Le gouvernement congolais assure qu'aucun accord de coopération militaire avec la Russie n'a été signé récemment

La mission de l'ONU en RDC (Monusco), rejetée par la population congolaise et son gouvernement, a amorcé à la mi-février 2024 son retrait progressif du pays. Dans ce contexte, des publications diffusées sur les réseaux sociaux prétendent que la République démocratique du Congo a signé un nouvel accord de coopération militaire avec la Russie. Cependant, ces rumeurs sont erronées : en réalité, elles extrapolent une dépêche de l'agence de presse russe TASS qui a relayé un simple "brouillon d'accord", élaboré par la seule partie russe. Le gouvernement congolais, lui, dément toutes discussions bilatérales actuelles à ce sujet. Alors que l'occident fait l'objet d'une grande défiance en RDC, la Russie avance ses pions, ont expliqué plusieurs spécialistes de la région à l'AFP.

Depuis le 6 mars dernier, des dizaines de publications relayées sur les réseaux sociaux prétendent que "la Russie et la République démocratique du Congo ont récemment signé un accord de coopération militaire", ouvrant la voie à "des exercices conjoints, des visites de navires et d'avions de combat, ainsi qu'à des programmes de formation militaire" (1,2,3,...)

"La Russie et la RDC signent un accord historique de collaboration", avance ainsi une page Facebook, administrée depuis la RDC et suivie par plus de 830.000 personnes (archivée ici). 

La photographie qui accompagne ces messages montre une poignée de main entre le président congolais, Félix Tshisekedi, et le dirigeant russe Vladimir Poutine. 

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Captures d'écran prises sur Facebook le 18 mars 2024 / Croix ajoutée par la rédaction de l'AFP

Ces allégations sont partagées des centaines de fois au moment où une partie de la population congolaise manifeste une grande méfiance, voire un rejet profond, à l'égard de l'ONU et des pays occidentaux. Ils sont notamment accusés de fermer les yeux sur les violences dans l'est de la RDC, voir même de "complicité" avec le Rwanda qui soutient la rébellion armée du M23 qui y sévit.

C'est dans ce contexte que la Mission de l'ONU en République démocratique du Congo (Monusco) a amorcé fin-février son retrait du pays. Réclamé par Kinshasa, qui la juge inefficace, son départ a débuté par la remise officielle aux autorités congolaises d'une base située Sud-Kivu (est) (lien archivé ici). 

Mais ce retrait de la Monusco et les critiques croissantes envers les puissances occidentales ne signifient pas pour autant un changement d'alliances géopolitiques en RDC, et un rapprochement militaire avec la Russie, comme le laissent croire ces publications virales.

Par le passé, des initiatives de coopération militaire avaient timidement été engagées, entre la Russie et la RDC, en 1999. Et un accord de coopération militaire et technique avait été ratifié des années plus tard, en 2018, par le parlement congolais. Mais l'arrivée de Félix Tshisekedi au pouvoir, en janvier 2019, a redéfini ces enjeux : le président, toujours à la tête du pays, a choisi les Etats-Unis et l'occident comme principaux partenaires stratégiques.

De quoi s'interroger sur la récente signature d'un accord militaire avec la Russie : en réalité, ces propos diffusés en ligne extrapolent une dépêche de l'agence de presse russe TASS qui a récemment annoncé la publication d'un "brouillon d'accord de coopération militaire" élaboré par le gouvernement russe. De son côté, le gouvernement congolais a démenti la signature récente de tout accord, rejetant par la même occasion la perspective de négociations bilatérales sur le sujet.  

Un "brouillon d'accord" rédigé par la partie russe

Le 5 mars 2024, l'agence de presse russe TASS publiait une dépêche annonçant "l'approbation d'un brouillon d'accord de coopération militaire avec la RDC" par le gouvernement russe (lien archivé ici). 

"Il prévoit l'organisation d'exercices conjoints (...) des visites de navires et d'avions de guerre sur invitation ou demande, la formation de militaires et d'autres formes de coopération", précise le média d'Etat, renvoyant vers un document hébergé sur le portail officiel des textes législatifs russes (lien archivé ici). 

Les publications Facebook et X qui prétendent qu'un accord de coopération militaire a été signé entre la Russie et la RDC ont inondé les réseaux sociaux dès le lendemain.

La dépêche de TASS a également arrosé la presse russe, en particulier l'agence Sputnik et le média RT, qui ont relayé cette information auprès de leurs audiences africaines. 

Le 6 mars, sur X, Sputnik Afrique écrivait par exemple : "Le gouvernement russe approuve un projet d'accord de coopération militaire avec la République démocratique du Congo".

Un jour plus tard, le 7 mars, RT publiait un article intitulé "La Russie valide un accord de coopération militaire avec la RDC". 

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Capture d'écran prises sur X (à gauche) et sur le site d'RT (à droite) le 20 mars 2024

La presse francophone africaine s'en est également fait l'écho, à l'image de l'agence Ecofin dans cette dépêche, mise en ligne le 7 mars (lien archivé ici). 

"Aucune information n'a été divulguée quant à la date de signature ou d'entrée en vigueur de cet accord, que ce soit du côté russe ou congolais", y apprend-t-on.

Difficile de comprendre, en effet, quelle est la portée concrète de cet arrêté du gouvernement russe formulant des bases de négociation pour une coopération militaire. Sur le document publié en ligne en russe ne figure, en tout cas, aucune signature officielle. Ni du gouvernement russe, ni du gouvernement congolais. 

Et contrairement à ce qu'affirment certains messages publiés sur les réseaux sociaux, l'agence russe TASS ne mentionne pas la ratification dudit document par la République démocratique du Congo. 

Le gouvernement congolais dément 

D'ailleurs, le 7 mars, le gouvernement de la RDC a présenté une "mise au point" par le biais de son Ministère de la Communication et des médias (lien archivé ici). 

Dans ce document,  il est écrit qu'"Aucun accord de coopération militaire n’a été signé récemment entre la Russie et la République". 

"Le projet d'accord de coopération dont [il est, Ndlr] question est une démarche initiée par les deux parties en 1999" et "C'est à peine que le Gouvernement Russe donne son approbation pour examiner le contenu de ce texte (sic)", tempère le gouvernement congolais. 

"Actuellement, il n'y a aucune discussion bilatérale entre les deux parties pour la mise en œuvre effective de ce projet d'accord", poursuit le document, précisant que "dans les conditions actuelles, la République Démocratique du Congo n'en envisage aucun non plus". 

 

Alors, pourquoi l'agence d'Etat russe diffuse ce "brouillon d'accord", à ce moment précis ?

En réalité, le projet d'une coopération militaire liant la Russie et la RDC est dans les tiroirs depuis de nombreuses années. Des démarches ont été initiées dès 1999, alors que Laurent-Désiré Kabila, père de Joseph Kabila qui lui succèdera après son assassinat en 2001, était à la tête de la République démocratique du Congo.

"A l’époque, le régime Kabila avait considéré que le monde occidental, l’Europe de l’ouest, les USA , étaient davantage en coopération bilatérale ou multilatérale avec les pays considérés par le Congo, en 1998, comme des pays agresseurs : l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi…", explique Nickson Kambale, membre de l’ONG Centre pour la gouvernance (CEGO) (lien archivé ici).

"Il avait pensé lier des relations militaires avec la Russie mais aussi avec la Corée. Les discussions ont commencé et ont été revitalisées en 2007 – 2008, après les premières élections, pour aboutir à un accord de coopération militaire en 2018 publié au journal officiel de la RDC", ajoute-t-il, renvoyant à un document du journal officiel congolais consulté par l'AFP.

Celui-ci énonce la "loi n°18/008 du 9 juillet 2018 autorisant la ratification par la République démocratique du Congo de la convention sur la coopération militaire et technique entre le gouvernement de la Fédération de Russie et celui de la République démocratique du Congo."

Cependant, après l'élection de Félix Tshisekedi en janvier 2019, un changement de paradigme s'opère sur le sujet. "Félix Tshisekedi, qui a une politique d'alignement avec les Etats occidentaux, est en rupture avec ce qu'ont initié ses prédécesseurs", Kabila père et fils, pointe Reagan Miviri, chercheur et analyste sur la violence à l'institut congolais de recherche sur la politique Ebuteli (lien archivé ici). 

"Tshisekedi est très clair et privilégie des partenaires occidentaux que sont les États Unis, mais aussi certains pays de l'UE et Israël. Sur le plan de la coopération militaire, le pouvoir s'est aussi rapproché de la Chine et des Emirats Arabes Unis", explique de son côté Joan Tilouine, journaliste et chef des enquête au média spécialisé Africa Intelligence (lien archivé ici).

L'occident rejeté, la Russie avance ses pions

Jusqu'à présent, "il y a eu très peu de coopération militaire entre Kinshasa et Moscou", développe-t-il. 

"La Russie a livré à la RDC des fusils d’assaut, type Kalashnikov, pour équiper les forces de sécurité congolaise ; mais il n’y a pas eu de coopération renforcée entre les deux pays. Il s’agit surtout de livraison de matériel léger, et les Etats-Unis ont fait passer le message au pouvoir congolais pour éviter que du matériel lourd russe soit vendu à la RDC", précise le journaliste.

L’ambassade russe en RDC avait ainsi révélé, fin octobre 2021, "que la Fédération de Russie avait effectué une livraison gratuite d’armes et de munitions à l’armée congolaise en 2021, d’un volume de plus de 160 tonnes", peut-on lire dans un article de Jeune Afrique (lien archivé ici).

En octobre 2022, Africa Intelligence dévoilait aussi la préparation "d'un contrat militaire d'envergure pour la fourniture d'hélicoptères" de la Russie à la RDC, qui n'a finalement jamais vu le jour (lien archivé ici).

Mais le président congolais, "plutôt proche du président français, du président américain, des britanniques... est mis sous pression par une partie de son armée", explique Jonathan Guiffard, chercheur associé a l'Institut Montaigne et à l'Institut français de géopolitique (lien archivé ici). 

Depuis 2021 et la reprise des combats dans l'est de la RDC par le M23, une rébellion armée soutenue par le Rwanda, "un discours au sein de l'armée congolaise vise à dire qu'il faut nouer un partenariat militaire avec la Russie", poursuit le chercheur. 

Ces voix ne sont pas les seules à exprimer du rejet vis-à-vis des puissances occidentales en RDC. Une part de la population congolaise en appelle aussi au soutien militaire russe plutôt qu'américain ou européen. 

En 2022, "on a commencé à voir les premiers drapeaux russes brandis dans les rues", témoigne un journaliste de l'AFP à Goma, des initiatives apparemment en lien avec les autorités russes. Mais aujourd'hui, "les russes bénéficient d'un vrai soutien populaire".

Le correspondant de l'AFP observe même régulièrement sur WhatsApp des photos de profil de Congolais à l'effigie du dirigeant russe Vladimir Poutine, perçu comme "une figure du monde non-aligné".

"Le contexte est tel qu'il y a de plus en plus de voix qui s'élèvent pour dire que l’allié de choix pour le Congo, c’est la Russie", explique Reagan Miviri, rappelant que plusieurs manifestations contre les chancelleries occidentales ont récemment éclaté dans le pays. 

A la mi-février, confrontées à des manifestations d'hostilité contre l'Occident, les autorités congolaises ont même renforcé la sécurité autour d'ambassades et d'installations de l'ONU (lien archivé ici). 

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Des manifestants se rassemblent pour dénoncer le silence de la communauté internationale face à la crise perpétuelle dans l'Est de la République démocratique du Congo, et pour montrer leur soutien à l'armée congolaise et à la milice pro-gouvernementale Wazalendo, le 19 février 2024. (AFP / GUERCHOM NDEBO)

Le rejet des forces occidentales, en particulier de la Monusco, s'inscrit dans un contexte de violences accrues dans l'est de la RDC. Les combats opposent l'armée congolaise au M23, rébellion armée soutenue par Kigali, poussant des centaines de milliers de civils à fuir leurs habitations dans des conditions de grande précarité.

Face à la poursuite de ces exactions, la population congolaise dénonce le silence de la communauté internationale, et reproche aux pays occidentaux leur absence de soutien pour mettre fin à la crise. 

"Les Congolais sont vraiment déçus du comportement du monde occidental face à la crise qui ne se termine pas. Ils croient que ces guerres à répétition sont le fait du monde occidental. L’opinion congolaise, et ça ne date pas d’aujourd'hui, a donc pensé qu’il fallait entrevoir des possibilités de soutien ailleurs", note Nickson Kambale, de l’ONG Centre pour la gouvernance (CEGO). 

La Russie, "acteur opportuniste", s'engage "dans des collaborations militaires depuis toujours. Avec une accélération en Afrique, qui est leur priorité stratégique, depuis 2021", observe Lou Osborn, enquêtrice à l'ONG All Eyes on Wagner (lien archivé ici).

Ainsi, la République démocratique du Congo est un pays qui rassemble "tous les bons ingrédients pour tenter de le déstabiliser. C'est un territoire intéressant pour la Russie car il a des ressources, une population relativement russophile et de gros problèmes sécuritaires à l’est où il n’y a pas vraiment d’aide, ni un grand intérêt de la part de la communauté internationale… Ce qui créer des opportunités pour la Russie", ajoute-t-elle. 

"J’imagine que la Russie sait que la Monusco est en train de partir, que l’UE est en difficulté au Congo en ce qui concerne l’opinion... Ils voient une brèche pour se positionner comme un acteur ou une alternative", abonde le chercheur Reagan Miviri. 

En publiant ce "brouillon" d'accord maintenant, "les russes sont susceptibles de provoquer un effet de signal pour dire à ceux qui veulent travailler avec eux qu'ils sont là", pointe aussi Jonathan Guiffard. 

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Des personnes déplacées par la guerre et des résidents locaux partent pour Goma à bord d'un bateau en bois artisanal dans la province du Sud-Kivu, à l'est de la République démocratique du Congo, le 10 mars 2024. (AFP / ALEXIS HUGUET)

On observe l'émergence d'un discours "amplifié par des figures panafricaines proches de la Russie qui vise à dire que le conflit à l'est de la RDC est l'oublié des occidentaux",  affirme Lou Osborn d'All Eyes on Wagner.

C'est par exemple le cas de Nathalie Yamb, dont l'AFP a déjà vérifié plusieurs publications, comme  ici ou encore ici. Le 1er mars 2023, elle publiait sur son compte X des photos de l'ambassade de France en RDC affublée des graffitis "Macron = M23" ou encore "Macron = Kagame", prêtant des liens entre le président français et le dirigeant rwandais.

Même stratégie de communication numérique pour le panafricaniste franco-béninois Kemi Seba, qui publiait en mars 2023 les mêmes images accompagnées de ce message : "L’ambassade de la Francafrique , euhhh, pardon, de la France en RDC , a été « décorée » par des militants panafricanistes congolais , qui ne pardonnent pas la collusion de Macron avec le sanguinaire Paul Kagame , tout comme ils n’acceptent pas la politique neocoloniale de Macron (sic)".

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Capture d'écran prise sur X le 23 mars 2024

Le franco-béninois s'est aussi déjà rendu en RDC, par exemple en novembre 2023, où il a organisé des "rencontres panafricaines" à Kinshasa (lien archivé ici).

"Je ne crois pas que le gouvernement de Tshisekedi fasse le choix de l'alignement avec la Russie, si on considère les acteurs et les alignement politiques actuels du Congo ", nuance cependant Reagan Miviri.

Car selon lui, "choisir la Russie serait laisser le Rwanda être le seul à convoiter le soutien occidental". 

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