'intervention de l'armée en RDC, plus de 500 soldats signalés dans les prochaines heures au pays de Lumumba", soutient, de son côté, l'auteur d'un message similaire diffusé sur X (lien archivé ici). 

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Capture d'écran prise sur Facebook (à gauche) et X (à droite) le 10 février 2025

Ces allégations sont accompagnées de vidéos de troupes marchant au pas ou bien transportées sur des chars militaires. Sur certaines images, on voit des soldats arborant le drapeau angolais sur leur uniforme sauter d'un hélicoptère en vol.

Une voix off au ton journalistique commente : "La présidente de l'Assemblée nationale angolaise, Carolina Cerqueira, et son parlement ont voté à l'unanimité le déploiement de 400 à 500 soldats dans le Nord-Kivu, à l'est de la République démocratique du Congo (...) pour stabiliser les zones en proie à la violence". 

Mais l'Angola n'a pas envoyé de troupes en RDC depuis l'invasion de Goma. Ces images datent en réalité de plusieurs années et aucun déploiement de l'armée angolaise n'a été voté par le parlement, a assuré à l'AFP le service de presse de l'institution.

Des images datant de 2021 ou 2023

Pour retrouver l'origine de ces vidéos, nous avons mené une recherche d'image inversée à l'aide du plugin InVID-WeVerify. Nous avons retrouvé certaines d'entre elles dans d'anciennes publications sur X ou Youtube, montrant que ces images sont vieilles de plusieurs années. 

L'extrait montrant un tank sur un monticule de terre rouge a par exemple déjà été publié sur X il y a 4 ans, en mai 2021 (lien archivé ici). Selon l'auteur de la publication, qui contient d'autres clichés du même char, il s'agit de "photos récentes" de canons anti-aériens d'origine soviétique, utilisés par l'armée angolaise "lors d'un entraînement". 

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Captures d'écran prises sur X le 11 février 2025

Un autre plan, montrant lui des militaires avec un drapeau angolais sur leur uniforme, était déjà en ligne sur YouTube il y a près de deux ans, en mai 2023, soit bien avant la chute éclair de Goma et l'exacerbation des violences dans l'est de la RDC (lien archivé ici). 

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Capture d'écran prise sur YouTube (à gauche) et X (à droite) le 11 février 2025

L'AFP n'a pas pu retrouver l'origine exacte de toutes les morceaux de vidéos, mais la plupart présentent des occurrences sur Internet bien avant l'accélération du conflit en RDC en ce début d'année 2025. 

Des commentaires sonores extraits de vieux reportages

Par ailleurs, les deux bandes sonores qui accompagnent les images diffusées sur les réseaux sociaux sont elles aussi datées.

En effectuant une recherche par mots-clés, à partir de phrases prononcées par ces voix-off, nous avons retrouvé les versions originales dans deux anciens reportages. L'un, diffusé par le média Africa24 en mars 2023, l'autre, par Africanews (lien archivé ici et ici). 

"Angola : le Parlement approuve le déploiement de 500 soldats dans l’Est de la RD Congo", titre l'article d'Africa24 dans lequel apparait la vidéo.

Mi-mars 2023, l'AFP avait également documenté le feu vert donné par le Parlement angolais à l'envoi d'un contingent d'environ 500 soldats en RDC, après l'échec d'un énième cessez-le-feu que Luanda avait contribué à négocier entre les troupes gouvernementales et les rebelles du M23 (lien archivé ici). 

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Capture d'écran prise sur le site du média VOA Afrique le 11 février 2025

"La mission des forces armées angolaises n'impliquera pas d'opérations de combat", avait alors déclaré le ministre d'État angolais et chef de la Maison de sécurité, le général Francisco Furtado. Il s'agit "uniquement de superviser le processus de dissolution, de désarmement et de réintégration des forces du M23", avait-t-il poursuivi. Cette opération, lancée en vue de pacifier la région, n'a toutefois pas eu l'effet escompté. 

Pas de vote sur l'envoi de troupes

Pour vérifier qu'aucun envoi de soldats angolais n'a récemment été acté, l'AFP a pris contact avec le service de presse de l'Assemblée angolaise.

"Aucun ordre du jour sur la situation en RDC n'a été sur la table au Parlement", a ainsi assuré Feliciano Ngondi, attaché de presse de l'Assemblée nationale angolaise, le 10 février. "Aucun agenda ni débat" n'a été tenu en ce sens, a-t-il ajouté auprès d'un journaliste de l'AFP sur place. 

L'Angola joue un rôle central de médiateur, nommé par l'Union africaine, pour tenter de faire adopter aux gouvernements congolais et rwandais (lien archivé ici) un processus de paix pour l'est congolais, secoué depuis 30 ans par des violences exacerbées depuis le génocide des Tutsi en 1994. 

Kigali affirme en effet vouloir lutter contre des groupes armés dirigés par d'ex-responsables du génocide qui se seraient réfugié côté congolais et menaceraient la sécurité du Rwanda. De son côté, Kinshasa accuse le Rwanda de vouloir notamment faire main basse sur les nombreuses richesses naturelles de la région, ce que Kigali dément. 

Mais le conflit a connu un véritable tournant avec la prise éclair fin janvier de la grande ville de Goma, capitale de la province du Nord-Kivu. Depuis, le groupe armé M23 et son allié rwandais progressent dans la province voisine du Sud-Kivu, au point de prendre vendredi 14 février l'aéroport de Bukavu, capitale de la province et cité d'un million d'habitants. 

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Des déplacés de guerre montent à bord de camions pour quitter les camps de Goma le 2 février 2025. (AFP / ALEXIS HUGUET)

La prise totale de Bukavu, qui était déjà tombée aux mains de soldats dissidents de l'armée congolaise en 2004, donnerait le contrôle total du lac Kivu au M23 et aux troupes rwandaises.

A Goma, la situation humanitaire s'aggrave. L'eau courante est coupée dans une partie de la ville. Sans autre solution, des habitants s'approvisionnent dans l'eau du lac Kivu, où des corps ont été repêchés après les combats. Selon le bureau des Affaires humanitaires de l'ONU (Ocha), une augmentation de cas de choléra a été observée dans la région, notamment parmi les populations déplacées par les combats. 

L'ONU estime aussi que Goma a été conquise au prix de plusieurs milliers de morts. Son Conseil des droits de l'Homme a ainsi donné son feu vert à l'ouverture d'une enquête sur les exactions commises dans l'est de la République démocratique du Congo.

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