Attention, l’Institut français de Ouagadougou est fermé depuis octobre 2022

Depuis qu’il est dirigé par un régime militaire, le Burkina Faso a tourné le dos à la France, ancienne puissance coloniale avec qui le pays du Sahel avait continué à entretenir des liens forts après son indépendance. C’est dans ce contexte que plusieurs publications diffusées sur les réseaux sociaux depuis début juin prétendent que le Burkina Faso a récemment ordonné la fermeture du "centre culturel français", laissant penser que celui-ci était encore ouvert il y a peu. Pourtant, l’Institut français de Ouagadougou a fermé ses portes en octobre 2022, au lendemain du coup d’Etat qui a porté au pouvoir le capitaine Ibrahim Traoré. Il n’a pas rouvert ses portes depuis, même si certaines de ses activités ont été délocalisées dans un lieu voisin. En outre, la photo utilisée pour illustrer ces publications trompeuses est décontextualisée, car il s’agit du centre culturel franco-nigérien de Niamey.

"Le Burkina Faso ordonne au Centre Culturel Français de fermer boutique. Bravo. Comment un pays inculte et pervers tel la France peut-il promouvoir la Culture à travers un centre ?", avance une publication datant du 7 juin 2024 sur X, illustrée avec une photographie d’un bâtiment jaune et orange. En légende, l'auteur du post va jusqu’à s’interroger : "A quand la fermeture des autres centres culturels dans le reste de l’AES par solidarité ?"

L’AES est l'Alliance des Etats du Sahel, une alliance qui regroupe depuis septembre 2023 le Mali, le Burkina Faso et le Niger, trois pays gouvernés par des régimes militaires arrivés au pouvoir par des coups d'Etat.

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Captures d’écran réalisées sur X (à gauche) et sur Facebook (à droite) le 14 juin 2024

Plusieurs publications diffusent le même message, image à l'appui (liens archivés ici et ici).

D’autres internautes affirment, eux, que le centre culturel est déjà fermé (liens archivés ici, ici et ici).

Au Burkina Faso, la population appelle généralement "Centre culturel français" l’Institut français de Ouagadougou. Il existe également un institut français à  Bobo-Dioulasso (la capitale économique du Burkina Faso située au sud-ouest du pays).

L'Institut français, qui est placé sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères, regroupe dans le monde un réseau de 96 antennes, appelées Instituts français.

Sa mission est de faire partager la création intellectuelle et artistique française et d'encourager la diffusion et l’apprentissage de la langue française à l'étranger. 

Mais attention, l’affirmation selon laquelle le Burkina aurait ordonné la fermeture de l’Institut français est trompeuse.

Ces publications laissent penser que le lieu est toujours ouvert, ou alors, qu’il a été fermé récemment. 

Pourtant, l’Institut français de Ouagadougou est fermé depuis octobre 2022. 

Le 1ᵉʳ octobre, des manifestations se sont multipliées au lendemain du coup d'État qui a porté le capitaine Ibrahim Traoré au pouvoir, destituant le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, lui-même auteur d'un putsch huit mois plus tôt.

Des bâtiments français, notamment l'ambassade de France et les Instituts français à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du pays, ont été pris à partie par des manifestants, qui accusaient Paris de protéger le lieutenant-colonel Damiba dont ils réclamaient le départ (dépêche archivée). 

L’Institut français à Ouagadougou a ainsi été saccagé, présentant d’énormes dégâts : des murs calcinés, des vitres brisées, des portes défoncées, le mobilier renversé, et les ordinateurs et livres éparpillés.

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Photographies prises le 12 octobre de l’Institut français de Ouagadougou attaqué après le coup d’Etat au Burkina Faso (Olympie de MAISMONT / AFP) (AFP / Olympia DE MAISMONT)

Le 5 octobre, l’ambassade de France Burkina Faso annonce qu’à la suite du saccage, l’Institut français restera fermé au public jusqu’à nouvel ordre.

"Depuis les attaques d’octobre 2022, qui ont ciblé l’ambassade, mais aussi les deux emprises de l’Institut français au Burkina, l’Institut français fonctionne à minima", a expliqué le 11 juin à l'AFP le porte-parole adjoint du ministère des Affaires étrangères, Christophe Lemoine.

"Le bâtiment Institut français est fermé" depuis le saccage, a-t-il précisé, indiquant cependant que "certaines activités de l'Institut (...) ont été relocalisées dans une villa qui s'appelle La Ruche". 

Espace voisin à l’ambassade de France et aux locaux de l’Institut français de Ouagadougou, La Ruche est un espace pilote du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères ouvert en 2018 (archivé ici).

C’est dans ce lieu que l’Institut "essaye de continuer à faire fonctionner certaines activités", précise M. Lemoine, dont le centre de langue, la médiathèque et l'espace Campus France qui accueille les étudiants burkinabè qui veulent aller étudier en France.

Interrogé par l’AFP sur les affirmations avancées par les internautes, le porte-parole adjoint affirme: "à notre connaissance, les autorités burkinabè, aujourd’hui [mardi 11 juin, NDLR ], ne nous ont pas transmis de demande officielle de fermeture".

Il n’était pas possible d’obtenir une réponse du gouvernement burkinabé dans l’immédiat, mais en cherchant sur les comptes officiels des autorités – tels que le compte officiel X du capitaine Ibrahim Traoré et le site officiel du gouvernement (ainsi que les réseaux sociaux Facebook, X et YouTube) – l'AFP n’a trouvé aucune information qui viendrait confirmer que "le Burkina Faso a ordonné la fermeture du Centre culturel français".

Une photographie décontextualisée

En outre, la photo utilisée dans la publication que nous vérifions n’est pas celle de l’Institut français de Ouagadougou, mais du Centre culturel franco-nigérien Jean Rouch, situé à Niamey.

Une recherche par image inversée  a permis de découvrir que la photographie utilisée dans l’affirmation trompeuse avait été prise le 13 février 2017 par Charlotte Henard. Cette bibliothécaire a publié la photographie sur la banque d'images Flickr dans un album intitulé "17 Niamey, Niger" (archivée ici).

Contactée par l'AFP le 17 juin, elle assure avoir photographié le centre à Niamey en 2017. 

De plus, des publications Facebook du CCFN permettent de confirmer que ce bâtiment correspond à celui du Centre culturel franco-nigérien Jean Rouch, situé dans la capitale nigérienne.

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A gauche, une photo du CCFN prise par Charlotte Henard le 13 février 2017. A droite, une photo du CCFN publiée sur la page Facebook de l'institution.

Le CCFN avait lui aussi fermé à la suite du coup d’État au Niger du 26 juillet 2023 qui a renversé le président Mohamed Bazoum, selon plusieurs médias locaux et internationaux (archivés ici et ici).

Les putschistes ont "décidé de dénoncer l’accord bilatéral de 1977 concernant le centre culturel franco-nigérien", avait déclaré en novembre 2023 l'ambassadeur de France au Niger Sylvain Itté au cours d’une audition à l’Assemblée nationale (archivé ici). 

À cette période, "les autorités militaires nigériennes ont en effet décidé de dénoncer la convention établissant le CCFN", a confié le 14 juin à l’AFP une source diplomatique. Celle-ci a ajouté que "le 27 juin prochain, le Centre culturel franco-nigérien (CCFN) Jean Rouch cessera de fonctionner en tant qu’établissement binational, après 60 ans d’existence".

Sur Facebook, d’après cette publication de la page du CCFN, le lieu semble avoir rouvert en février 2024, et a organisé une Journée portes ouvertes en avril dernier. Cependant, les drapeaux français ne figurent plus sur les affiches d’événements et laissent place au seul emblème du ministère de la Jeunesse, de la Culture, des Arts et des Sports du Niger.

Depuis le putsch de septembre 2022, le Burkina Faso a tourné le dos à la France, ancienne puissance coloniale, en exigeant le départ des soldats déployés sur son sol début 2023 et en expulsant des diplomates. De nombreux médias français ont aussi été suspendus.

Parallèlement, le régime s'est rapproché de la Russie, mais aussi de l'Iran et de la Turquie et de ses deux voisins, le Niger et le Mali, également gouvernés par des militaires arrivés au pouvoir par des coups d'Etat. 

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