Des véhicules détruits par l'armée malienne dans la région de Kidal ? Attention à ces photos décontextualisées

Depuis le 2 octobre, une colonne de l'armée malienne se dirige vers le nord du pays, tenu en partie par la rébellion séparatiste touareg. Alors que les Forces armées maliennes (FAMa) et les combattants du groupe paramilitaire russe Wagner ont pris le contrôle de la ville stratégique d'Anéfis le 7 octobre, des messages diffusés sur les réseaux sociaux à la même date prétendent montrer des véhicules détruits par les soldats maliens dans la région de Kidal, photographies à l'appui. Ces quatre images datent cependant de plusieurs années et n'ont pas été prises au Mali : elles documentent les conséquences matérielles de conflits armés au Yémen, en Syrie, au Nigeria et en Egypte.

Sur ces photographies, des véhicules sont tantôt dévorés par les flammes, tantôt calcinés.

"Tous les véhicules piégés qui pouvaient detruire [sic] à plus d'un kilomètre", affirment les légendes des messages diffusant ces photos via une dizaine de comptes basés au Mali, le 7 octobre 2023, attribuant leur destruction à l'armée malienne (liens archivés ici, ici, ici et ici).

"Les drônes [sic] étant munis de #laser infra-rouges capable [sic] de detecter [sic] des bombes ont tout détruit et sans pitié", ajoutent ces publications avant de féliciter les FAMa : "Bravo l'armée Malienne [sic] depuis #Afenis région de Kidal et dans quelques heures, la ville de Kidal."

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Capture d'écran prise sur X le 23 octobre 2023 / Croix rouge ajoutée par la rédaction de l'AFP

Ces assertions font en fait référence à Anéfis - et non pas "Afenis" tel que mentionnée sur les réseaux sociaux -, ville située dans la région de Kidal.

Le 7 octobre, jour de la diffusion des publications sur Facebook et Twitter, les Forces armées maliennes ont pris le contrôle de cette localité stratégique aux côtés des hommes du groupe paramilitaire russe Wagner. Depuis, le convoi militaire malien cherche à gagner la ville de Kidal, où la mission de l'ONU est en cours de retrait.

Le nord du pays est en partie tenu par la rébellion séparatiste touareg.

"Vive l'armée", "Bravo nos soldats", "L'armée Malienne [sic] est puissante", s'enthousiasment plusieurs internautes en commentaire des photos.

Cependant, ces images ne montrent pas des véhicules touchés par l'armée malienne : elles ont été prises il y a plusieurs années dans d'autres pays: au Yémen, en Syrie, au Nigeria et en Egypte.

Des images anciennes qui n'ont pas été prises au Mali

Pour retrouver l'origine de ces photos et leur contexte, nous avons effectué une recherche d'image inversée avec chacune d'entre elles à partir du moteur de recherche Google et du site spécialisé TinEye (lien archivé ici).

La première, montrant un pickup beige en flammes, a été utilisée pour illustrer un article du média d'information internationale iranien Al-Alam News Network (lien archivé ici). Diffusée en arabe, à destination des pays arabophones, cette chaîne de télévision appartient à l'Etat iranien.

Plusieurs éléments visuels (encadrés en rouge, jaune et bleu ci-dessous) nous permettent d'attester que les deux images sont identiques et montrent le même événement :

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Captures d'écran prises sur Facebook (à gauche) et sur le site Al-Alam News Network (à droite) le 23 octobre 2023 / Encadrés ajoutés par la rédaction de l'AFP

"Morts et destruction de deux véhicules d'envahisseurs et de mercenaires sur la côte ouest du Yémen", titre l'article en arabe, publié le 30 août 2018.

La seconde photographie, montrant un minivan à la carrosserie calcinée et dépourvu de vitres, a été publiée en mai 2018 sur le site The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center (lien archivé ici). On retrouve le visuel en quatrième position du diaporama exposé ici.

"Pleins feux sur le djihad mondial (24-30 mai 2018)", introduit en anglais le site, qui se décrit comme un centre "créé en 2001 dans le cadre du Israel Intelligence Heritage and Commemoration Center, l'institution gouvernementale chargée de commémorer l'héritage de la communauté israélienne du renseignement"

"Le CIIT recueille et analyse les informations utilisées dans ses rapports, études et bulletins relatifs au terrorisme et au renseignement", est-il précisé.

"Un véhicule précédemment utilisé par ISIS [acronyme anglais du groupe État islamique, NDLR], détruit par l'armée syrienne dans la zone rurale d'Al-Mayadeen (SANA, 23 mai, 2018)", peut-on lire en légende de la photo du mini-bus :

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Captures d'écran prises sur Facebook (à gauche) et sur le site The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center (à droite) le 23 octobre 2023 / Encadrés ajoutés par la rédaction de l'AFP

Al-Mayadeen désigne une localité syrienne et la source de référence, "SANA", l'Agence Arabe Syrienne d'Informations (l'agence de presse nationale officielle du pays) (lien archivé ici).

La troisième photographie, sur laquelle on voit un véhicule militaire en feu dans des herbes hautes, a été mise en ligne sur le même site le 16 juillet 2020 (lien archivé ici). On la retrouve en quatrième position sur le diaporama défilant ici.

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Captures d'écran prises sur Facebook (à gauche) et sur le site The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center (à droite) le 23 octobre 2023 / Encadrés ajoutés par la rédaction de l'AFP

"Un véhicule de l'armée nigériane prend feu", indique le site en légende, avançant qu'il s'agit d'une image circulant sur la messagerie Telegram en 2020. "Incendie du véhicule blindé de l'armée nigériane", peut-on également lire, en arabe, sur le bandeau accompagnant la photographie diffusée par le groupe Etat islamique (EI).

Le quatrième visuel, montrant un camion-citerne bleu en flammes, a lui aussi été publié sur le site The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center le 9 juillet 2018 (lien archivé ici). On le retrouve, parmi plusieurs images de conflit parfois violentes, dans la section "L’Egypte et la péninsule du Sinaï" :

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Captures d'écran prises sur Facebook (à gauche) et sur le site The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center (à droite) le 23 octobre 2023 / Encadrés ajoutés par la rédaction de l'AFP

"Droite : Véhicule tout-terrain de terroristes détruit par les forces de sécurité égyptiennes dans le Sinaï. Gauche : Camion-citerne en flammes", est-il indiqué en légende, la source originale étant attribuée à la "page Facebook officielle du porte-parole des forces armées égyptiennes".

Ces quatre photographies ne documentent donc pas les opérations militaires récentes de l'armée malienne.

Anéfis sous contrôle de l'armée malienne

Anéfis est tombée aux mains des FAMa et de Wagner le 7 octobre dernier, alors que l'armée malienne et les combattants du groupe paramilitaire russe tentent toujours de rejoindre la ville de Kidal. Depuis 2013, celle-ci est sous le contrôle de la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA), alliance de groupes armés à dominante touareg.

"Samedi 7 octobre, après une décennie d’absence, les Forces armées maliennes (Fama) ont pris le contrôle d’Anéfis, important verrou sur la route de Kidal", écrivait ainsi Jeune Afrique dans un article du 11 octobre (lien archivé ici).

"C’est la plus importante bataille remportée par l’armée malienne depuis qu’elle a repris les combats, début août, contre les anciens groupes rebelles du Nord réunis au sein du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD)", rapporte le média.

Après des affrontements entre les rebelles du CSP-PSD et les FAMa/Wagner, qui ont fait des victimes de part et d’autre, Anéfis s'est quasiment vidée de ses habitants.

"Dans le nord-est du Mali, les affrontements se poursuivent entre l’armée malienne et les rebelles réunis au sein d’une coalition dénommée CSP-PSD. Ces derniers ont déclaré, samedi, avoir abandonné leur position aux alentours de la localité d'Anéfis (112 km de Kidal), alors que de leur côté les Forces armées maliennes ont affirmé avoir pris le contrôle de cette importante ville", expliquait également un article de RFI publié le 8 octobre (lien archivé ici).

Retrait de la mission de l'ONU

Cette opération militaire s'inscrit dans le cadre du retrait de la mission de l'ONU (Minusma). Déployée depuis 2013 mais poussée vers la sortie par la junte au pouvoir depuis 2020, la Minusma doit quitter ses camps au Mali d'ici au 31 décembre ; elle devrait notamment avoir quitté Kidal à la fin du mois d'octobre.

Cette évacuation passe pour un des facteurs de l'escalade en cours depuis le mois d'août dans le nord du pays, confronté au jihadisme et au séparatisme touareg (lien archivé ici).

La Mission de l'ONU au Mali (Minusma) a d'ailleurs annoncé le 22 octobre avoir "accéléré" son départ, la veille, du camp de Tessalit (nord) dans un contexte tendu ayant mis, selon elle, "en danger son personnel". La région de Kidal, dont fait partie cette localité, est le théâtre d'une escalade militaire entre acteurs armés pour le contrôle du territoire.

Le camp de Tessalit a été ensuite "entièrement" récupéré par l'armée malienne, a indiqué cette dernière sur les réseaux sociaux.

Avant son départ, la Minusma affirme avoir pris "la décision difficile de détruire, désactiver ou mettre hors service des équipements de valeur, tels que des véhicules, des munitions, des générateurs et d'autres biens", une "option de dernier recours" suivant les règles de l'ONU. Ces équipements "ne pouvaient pas être retournés aux pays contributeurs de troupes auxquels ils appartenaient, ou redéployés vers d'autres missions de maintien de la paix".

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Des soldats de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) à Menaka, au Mali, le 22 octobre 2021. ( AFP / FLORENT VERGNES)

Le retrait du camp de Tessalit est le premier dans la région de Kidal et le "sixième" dans le pays. La Minusma avait aussi avancé celui de Ber, en raison de la montée des tensions. Il reste encore notamment l'évacuation du camp de Kidal, ville bastion des séparatistes, qui s'annonce périlleux.

Les groupes séparatistes s'opposent à ce que la Minusma remette les camps aux autorités maliennes, ce qui va à l'encontre selon eux des accords passés en 2014 et 2015 quand, après s'être soulevés en 2012, ils avaient accepté de cesser le feu et de faire la paix.

Ces groupes à dominante touareg ont repris les hostilités contre l'Etat central, et le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaïda, a multiplié les attaques contre les positions militaires.

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