Non, cette vidéo ne démontre pas un soutien de la France à l'indépendance de l'Azawad

L'armée malienne a repris mi-novembre aux séparatistes touareg la ville stratégique de Kidal dans le nord du Mali. Peu de temps après ce succès symbolique pour la junte au pouvoir, une vidéo partagée sur les réseaux sociaux à la légende ambiguë fait croire à de nombreux internautes que la France a soutenu ces dernières années l'indépendance de l'Azawad, nom donné aux régions du nord du Mali par les Touareg. En réalité, cette courte vidéo ne reflète en rien la position officielle de la France. Les images ont été filmées lors d’une manifestation de soutien aux indépendantistes touareg organisée à Paris en 2012, mais les intervenants ne sont pas des représentants du gouvernement français.

La vidéo sur Facebook est accompagnée de la description suivante : "Voici ce qui était préparer [sic] avant l'occupation de Kidal par la France". D’une durée totale de 2 minutes et 10 secondes, la vidéo a été visionnée plus de 259.000 fois et la majorité des 1.100 commentaires laissés par les internautes sont hostiles à la France.

Sur les images, différentes personnes s'adressant à une foule face à la Tour Eiffel défendent la lutte de séparatistes touareg pour l'indépendance de l'Azawad dans le nord du Mali. Le premier intervenant évoque "l’Etat de l’Azawad, la libération totale et la reconnaissance de l’Azawad en tant que membre de l’ONU". Le deuxième orateur réaffirme lui son soutien au MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) et l’intervenant suivant invite à la mobilisation de milliers de Parisiens pour les Touaregs. Dans la vidéo, les deux derniers intervenants évoquent l’Azawad "sous domination du Mali" et vantent les succès militaires du MNLA face à l’armée malienne.

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Capture d’écran Facebook effectuée le 29 novembre 2023

La légende ambiguë associée à cette vidéo peut laisser croire à un soutien de la France au projet d'indépendance de l'Azawad défendu par certains groupes touareg. La vidéo a été publiée sur TikTok par le compte @sek.toure223, un compte qui partage régulièrement des vidéos en soutien au régime militaire de Bamako. Les colonels qui ont pris le pouvoir au Mali en 2020 font de la souveraineté leur mantra.

Les relations entre la France, l'ancienne puissance coloniale engagée militairement au côté de l'armée malienne contre les jihadistes à partir de 2013, et le Mali se sont fortement détériorées depuis que des colonels ont pris le pouvoir par la force à Bamako en août 2020.

La junte a poussé les forces françaises vers la sortie en 2022 et s'est tournée politiquement et militairement vers la Russie. Elle a expulsé l'ambassadeur français, et désigné Paris comme le responsable d'une grande partie de ses maux.

Dans les commentaires, plusieurs internautes fustigent un prétendu soutien de Paris aux indépendantistes touareg dans le nord du Mali: "Une honte de voir certains décideurs français vouloir diviser un peuple souverain et digne", écrit l'un d'eux. "Le Mali restera un et indivisible n'en déplaise aux criminels terroristes et leurs sponsors étatiques étrangers notamment la France", affirme un autre. "Donc la France prévoyait la création d'un état sur le territoire malien ? Franchement honte à la France", peut-on encore lire dans les commentaires.

Les différents intervenants de cette vidéo virale sur Facebook s’adressent-ils à la foule au nom de l’Etat français ? Qui sont ces personnes qui prennent à tour de rôle le micro, donct certains pour demander l’indépendance de l’Azawad ? Où se tient ce rassemblement et quand ? Pour répondre à toutes ces questions et surtout retrouver l’origine de la vidéo, nous effectuons une recherche par image inversée grâce à l'outil de recherche InVID/WeVerify . La recherche est infructueuse aussi bien via Google que Yandex. Nous essayons une recherche par mots-clés via YouTube avec les groupes de mots "manifestation de soutien au MNLA Paris" et "rassemblement de soutien à l’Azawad Paris".

Le deuxième mot-clé nous permet de retrouver deux vidéos (1, 2) publiées le 10 juillet 2012. En parcourant les deux vidéos d'une dizaine de minutes chacune, nous retrouvons exactement les différents intervenants de la vidéo virale sur Facebook. Différents extraits de cette vidéo ont été utilisés pour monter la vidéo virale sur Facebook.

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Capture d’écran Google effectuée le 29 novembre 2023

Parmi les intervenants dont les extraits de discours ont été utilisés, nous retrouvons par ordre de prise de parole Ferhat Mehenni, chef du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), Josiane Sberro de l’Association France-Israël, Huguette Chomski Magnis du Mouvement pour la paix et contre le terrorisme et Massin Ferkal de l’Association Tamazgha.

Ils ont répondu à un appel pour un rassemblement de "solidarité avec le peuple touaregs et le MNLA" organisé le 7 juillet 2012 sur l'Esplanade du Trocadéro à Paris, lancée par le chargé de communication du MNLA de l'époque Mossa Ag Attaher (devenu depuis ministre dans le gouvernement malien). L'AFP a pu retrouver cet appel sur plusieurs sites internet, comme ici.

L'appel à ce rassemblement n'avait pas pour mot d'ordre l'indépendance de l'Azawad, mais le soutien au peuple touareg et aux rebelles du MNLA au moment où des groupes islamistes armés les avaient évincés et pris possession de la quasi-totalité du nord du Mali (dépêche AFP archivée).

Selon nos recherches, aucune des personnes présentes dans la vidéo n’occupait en 2012 une fonction officielle en France. Si certains de ces intervenants se prononcent pour une indépendance de l'Azawad, ils ne le font pas au nom de l’Etat français, mais au nom de leurs organisations respectives. Il ne s’agit donc pas d’une prise de position officielle du gouvernement français.

Sollicité par l'AFP, le ministère des Affaires étrangères français a indiqué par courriel que la France n’a jamais soutenu l’indépendance de l’Azawad lorsque les leaders du MNLA l’ont proclamée en 2012, ni après. "Dans une déclaration datée du 6 avril 2012, nous avons très clairement considéré que la déclaration unilatérale d’indépendance de l’Azawad par le MNLA était nulle et non avenue. Il s’agit de la position constante de la France, qui a par la suite été réaffirmée à plusieurs reprises" indique le Quai d’Orsay. Cette déclaration est consultable sur le site du ministère des Affaires étrangères.

Le Quai d’Orsay a également tenu à clarifier les raisons de la présence de l'armée française au Mali: "En 2013, la France s’est engagée au Mali à la demande des autorités maliennes pour éviter l’effondrement de l’État malien. La France a toujours affirmé que la souveraineté et l’intégrité territoriale du Mali n’étaient pas négociables. La position de la France concernant Kidal est très claire : comme l’a rappelé le Président de la République [Emmanuel Macron ndlr] le 12 novembre 2019, + Kidal, c’est le Mali et c’est l’Etat malien +" précise le courrier.

Majoritairement touarègue, la ville a accueilli de janvier 2013 à octobre 2021 des militaires des opérations françaises Serval puis Barkhane.

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Des militaires de l'opération française Barkhane patrouillent dans une rue de Kidal le 3 octobre 2016

Le ministère des Armées français a également répondu à nos sollicitations: "Le déploiement des militaires français de l’opération Barkhane à Kidal, au même titre que la Minusma (mission de maintien de la paix des Nations Unies au Mali, ndlr), n’a jamais eu pour objectif de s’ingérer dans la souveraineté du Mali, ni de soutenir un mouvement d’indépendance".

Il ajoute: "Le camp militaire français était d’ailleurs localisé au sein du super camp de la Minusma. Le déploiement de militaires français à Kidal, mais aussi à Tessalit, et Aguelhok, visait à lutter contre les groupes armés terroristes en provenance de la frontière malo-algérienne et empêcher leur descente vers la région des Trois-Frontières".

La vidéo virale en question a été publiée mi-novembre 2023, peu après la reprise de la ville de Kidal par l’armée malienne (FAMA). L'armée et l'Etat maliens n'avaient quasiment pas repris pied dans cette ville depuis mai 2014 (depêche AFP archivée).

La région de Kidal avait été l'une des premières à tomber aux mains des rebelles, les uns indépendantistes, les autres salafistes, quand éclata en 2012 l'insurrection dont les prolongements vont plonger le Mali dans la tourmente qu'il connaît aujourd'hui encore. Elle tomba ensuite sous la seule coupe des salafistes et fût reprise par les séparatistes en 2013 dans le sillage de l'intervention française au Mali. Les rebelles y infligèrent une déroute à l'armée malienne quand celle-ci tenta d'en reprendre la maîtrise en 2014.

En 2015, ils avaient signé avec le gouvernement un accord de paix, renonçant à leurs projets indépendantistes contre plus d'inclusion dans la société malienne, y compris dans une armée dite reconstituée, et plus d'autonomie.

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Vue aérienne de Kidal, où des véhicules des anciens rebelles patrouillent dans la ville le 27 septembre 2020

Un gouverneur exerçait depuis 2016 une présence symbolique de l'Etat malien, mais les anciens rebelles y faisaient régner la sécurité et l'ordre (dépêche AFP archivée).

Pour beaucoup de Maliens, cet accord entérinait une partition du Mali, et reprendre Kidal c'était y remédier. L'accord était déjà mal en point avant l'avènement des colonels en 2020. Les crispations n'ont cessé d'augmenter après.

L'insoumission de Kidal, enjeu majeur de souveraineté, restait un motif d'irritation à Bamako, et un abcès de fixation des tensions avec Paris. Pour certains, tel Choguel Kokalla Maïga, chef du gouvernement malien, la France y a créé une enclave d'où le terrorisme s'est propagé au reste du pays en permettant aux seuls indépendantistes de la reprendre en 2013 et en empêchant l'armée malienne d'y entrer. Paris réfute ces affirmations.

La rébellion a repris les hostilités en août 2023. Le retrait de la mission de l'ONU sur ordre de la junte a déclenché entre les acteurs armés du nord (armée, séparatistes, jihadistes) une course au contrôle du territoire et des camps d'où partaient les Casques bleus.

Quand la Minusma a quitté son camp de Kidal le 31 octobre, les rebelles ont été prompts à en prendre possession, au grand dam de la junte. Mais l'armée avait déjà depuis des semaines une colonne prête à faire mouvement vers la ville. Le 14 novembre, l'armée malienne a repris la ville aux séparatistes, un succès militaire et symbolique pour la junte au pouvoir.

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