Attention, cette vidéo ne montre pas les protestations en cours au Sénégal

Des manifestations ont émaillé les rues de la capitale sénégalaise samedi après l’annonce du report de l’élection présidentielle initialement prévue le 25 février. Des images ont alors circulé sur les réseaux sociaux, dont une vidéo très virale, montrant prétendument un vaste rassemblement contre cette décision du président Macky Sall, entérinée plus tard par l’Assemblée nationale. Mais cette vidéo virale est ancienne. Elle a été filmée en mars 2023 lors d’un meeting de l’opposant sénégalais Ousmane Sonko, qui a été arrêté depuis et est actuellement en prison. 

Des heurts ont éclaté samedi 3 février 2024 au Sénégal après l'annonce samedi par le président Macky Sall de reporter la présidentielle prévue le 25 février, quelques heures avant l'ouverture de la campagne (dépêche AFP archivée ici).

Des pneus ont été brûlés et des barricades érigées sur certaines routes du centre ville de Dakar, dimanche, au lendemain de la décision du chef de l’Etat sénégalais, entérinée ensuite dans la confusion par le parlement. 

C’est dans ce contexte électrique qu'a circulé une vidéo rendue virale par des publications en français sur Facebook et en anglais par des internautes basés au Nigeria sur X (ex-Twitter). Elle cumule plus d'un million de vues sur X, avec le même message d'alerte. 

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Capture d''écran d''une publication sur X (ex-Twitter), réalisée le 6 février 2024

La séquence virale de 15 secondes montre en plongée, une marée humaine en plein jour dans une vaste esplanade. Parmi ces milliers de personnes, certains brandissent de petits drapeaux du Sénégal et scandent "prési, prési". 

Dans la foule, un homme debout sur un véhicule attire l'attention de tous. Autour de lui, une mêlée de personnes tendent les bras vers lui.

"Sénégal : vives contestation à la suite du report de l'élection présidentielle", prétend sur Facebook, RT France, la branche francophone du média russe Russia Today. 

Si des heurts ont bien éclaté samedi au Sénégal, et plusieurs rassemblements réprimés dimanche et lundi, la vidéo utilisée sur les réseaux sociaux est ancienne et n'illustre pas les évènements actuels. 

"Il s’agit d’un meeting d’Ousmane Sonko" datant de mars 2023, affirme une vidéaste du bureau de l’AFP à Dakar.

Ousmane Sonko est l’un des principaux opposants politiques au Sénégal, très populaire auprès des jeunes qui constituent la moitié de la population. Il était annoncé comme l'un des favoris de l'élection présidentielle avant son incarcération en juillet 2023 pour appel à l'insurrection, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste et atteinte à la sûreté de l'Etat (dépêche archivée ici). 

M. Sonko a été disqualifié de la présidentielle par le Conseil constitutionnel et son parti, le Pastef, dissous. 

Nous avons effectué une recherche d’image inversée des captures d’écran de la vidéo virale avec l’outil Google Lens et l’avons retrouvée dans plusieurs publications. Elle fait notamment l’objet d’une investigation du média de vérification Africa check, publiée en avril 2023 (archivée ici). La même séquence était alors faussement utilisée pour montrer "Ousmane Sonko sorti de prison par une foule de partisans." au moment de sa condamnation le 30 mars 2023 à deux mois de prison avec sursis pour "diffamation"

Mais le média de fact-checking africain avait prouvé qu'il s'agissait d'une ancienne vidéo, et prouvé qu'Ousmane Sonko n’ayant pas été mis en détention préventive avant son procès et ayant été condamné avec sursis, "il n’avait pas été conduit en prison et n’avait donc pas pu en être +sorti + par la foule".

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Capture d''écran des résultats de la recherche effectuée sur Google Lens le 6 février 2024

L’article démontre qu’il s'agit en réalité "d'une vidéo d’un rassemblement qui a eu lieu le 14 mars 2023 aux Parcelles Assainies, à Dakar".

Nous avons effectivement trouvé un reportage de ce meeting publié le 15 mars 2023 sur la chaîne YouTube de l’AFP (archivé ici). Les images ont été filmées à la fois en journée et dans la nuit.

On y décèle les mêmes éléments visuels que dans la vidéo virale. On voit précisément Ousmane Sonko dans la même tenue :  une casquette et un pantalon de couleur vert-kaki et un blouson beige.

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Images comparées de la tenue d''Ousmane Sonko dans la vidéo de l''AFP (à l''extrême gauche et à l''extrême droite) et dans la vidéo virale (au milieu).

On voit aussi un bout du balcon similaire, qui surplombe une foule. 

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Images comparées de l''environnement dans la vidéo virale (à gauche) et dans celle de l''AFP (à droite).

Le descriptif de l’AFP évoque plusieurs milliers de partisans de l'opposition sénégalaise rassemblés le 14 mars 2023 à Dakar. "Le leader de l'opposition déclaré candidat à la présidentielle, Ousmane Sonko, accuse l'actuel président Macky Sall d'être -hors la loi-", mentionne la même légende. 

La vidéo virale n’a donc aucun lien avec les nouvelles protestations qui ont cours au Sénégal. D’ailleurs, Ousmane Sonko est incarcéré depuis juillet 2023. Il est donc impossible qu’il soit à l’extérieur d’un pénitencier ou au milieu d’une foule.

Une crise qui s'enlise

Plusieurs épisodes d'émeutes, pillages et manifestations ont eu lieu depuis 2021, provoqués par un bras de fer entre l'opposant antisystème Ousmane Sonko et le pouvoir. Les heurts ont causé des dizaines de morts et donné lieu à des centaines d'arrestations.

Le report de la présidentielle est un autre épisode de cet imbroglio. Le Parlement du Sénégal a entériné dans la nuit du 5 février un projet de loi visant à repousser la présidentielle au 15 décembre 2024. Ce vote parlementaire plonge le pays dans l'inconnu. La loi a été adoptée à la quasi-unanimité, par 105 voix pour et une voix contre, après que les députés de l'opposition qui faisaient obstruction au vote ont été évacués manu militari par la gendarmerie.

L'internet a été coupé lundi afin d'enrayer les mobilisations et rétabli mercredi. Ce moyen a déjà été employé par le gouvernement sénégalais en juin 2023, dans un contexte de crise politique.

La décision du président Macky Sall du report de l'élection fait craindre de vives réactions dans la rue, qui se sont limitées pour le moment à de rares manifestations, réprimées.

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