Non, cette vidéo ne montre pas des migrants expulsés de Tunisie, elle a été filmée en République dominicaine

L'expulsion de centaines de migrants d’Afrique subsaharienne par la Tunisie début juillet, a suscité un vif émoi sur les réseaux sociaux, nombre d'entre eux ayant été, selon des ONG, abandonnés à leur sort dans des zones inhospitalières près de la Libye et de l'Algérie. Une vidéo censée illustrer ces évènements et partagée plus de 10.000 fois sur Facebook, montre des hommes forcés à monter dans des camions sous la surveillance de policiers et de soldats. Attention, ces images ont été prises en République dominicaine et concernaient des Haïtiens en situation irrégulière arrêtés en juin.

Image
Capture d'écran d'une publication sur Facebook, réalisée le 18 juillet 2023

"En direct de la Tunisie", annonce l’auteur de cette publication devenue virale sur les réseaux sociaux en Afrique de l'Ouest. La séquence de près de 3 minutes (archivée ici) laisse apparaître une trentaine de jeunes hommes qui sortent en file indienne d’un immeuble et sont poussés par des policiers en uniforme vers un camion stationné sous la garde de l'armée.

"Famille, c’est juste pour vous montrer ça", déclare la voix masculine sur la vidéo. "Ça se passe en Tunisie actuellement. La famille, c’est triste hein. En Afrique noire, c’est comme si on n’a pas de président", se plaint-il, avant de s'exprimer dans une langue ressemblant au pular (peul), notamment parlé en Guinée.

D’après une traduction obtenue par l’AFP, il insinue (dès 2 minutes 34 secondes) que les hommes qu'on voit aux mains de la police sont des ressortissants burkinabè, camerounais, guinéens, ivoiriens, sénégalais et maliens.

A lire les centaines de commentaires postés sous la publication, certains internautes semblent en effet convaincus que cette vidéo est liée à l'actualité récente qui touche les migrants expulsés de Sfax, dans le centre-est de la Tunisie.

A la suite d'affrontements ayant coûté la vie à un Tunisien le 3 juillet, des centaines de migrants ont été chassés de Sfax (dépêche archivée ici), principal point de départ pour l'émigration clandestine en Méditerrannée, et ont été conduits, selon plusieurs ONG, en zones désertiques près de la Libye, à l'est, et de l'Algérie, à l'ouest.

Une opération de la police à Constanza

Mais la vidéo qui circule n'est pas liée au drame des migrants en Tunisie. Elle a été filmée en République dominicaine, en Amérique centrale. Sous le post viral, certains internautes affirment que ces images proviennent de République dominicaine, et ils ont bien raison.

Le nom "Republica Dominicana" est en effet lisible sur le capot avant du pick up qu'on voit à gauche, au début de la vidéo (dès la 5ème seconde).

Image
Capture d'écran d'une publication sur Facebook, réalisée le 18 juillet 2023

De plus, l’uniforme de certains hommes sur cette séquence correspond effectivement à celui qu’arbore une partie de la police dominicaine, avec le drapeau national bleu blanc rouge sur l'épaule droite; en témoignent des images trouvées sur la page Facebook certifiée (archivée ici) de la police de ce pays.

Image
Capture d'écran de la publication virale sur Facebook, réalisée le 19 juillet 2023
Image
Capture d'écran sur la page de la police nationale dominicaine sur Facebook, réalisée le 18 juillet 2023

 

 

Par ailleurs, les mots "Policia nacional" inscrits au dos de l'uniforme des policiers, sont en espagnol, tout comme "control migratorio", sur le camion à bord duquel sont dirigés les civils sur la vidéo. Pourtant, la langue officielle en Tunisie est l’arabe.

La vidéo virale a été initialement publiée (archive ici) le 15 juin, sans voix off, par un compte TikTok dont le nom, @rafaelgil5883, apparait à la fin de la séquence partagée sur Facebook. Cette fois, selon la description en espagnol qui l'accompagne, elle montre "des dizaines de Haïtiens sans papiers arrêtés dans différents secteurs de Constanza pour être expulsés”, dans le cadre d'une opération menée conjointement par plusieurs forces dont la Direction générale des migrations et la police nationale.

Sollicité par l'AFP, l'auteur de ce post n'a pas donné suite mais ses comptes TikTok et Facebook sont essentiellement consacrés à l'actualité en République dominicaine, surtout aux questions touchant l'immigration haïtienne.

Constanza est une municipalité du centre de la République dominicaine. Nous avons effectué une recherche sur Google avec le nom de cette localité comme principal mot-clé.

On trouve ainsi une vidéo similaire (archivée ici) publiée le 15 juin sur la chaîne YouTube d'un site d'actualités dominicain, qui décrit également une opération de police à Constanza ayant débouché sur l'arrestation de "Haïtiens en situation irrégulière".

Une vidéo publiée par un autre site d'actualités local sur Facebook (archivée ici) évoque une précédente opération de la police municipale de Constanza menée en janvier 2023. On y voit le même camion immatriculé "F-213", que celui qu’on voit sur la vidéo virale.

Image
Capture d'écran de la publication virale sur Facebook, réalisée le 19 juillet 2023
Image
Capture d'écran de la publication virale sur Facebook, réalisée le 19 juillet 2023

 

 

Nous avons ensuite saisi l’adresse de la police de Constanza dans l’outil de géolocalisation Google Maps (archivée ici) et avons trouvé des photos du bâtiment officiel. De nombreux indices visuels montrent qu’il s’agit du même édifice que sur la séquence virale.

On y voit les mêmes poutres bleues avec des traits blancs (flèche jaune), le même hall au sol rosâtre (flèche rouge) et la même bande jaune sur le sol à l'entrée du bâtiment (flèche orange).

Image
Capture d'écran d'une publication virale sur Facebook, réalisée le 19 juillet 2023
Image
Capture d'écran d'une photo publiée sur Google Maps, réalisée le 18 juillet 2023

 

 

De plus, on remarque la même fenêtre avec des grilles blanches (flèche rouge) sur la vidéo virale et sur la photo publiée sur Google Maps.

Image
Capture d'écran d'une photo publiée sur Google Maps, réalisée le 18 juillet 2023
Image
Capture d'écran d'une photo publiée sur Google Maps, réalisée le 18 juillet 2023

 

 

Nous avons contacté la police dominicaine pour restituer le contexte de cette vidéo mais elle n'avait pas réagi à date de publication.

En revanche, des médias locaux (1,2) ont eux aussi rapporté que la police de Constanza a intercepté le 12 juin, qui correspond à la période de publication des vidéos retrouvées sur TikTok, un bus transportant 44 ressortissants haïtiens sans papiers.

Les arrestations de Haïtiens en situation irrégulière en République dominicaine sont récurrentes.

Un reportage de l’AFP (archivé ici) diffusé en décembre 2022, expliquait que les autorités dominicaines sont confrontées à un important flux migratoire à la frontière avec Haïti.

Chaque année, le pays accueille (dépêche archivée ici) quelque 500.000 Haïtiens en quête d'une vie meilleure. Et entre 100.000 et 200.000 immigrés haïtiens sont expulsés (171.000 en 2022) dans un contexte de xénophobie et de tensions entre les deux voisins de l'île d'Hispaniola.

Face à l'emprise grandissante des gangs sur Port-au-Prince, le flux migratoire venu d'Haïti s'est amplifié et a récemment conduit la République dominicaine à durcir sa politique, entamant notamment la construction d'un mur sur la moitié de la frontière entre les deux pays.

La vidéo qui circule n’a donc aucun lien avec les évènements survenus récemment en Tunisie.

"Conditions inhumaines" en Tunisie

La situation des migrants en Tunisie a suscité l'indignation début juillet lorsque "les forces de sécurité tunisiennes ont expulsé collectivement plusieurs centaines de migrants demandeurs d'asile africains noirs, dont des enfants et des femmes enceintes, depuis le 2 juillet 2023, vers une zone tampon éloignée et militarisée à la frontière entre la Tunisie et la Libye", selon un communiqué de l’ONG Human Rights Watch (dépêche AFP archivée ici).

A la suite d'affrontements ayant coûté la vie à un Tunisien le 3 juillet, des centaines de migrants africains ont été chassés de la ville de Sfax (centre-est), principal point de départ pour l'émigration clandestine vers l'Europe, avant d'être transférés vers des zones inhospitalières près de la Libye, à l'est, et l'Algérie, à l'ouest.

Des ONG ont dénoncé des "conditions inhumaines" sur la base de nombreux témoignages recueillis auprès de migrants qui montrent qu'ils ont été laissés sans eau, ni nourriture, ni abris en plein désert.

L'Union européenne et la Tunisie ont conclu "un partenariat stratégique" qui prévoit l'octroi par Bruxelles de 105 millions d'euros à Tunis sous forme d'équipements et pour financer un "retour volontaire" de 6.000 Subsahariens.

Vous souhaitez que l'AFP vérifie une information?

Nous contacter