Des enfants kidnappés à des fins de trafic d'êtres humains par un véhicule de l'ONU ? C'est faux

Le trafic d'êtres humains en Afrique de l'Ouest est régulièrement documenté, notamment par les organisations internationales et non-gouvernementales qui couvrent cette région du globe. Parmi eux, trois victimes sur quatre sont des enfants. Dans ce contexte, circule depuis plusieurs mois une vidéo montrant une foule faisant sortir des enfants d'une camionnette blanche. Selon les internautes qui la partagent, elle montre la libération en 2022 d'enfants kidnappés à des fins de trafic et récupérés dans un véhicule des Nations Unies. Mais c'est faux. Ces images ont été filmées en 2019 au Zimbabwe et la camionnette appartient à une société privée. A l'époque, des médias locaux rapportaient que son chauffeur avait été pris pour un kidnappeur, alors qu'il transportait des enfants vers leur domicile familial. Par ailleurs, les Nations unies ont déclaré à l'AFP que les message diffusés sur Facebook et X (ex Twitter) sont "faux" et qu'aucune de leur agence n'utilise le type de van visible dans la vidéo.

Sur la vidéo d'1'55", des dizaines de personnes massées près d'une camionnette blanche en tapent vivement la carrosserie, à coups de pieds et de mains. Une fois les portes ouvertes, plusieurs enfants sont extraits du véhicule, dans un brouhaha ininterrompu.

"Le 12 décembre 2022 Au Sénégal, en Afrique de l'Ouest, une foule a attaqué un véhicule des Nations Unies très tôt et a découvert qu'il transportait des enfants kidnappés à des fins de trafic d'êtres humains et de prélèvement d'organes avant de les libérer", prétendent en légende plusieurs publications depuis janvier 2023, à nouveau diffusées sur Facebook et sur X (ex-Twitter) à la fin du mois de septembre (liens archivés ici, ici, ici, ici et ici).

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Capture d'écran prise sur X le 13 octobre 2023 / Croix rouge ajoutée par la rédaction de l'AFP

Cette vidéo a également circulé de manière virale en anglais, en particulier sur X, où elle a été relayée près de 13.000 fois depuis le 27 septembre (lien archivé ici).

Trafic d'enfants en Afrique de l'Ouest

Le trafic d'êtres humains en Afrique de l'Ouest est régulièrement documenté, notamment par les organisations internationales et non-gouvernementales qui couvrent cette région du globe.

Ainsi, dans un rapport (lien archivé ici) publié en février 2021, l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (lien archivé ici), organe du Secrétariat des Nations unies, estimait que "sur les 4 799 victimes recensées dans 26 pays d'Afrique subsaharienne, 3 336 se trouvent en Afrique de l'Ouest, dont 2 553 enfants", à partir de données collectées entre 2016 et 2019.

Trois victimes sur quatre du trafic d'êtres humains en Afrique de l'Ouest sont ainsi des enfants, précise le rapport, ajoutant que "près de 80 % des victimes en Afrique de l'Ouest ont été victimes de la traite à des fins de travail forcé, qui reste la principale forme d'exploitation dans la région."

Les Nations unies sont par ailleurs bien présentes au Sénégal, où elles comptent "34 agences, fonds et programmes dont certains sont des représentations régionales ou sous-régionales couvrant plusieurs pays", peut-on lire sur le site de l'organisation (lien archivé ici).

Cependant, la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux n'a aucun lien avec l'ONU et n'a pas été tournée en 2022 au Sénégal : en réalité, elle a été filmée en 2019 au Zimbabwe et montre le véhicule d'une société privée dont le chauffeur transportait des enfants jusqu'à leur domicile familial. A l'époque, cet agent de sécurité a été pris pour un kidnappeur par une foule de citoyens en colère, à tort.

Une vidéo de 2019 tournée au Zimbabwe

Dès la première seconde de la vidéo, on peut lire une adresse et un numéro de téléphone sur le véhicule blanc : "33 Airdrie Road Eastlea".

A la 7ème seconde de la vidéo, une inscription nous met sur la piste d'une société à qui le van appartiendrait, "Sincere Security."

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Captures d'écran prises sur X le 10 octobre 2023, montrant un numéro de téléphone (à gauche) et une inscription en alphabet latin (à droite).

Une recherche avancée à partir des mots-clés "Sincere Security Airdrie Road Eastle" mène à une localisation au Zimbabwe, pays notamment voisin du Mozambique, bien loin de l'Afrique de l'Ouest et du Sénégal.

La société "Sincere Security Services", basée à cette adresse dans la capitale Harare, affiche sur son site (lien archivé ici) le même numéro de téléphone que celui affiché sur le véhicule visible dans la vidéo. Cette entreprise a été "créée en 2006. Entièrement détenue par des Zimbabwéens, Sincere est gérée par un personnel qualifié et expérimenté qui fournit des services de sécurité aux particuliers et aux entreprises", peut-on également y lire.

Une seconde recherche avancée avec les mots-clés "Sincere Security kidnapped children" ("Sincere Security enfants kidnappés", en français) conduit à une autre version de la vidéo (lien archivé ici) publiée sur Facebook par le média zimbabwéen ZimEye (lien archivé ici), le 19 avril 2019.

De bien meilleure qualité visuelle, on y reconnaît plusieurs éléments présents dans la vidéo relayée sur les réseaux sociaux, confirmant ainsi qu'il s'agit bien du même événement :

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Captures d'écran prises sur Facebook (à gauche) et sur X (à droite) le 13 octobre 2023

En légende des images retransmises sur Facebook, le média local ZimEye rapporte : "Une vidéo montre une camionnette de la société Sincere Security arrêtée par des citoyens qui la soupçonnent de trafic d'enfants. Il s'agirait d'un agent de sécurité qui transportait les enfants de son patron."

Dans un article (lien archivé ici) publié sur son site à la même date, le 19 avril 2019, ZimEye titrait : "Une foule en colère prend à partie un agent de sécurité de la société Sincere transportant les enfants de son patron, l'accusant de trafic d'enfants". Dans le corps de l'article, le média précise : "Lorsque la foule a vu les quatre enfants à l'arrière de la camionnette, ils ont accusé le chauffeur de les avoir enlevés et ont commencé à l'agresser. Après l'avoir violemment agressé, la foule a emmené l'homme au poste de police central de Bulawayo. Les parents des enfants se sont ensuite rendus au poste de police où ils ont éclairci l'affaire."

Un autre média local, Bulawayo24 News, a rapporté les mêmes faits dans un article (lien archivé ici) publié le 18 avril 2019. "Des habitants en colère ont emmené l'agent de sécurité ensanglanté au commissariat central de Bulawayo, mais ils sont repartis de peur d'être arrêtés, lorsqu'il s'est avéré que l'homme ne faisait que transporter les enfants de son patron dans une camionnette de l'entreprise", est-il détaillé.

La vidéo diffusée sur les réseaux sociaux n'a donc aucun lien avec le Sénégal, ni avec les Nations unies. Un porte-parole du bureau de l'ONU au Sénégal, Cheikh Sakho, a déclaré à l'AFP que l'affirmation selon laquelle un véhicule de l'ONU avait été utilisé pour du trafic d'enfants était une "fake news" : "Aucune de nos agences n'utilise le type de véhicule" que l'on voit dans la vidéo, a-t-il expliqué à notre rédaction.

13 octobre 2023 Revoici avec mise en forme corrigée

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