Ce que l’on sait de cette vidéo d’altercation entre deux politiciens en Centrafrique

  • Publié le 07 août 2023 à 18:19
  • Lecture : 6 min
  • Par : Anne ROLANDIN
Une vidéo, devenue virale sur les réseaux sociaux, prétend montrer une altercation violente entre deux ministres centrafricains. Si la vidéo se déroule bien en Centrafrique, les deux protagonistes ne sont cependant pas ministres. Selon plusieurs médias locaux, il s'agit de deux conseillers du président centrafricain, Jules Njawe et Wilfried Sebiro, filmés à la sortie d’un bureau de vote de Bangui, lors du référendum constitutionnel qui s'est tenu en Centrafrique le 30 juillet dernier. Une dispute aurait éclaté, sur fond de rivalités entre les deux hommes, en lien avec le chef d’Etat, Faustin-Archange Touadéra.

Une vidéo, partagée des centaines de fois sur Facebook mais aussi sur X (ex-Twitter) prétend montrer une altercation particulièrement violente entre deux hommes, présentés comme des "ministres" centrafricains sans toutefois que leur identité soit déclinée.

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Capture d'écran sur Facebook du 07/08/2023.




Les images amateurs montrent une foule de personnes amassées devant un bâtiment, des militaires, ainsi qu’une voiture, prête à démarrer. Deux hommes, vêtus pour l’un d’une chemise blanche et l’autre d'un polo de la même couleur, semblent hausser le ton et commencent à se bousculer. Un des deux hommes assène un premier coup, avant qu’ils ne soient séparés par les militaires et d’autres personnes présentes sur place.

Qui sont les deux hommes sur la vidéo ?

L’auteur de la publication, publiée le 30 juillet aux alentours de midi, évoque une "bagarre sauvage entre ministres", précisant être "en direct" des lieux, c’est-à-dire "au bureau de vote" à "Boyrab", un quartier du nord de Bangui (Centrafrique).

Selon le média LSI Africa (archive), qui a commenté la vidéo depuis son compte X (ex-Twitter) (archivé ici), les deux hommes seraient "deux collaborateurs du président Archange Touadéra. Les conseillers Jules Njawe et Wilfried Sebiro (...) conseiller en communication du chef d'État centrafricain".

En effectuant une recherche d'image sur internet, l’un des deux hommes présents sur la vidéo correspond effectivement à Jules Njawe, comme le montre cette capture d’écran.

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Capture d'écran sur Facebook du 07/08/2023.
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Capture d'écran sur Facebook du 07/08/2023.

 

 

Jules Njawe est un journaliste camerounais, fils de Pius Njawe, lui-même journaliste et fondateur du quotidien Le Messager. Il compte parmi les fervents soutiens du président Touadera, dont il est devenu un conseiller officiel. Il est également l’un des grands promoteurs de la réforme qui a fait du bitcoin (archive) une monnaie officielle en RCA. En outre, il intervient régulièrement dans les émissions de débats d’Afrique Média TV (archivé ici) (comme ici ou ici), chaîne considérée comme l’un des principaux relais d’influence pro-russe sur le continent.

L'autre protagoniste étant de dos, il est impossible de l'identifier avec certitude. Cependant, d’autres médias locaux ont affirmé qu’il s’agissait bien de Wilfried Sebiro, conseiller en communication du président Faustin-Archange Touadéra, comme nous pouvons le lire ici ou encore ici.

Wilfried Sebiro, ancien journaliste, est quant à lui conseiller en communication du chef de l’Etat depuis 2016. Il a un temps été à la tête du site d’informations en ligne Centrafrique Libre. Réputé proche de Moscou, il a notamment fait partie de la délégation qui avait accompagné Faustin-Archange Touadéra au sommet Russie-Afrique de Sotchi en 2019, ainsi que lors de la dernière édition de ce sommet qui s’est tenue à Saint-Pétersbourg les 27 et 28 juillet 2023.

La Centrafrique, comme de nombreux pays (archive) du continent africain, a entamé depuis plusieurs années un rapprochement avec la Russie, qui s'est amplifié par le biais de l'intervention du groupe paramilitaire Wagner, mais également avec le conflit entre Kiev et Moscou.

Un référendum constitutionnel

Le média LSI précise en outre que "l’incident s’est déroulé dimanche au bureau de vote du lycée Barthélémy Boganda à Bangui lors du référendum constitutionnel".

En effet, dimanche 30 juillet était organisé un référendum constitutionnel en Centrafrique. Le projet de nouvelle Constitution (archivé ici) sur lequel les Centrafricains étaient invités à se prononcer prévoyait notamment un allongement de la durée du mandat présidentiel de cinq à sept ans et la suppression de la limite du nombre des mandats.

Élu en 2016, le président Faustin-Archange Touadéra a été reconduit à son poste en 2020 à l'issue d'une élection perturbée par des groupes armés rebelles et entachée d'accusations de fraude. A l'origine de ce référendum, le chef de l'Etat, âgé de 66 ans, est accusé par ses adversaires (archivé ici) de vouloir rester "président à vie" d'un des pays les plus pauvres de la planète, avec l'aide en particulier de mercenaires de la société de sécurité privée russe Wagner déployés en Centrafrique depuis 2018.

Si le "Oui" l’a emporté, l’opposition a très vite évoqué un taux de participation extrêmement faible ne dépassant pas les "10 à 13%", après avoir notamment appelé au boycott du scrutin.

"Brouilles interpersonnelles" et "xénophobie"

Selon plusieurs sources, l’altercation entre les deux conseillers s'inscrirait dans un contexte de rivalités entre proches du pouvoir espérant s'attirer les faveurs de la présidence. Une vision jugée plausible par Charles Bouessel, analyste sur la Centrafrique à l’ICG (archive) qui affirme que "les rivalités et brouilles interpersonnelles sont fréquentes dans l’entourage du président”.

"Si le cercle présidentiel semble faire front uni derrière Touadéra, il n’en n’est pas moins régulièrement traversé par des tensions internes sur fond d’affairisme", a-t-il ajouté.

Du point de vue de Jules Njawe, qui s’est exprimé à travers un communiqué rédigé par Baudouin Nyobe, représentant médias également réputé proche de Moscou, celui-ci aurait été "roué de coups de poing par l’un des conseillers du président" après un désaccord concernant la gestion des journalistes présents sur place.

La scène se serait ainsi déroulée "vers 9h30 ce dimanche (30 juillet, NDLR) au lycée Barthélémy Boganda où le Président de la République Faustin Archange Touadera devait voter comme citoyen [sic]".

"Après son devoir citoyen, le président est en train de sortir pour une déclaration devant la presse nationale et internationale, chose que le ministre conseiller en communication à la présidence , Wilfried Maurice Sebiroet ne voulait pas. Jules Njawé qui orientait les journalistes, demande donc aux médias de trouver un endroit idéal pour le faire. Dans ses échanges avec les journalistes, le ministre conseiller en communication à la présidence , Wilfried Maurice Sebiro s’interpose et se met à crier à tue tète [sic]", est-il également précisé dans le communiqué.

C’est après le départ du président que Wilfried Sebiro aurait alors "sauté sur Jules Njawé [sic]", qui aurait quant à lui auparavant joué "à fond la carte de l’apaisement", assurant que Wilfired Sebiro serait surtout "animé d’un esprit de xénophobie", Jules Njawe étant né au Cameroun.

Une demande d'autorisation de marche pacifique a en outre été déposée trois jours après l'altercation, a rapporté le média en ligne CNC (archive), dans l'objectif de "réclamer l'expulsion du camerounais Jules Njawe", qui "aurait été l'instigateur de cette violente bagarre en donnant le premier coup à son homologue centrafricain, Wilfried Sebiro, même si c'est ce dernier qui aurait ouvert les hostilités par des attaques verbales".

Contacté, Wilfried Sebiro n’a pas donné suite aux sollicitations de l’AFP.

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