( AFP / JULIEN DE ROSA)

Attention à cette vidéo prétendant alerter sur les dangers du tatouage

Près d'un Français sur cinq serait tatoué, selon un sondage Ifop de 2018. Autorités de santé et médecins rappellent que les tatouages doivent être faits par des professionnels respectant les règles d'hygiène indispensables pour éviter par exemple les infections. Au printemps 2024, une vidéo prétendant dévoiler les dangers du tatouage sur le corps humain a été largement partagée sur les réseaux sociaux. Mais attention, comme l'ont expliqué des spécialistes à l'AFP, il s'agit d'un mélange d'infox, d'exagérations et d'hypothèses non prouvées.

"Il est tout aussi dangereux de se faire tatouer que de se faire enlever un tatouage par laser", "Les Tattoos vous empoisonnent" ou encore "Celui qui a inventé les tatouages est un génie": sur X (ici et ici), Facebook et TikTok, plusieurs publications virales relaient depuis le 24 avril la même vidéo mélangeant prises de vues réelles et images de synthèse.

"Celui qui a inventé les tatouages est vraiment diabolique", assure en préambule le narrateur de la vidéo. Sur fond de musique angoissante, cette voix-off prétend dévoiler les effets d'un tatouage sur le corps, évoquant entre autres un "effondrement des cellules mégalithiques" provoqué par l'afflux de bactéries.

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Captures d'écran réalisées sur X (à gauche) et Facebook (à droite) le 03/05/2024
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Capture d'écran réalisée sur TikTok le 03/05/2024

Une recherche d'image inversée permet de retrouver les mêmes images de synthèse partagées en début d'année par la chaîne YouTube Kurtsgesagt dans une vidéo intitulée "Votre tatouage est à l'INTERIEUR de votre système immunitaire. Littéralement" (lien archivé ici). S'il s'agit des mêmes plans, les narrateurs de ces deux vidéos ne disent cependant pas du tout la même chose.

Mais comme l'ont expliqué plusieurs scientifiques à l'AFP, cette vidéo multiplie les erreurs et les approximations. Et ce, alors que la "pratique de tatouage est en très forte progression", selon le Haut Conseil de la santé publique, indiquant qu'en 2016, "14% des Français étaient porteurs de tatouages" (lien archivé ici). Un sondage Ifop réalisé en 2018 comptabilisait quant à lui 18% de Français déclarant "être ou avoir été tatoués" (lien archivé ici). Une proportion qui grimperait à 29% pour les moins de 35 ans.

Cellules inexistantes

"Le pigment est enfoncé profondément dans votre peau, où il tue un grand nombre de cellules épidermiques de votre corps sous l'impact de l'aiguille", prétend la vidéo virale.

"Puis, le système immunitaire réveille instantanément 100.000 cellules mégalithiques dans le derme, qui arrivent sur le site de la blessure et font de leur mieux pour vous protéger des minuscules particules tandis qu'une légère inflammation et un gonflement se développent bientôt dans la peau", poursuit le narrateur.

Le Haut Conseil de la santé publique définit le tatouage comme une "pratique consistant à créer au niveau de la peau une marque permanente ou un dessin permanent (un 'tatouage') par injection intradermique d’un produit composé de colorants et d’ingrédients auxiliaires". "L’injection de l'encre sous la peau se fait à l'aide d'aiguilles, entre le derme et l'épiderme. La profondeur de la piqûre varie de 1 mm à 4 mm en fonction des types de peau et des parties du corps", précise l'organisme.

"Après la réalisation d’un tatouage, la zone est rouge, enflée et douloureuse durant quelques heures. Au bout de quelques jours, une fine desquamation (des pellicules de peau qui apparaissent) est possible. La cicatrisation du tatouage prend 3 à 4 semaines", complète le site de l'Assurance maladie.

Comme indiqué dans la vidéo virale, les cellules épidermiques de la partie tatouée peuvent être endommagées ou détruites lors de l'injection de l'encre. Mais, selon Milena Foerster, professeure épidémiologiste au Centre international de recherche sur le cancer, "ce n'est pas grave du tout, comme après une blessure le corps est tout à fait capable de se soigner" (lien archivé ici). 

"Directement après le tatouage, il y a une réaction inflammatoire de la peau qui est bénigne, cela va gonfler un peu, rougir, c’est logique puisqu’on injecte quand même quelque chose avec une aiguille. Mais ce n’est pas particulièrement dangereux", indique la chercheuse.

"Quand vous introduisez des pigments lors d'une séance de tatouage, ça déclenche forcément une réaction inflammatoire due au traumatisme lié aux aiguilles et à l'introduction de pigments exogènes, puisque l'encre de tatouage est un corps étranger. Le corps réagit comme il le ferait avec d'autres agressions, ce n'est pas spécifique au tatouage", abonde Nicolas Kluger, dermatologue spécialisé dans les problèmes de tatouage à l'hôpital Bichat et à Helsinki (lien archivé ici).

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Un tatoueur travaille lors du « Pura Tinta Fest » à San Jose, Costa Rica, le 2 mars 2024. Le Pura Tinta Fest est la plus grande convention de tatoueurs d'Amérique centrale, et plus de 150 tatoueurs nationaux et internationaux y participent (AFP / EZEQUIEL BECERRA)

Contrairement à ce qu'affirme à plusieurs reprises la vidéo virale, "les cellules mégalithiques n'existent pas", souligne Milena Foerster. "Ce qui arrive [suite à l'introduction du pigment, NDLR], ce sont les cellules neutrophiles et ensuite les cellules macrophages" et le chiffre avancé de 100.000 est "complètement arbitraire", précise la professeure.

Ces deux types de cellules sont chargées de la défense immunitaire de l'organisme, notamment via le processus de phagocytose, qui consiste à ingérer puis détruire les corps étrangers (lien archivé ici).

"Quand il y a de l'encre qui est introduite dans la peau, ces macrophages viennent encapsuler les pigments ce qui va assurer leur rétention dans le derme", explique Alexia Cassar, conseillère technique santé du Syndicat national des artistes tatoueurs (SNAT, lien archivé ici).

Les macrophages ne parvenant pas à éliminer le pigment "avalé", ils vont le conserver en leur sein jusqu'à leur mort qui intervient au bout d'une vingtaine de jours. Comme l'a montré en 2018 une étude dirigée par le CNRS, l'Inserm et l'Université Aix-Marseille, les pigments relâchés vont très vite être capturés par d'autres macrophages (lien archivé ici). C'est ce qui explique que les tatouages soient permanents.

Encres jugées dangereuses

"L'afflux de bactéries de l'encre provoque l'effondrement des cellules mégalithiques car l'encre est composée de centaines de substances y compris des métaux lourds et des substances cancérigènes", poursuit la vidéo virale.

"Normalement, le tatouage est un processus relativement stérile, dans les encres il y a peut-être des substances nocives, mais a priori pas de bactéries. Le risque le plus important c’est si le tatoueur ne travaille pas dans des conditions hygiéniques, avec des possibilités de transmission de virus ou bactéries", assure Milena Foerster.

"Quand vous achetez une encre, elle doit être stérile jusqu'au moment où vous ouvrez le flacon. Ensuite, un tatoueur qui a fait une formation à l'hygiène sait comment utiliser les flacons de manière à ne pas les contaminer", commente Alexia Cassar.

En revanche, dans le cas de tatoueurs "qui font la dilution de leurs encres à l'eau du robinet, ou qui vont avoir une hygiène douteuse, bien évidemment qu'il y aura des bactéries qui vont être introduites au moment du tatouage", poursuit-elle. 

En France, la profession de tatoueurs est règlementée et conditionnée notamment au suivi d'une "formation aux conditions d'hygiène et salubrité", selon service-public.fr (lien archivé ici). Le tatouage doit être réalisé "dans une pièce dédiée à cette opération" ne pouvant accueillir d'autre activité et "un protocole de stérilisation du matériel doit être respecté", détaille le site de l'administration française. 

Le 3 mai 2024, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a indiqué avoir contrôlé une trentaine d'encres de tatouages, dont un tiers n'étaient "pas conformes ou dangereux" avec des cas de teneur en plomb illicite et des produits "non stériles" (lien archivé ici).

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Des bouteilles d'encre colorée sont visibles sur une étagère d'un salon de tatouage à Berlin le 12 juin 2020. La Commission européenne propose d'interdire les produits chimiques nocifs dans l'encre de tatouage, y compris deux pigments bleus et verts largement utilisés, affirmant qu'ils sont souvent de faible qualité et peuvent contenir des substances dangereuses.
(John MACDOUGALL / AFP) (AFP / JOHN MACDOUGALL)

Concernant la composition des encres, "au départ, les pigments étaient souvent d'origine métallique (oxydes de fer, oxydes de cuivre...), il y a aussi eu des pigments d'origine minérale et aujourd'hui ce sont surtout des composants de synthèse", précise Alexia Cassar.

En 2022, l'Union européenne a interdit une série d'encres de tatouage jugées dangereuses pour la santé (lien archivé ici). 

Les restrictions adoptées couvrent des substances et colorants qui peuvent être cancérigènes, entraîner des mutations génétiques, affecter les capacités reproductrices, causer des allergies cutanées ou d'autres effets nocifs pour la santé, a précisé une porte-parole de l'exécutif européen, Sonya Gospodinova, lors d'un point de presse. "La protection de la santé des citoyens européens est notre première préoccupation", a-t-elle commenté.

Le règlement établissant la liste de ces substances prohibées ou restreintes (notamment mercure, nickel, chrome, cobalt, méthanol, certains colorants rouges, orange, jaunes, violets et bleus) avait été adopté en décembre 2020.

"Cela ne veut pas dire que l'on trouvait avant tous ces produits dans les tatouages. Et, quand on dit qu'un produit est carcinogène, il l'est dans une situation donnée et par principe on va l'interdire dans d'autres cas de figure. Mais ça ne veut pas dire que quelqu'un qui aurait été tatoué avec un produit aujourd'hui interdit va développer un cancer", assure Nicolas Kluger.

La mesure européenne a été vivement critiquée par une partie des tatoueurs, notamment le SNAT. 

"Il y a des pigments qui ont été retirés du marché sans que ce soit lié à une quelconque dangerosité", assure Alexia Cassar, dénonçant l'interdiction "de pigments utilisés partout ailleurs" et la mise sur le marché d'encres de substitution "sans aucune évaluation préalable".

"Un grand point d’interrogation, c’est le lien avec le développement de cancers. Mais il va falloir encore quelques années pour avoir des résultats scientifiques fiables", explique de son côté Milena Foerster, soulignant que "le problème sur les tatouages, c’est qu’il y a peu d’études en dehors du plan dermatologique".

En 2020, le Haut Conseil de la santé publique écrivait que "malgré la présence effective possible de produits potentiellement cancérigènes ou procarcinogènes dans les encres de tatouage, la revue de la littérature montre que le nombre de cancers de la peau qui apparaissent dans les tatouages est faible, sans causalité directe démontrée. Il n’existe pas actuellement de registres nationaux de cancers de la peau intégrant ces données".

Interrogations sur le détatouage

L'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) note que les pigments d'encre peuvent "migrer de la peau vers différents organes, tels que les ganglions lymphatiques et le foie". Cela peut par exemple se produire lors du décès d'un macrophage : une petite partie du pigment qu'il contenait ne pouvant être absorbé par une nouvelle cellule, elle dérive vers d'autres parties de l'organisme.

L'ECHA souligne aussi que les produits chimiques nocifs contenus dans les encres peuvent se répandre dans l'organisme à l'occasion d'un retrait du tatouage au laser, qui "décompose les pigments et autres substances en plus petites particules".

"On n'a pas de preuves à ce jour que le laser de détatouage ait un risque de cancer. Par contre, c'est vrai qu'il y a une partie de cet encre, quand on la détruit au laser, qui passe dans la circulation avant d'être éliminée", relève Nicolas Kluger.

"Quand on parle de potentiel carcinogène, c'est plutôt lié à des expositions continues, répétées, comme dans la nourriture, ou lorsqu'on fume des cigarette. Le tatouage et le détatouage, c'est particulier car on introduit quelque chose une seule fois, on n'en rajoute pas", poursuit le dermatologue.

"Une fois que le pigment est éclaté, cela pourrait amener à une exposition à des substances nocives. Mais encore une fois, aucune étude scientifique montre aujourd’hui cet effet, ce n’est qu’une hypothèse", ajoute Milena Foerster.  

"Lors de l'application du laser, on a une transformation de produits qui pouvaient être totalement inertes dans leur forme initiale mais qui peuvent devenir gênants et dangereux. Et ces débris vont être libérés dans l'organisme, sans que l'on connaisse vraiment les conséquences à moyen et long terme", indique Alexia Cassar.

Dans son avis de 2020, le Haut Conseil de la santé publique recommandait d'"interdire toute utilisation de produits chimiques et réserver cet acte aux médecins avec recours exclusif au laser adapté à cet acte".

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Un homme nommé Mitchell (à droite) reçoit son premier traitement au laser pour se débarrasser d'un tatouage lors de la campagne "Dag Tattoo, Hallo Baan" (Au revoir le tatouage, bonjour le travail) organisée par la "Stichting Spijt van Tattoo" le 28 janvier 2019 à Rotterdam . La société "Stichting Spijt van Tattoo" aide les participants du programme de l'Université Erasmus de Rotterdam à retirer gratuitement leurs tatouages (ROBIN UTRECHT / ANP / AFP) (ANP / ROBIN UTRECHT)

Réactions dermatologiques

Sur le plan dermatologique, les conséquences des tatouages sont plus connues.

"L'allergie est la complication la plus fréquente après un tatouage. Le plus souvent une seule couleur est en cause dans ce phénomène allergique (habituellement le rouge, mais cela est possible pour toutes les autres couleurs)", prévient sur son site l'Assurance maladie.

L'organisme pointe également les risques d'infection, survenue soit "par inoculation d’un germe lors du geste de tatouage (matériel ou encre de tatouage contaminés ou désinfectant contaminé), survenant si les règles de réalisation du tatouage ne sont pas respectées" soit lors d'une "contamination secondaire par erreur lors des soins locaux lors de la phase de cicatrisation".

"Les infections peuvent d’être d’origine bactérienne ou virale (VHC, VHB, …), de manifestation aiguë ou plus tardive. [...] Le risque d’infection est majoré
lorsque le tatouage est réalisé par un non professionnel", relève le Haut Conseil de la santé publique.

L'enquête sur la population tatouée en France réalisée en 2017 par quatre chercheurs dont Nicolas Kluger indiquait que "les individus tatoués étaient plus susceptibles de signaler de l'acné, de l'eczéma de contact et de la dermatite atopique, et 17% ont signalé un problème cutané passé ou présent sur l'un de leurs tatouages. L'irritation était le problème le plus courant (41%), suivie de l'infection (25%), du retard de guérison (24%) et des démangeaisons (22 %)".

Les personnes confrontées le plus souvent à des complications étaient principalement des jeunes hommes, soulignait l'étude.

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