Non, cette vidéo ne montre pas une "vente d'esclaves" en RDC
- Publié le 30 mai 2024 à 10:31
- Lecture : 4 min
- Par : Samad UTHMAN, AFP Nigéria, AFP France
- Traduction et adaptation : Théo MARIE-COURTOIS
Copyright AFP 2017-2024. Toute réutilisation commerciale du contenu est sujet à un abonnement. Cliquez ici pour en savoir plus.
"Des Africains vendent des Africains au Congo pour travailler dans les mines. En 2024...", assure la légende d'une vidéo relayée fin mai sur X et Facebook (1, 2). "Congo 2024 !!! Des Africains qui vendent des Africains en esclavage pour travailler dans des mines !!! Qui en parle ?!!! Bizarrement ça n’intéresse pas les médias, ni les gens en général ! Et pourtant ces gens sont vendus en esclavage !… Juste degueulasse !", s'indigne un autre internaute.
On y voit une foule de jeunes hommes aux crânes rasés et vêtus de beige massés dans un fossé boueux. Ils sont encadrés par des adultes aux pantalons noirs et tshirts bleus.
"C'est comme cela que cela se passait il y a 400 ans. Ils ont été emmenés à la plage où ils ont été vendus", prétendent des inscriptions en anglais visibles tout au long de la séquence.
La vidéo a été largement relayée en anglais, notamment par le compte "Cornbread Mafioso", qui se définit comme un "jock shock" numérique, du nom de ces animateurs radios au contenu volontairement provocateur (lien archivé ici).
Nous avons également reçu sur le numéro WhatsApp d'AFP Factuel un message d'un usager s'interrogeant sur la véracité de ces images.
Exercice militaire
Une recherche par image inversée permet de retrouver une occurrence de cette vidéo (sans les annotations) dès le 17 juin 2023 sur TikTok (lien archivé ici).
"Cette journée est toujours une journée mémorable", écrit en légende le compte qui l'a publiée. Dans son message, cet internaute mentionne plusieurs comptes TikTok dont celui de l'Institut des technologies de transport et de gestion (ITMT), une école militaire de Lagos, au Nigeria (lien archivé ici).
Contactée par l'AFP, Cynthia Chidera Ahamefule, directrice académique de l'ITMT a expliqué que cette vidéo avait été filmée lors d'un exercice militaire réalisé par les élèves-officiers de la promotion 2023-2024.
"La vidéo provient de notre institut, c'est assez surprenant que tant de gens soient aussi ignorants sur certaines choses. Il s'agit d'un exercice appelé baptême, destiné aux nouveaux élèves-officiers qui viennent d'être admis dans l'école", a-t-elle indiqué.
La directrice a ajouté que ce rituel annuel était un passage obligé de l'intégration de ces jeunes recrues au "monde militaire".
Cynthia Chidera Ahamefule a également envoyé à l'AFP plusieurs photos de la dernière édition de cet exercice qui a eu lieu le 24 mai 2024.
On y retrouve des jeunes hommes en beige et crânes rasés ainsi que des encadrants vêtus de noir et bleu, comme sur la vidéo virale.
Accusation de travail d'enfants
La République démocratique du Congo produit plus de 70% du cobalt mondial, un métal essentiel pour les batteries utilisées dans l'électronique et les voitures électriques (lien archivé ici).
La majeure partie du cobalt congolais est extraite de mines industrielles géantes, mais on estime que plus de 200.000 personnes travaillent comme creuseurs dans des sites illégaux.
Les accusations de travail des enfants, de conditions de travail dangereuses et de corruption dans le secteur artisanal pèsent sur l'ensemble de l'industrie du cobalt en RDC.
Le pays dépend fortement de l'industrie minière: le secteur représentait 95 % de ses recettes d'exportation et environ un quart de son PIB entre 2016 et 2021, selon le Fonds monétaire international.
Début mai, l'Union européenne a assuré travailler pour la traçabilité des minerais issus de la région (lien archivé ici).
Un protocole d'accord sur les minerais conclu en février entre l'UE et le Rwanda avait provoqué la colère des autorités congolaises, alors qu'une rébellion (le M23), soutenue par le Rwanda, est à l'offensive depuis plus de deux ans dans l'est de la RDC.
Kinshasa accuse le Rwanda de piller les ressources, minières notamment, de la région et a considéré ce protocole d'entente comme une forme de complicité de l'UE avec "l'agresseur" rwandais.
L'UE avait signé avec la RDC, fin octobre dernier, un "partenariat sur les chaînes de valeur durables des matières premières critiques et stratégiques". Ce document prévoyait l'élaboration dans les six mois d'une "feuille de route" pour définir les actions concrètes à mener.