Référendum au Mali: la région de Kidal n'a pas pris part au vote

Alors que les autorités de transition organisaient un référendum pour l'adoption d'une nouvelle Contitution au Mali, le 18 juin, une vive polémique a agité les réseaux sociaux pour savoir si oui ou non, le vote avait eu lieu dans la région stratégique de Kidal, bastion de l’ex-rébellion touareg du nord. Une confusion alimentée par l'autorité électorale malienne, qui a multiplié les déclarations contradictoires. Au soir du scrutin, des observateurs de la société civile et de nombreux responsables locaux avaient démenti sa tenue effective dans cette partie du pays, affirmant que les bureaux de vote n'avaient pas ouvert. Les résultats officiels annoncés le 23 juin semble conforter leur version des faits: Kidal est la seule région pour laquelle aucun chiffre n'a été publié.

Quelques heures après la fermeture des bureaux de vote, le 18 juin, des dizaines de comptes pro-junte ont inondé Facebook et Twitter de posts affirmant que le scrutin s’était bien déroulé dans la région de Kidal, pourtant contrôlée par des groupes armés hostiles aux colonels au pouvoir à Bamako. La preuve brandie par ces relais médiatiques ? Des images (archivées ici, dès la 32ème minute) diffusées par l’Office de radio et télévision du Mali (ORTM) dans son journal télévisé de 20 heures.

Sur cette vidéo de mauvaise qualité, visiblement tournée au téléphone portable, on voit montrant des électeurs déposer leur bulletin dans une urne posée à même le sol en terre battue, entourée d'hommes au visage enturbanné assis sur des nattes, dans ce qui est présenté comme un bureau de vote d’Aguelhoc, une localité du cercle de Tessalit, qui fait partie de la région de Kidal.

"Les Maliens ont voté partout avec la même ferveur", commentait alors avec entrain la présentatrice du journal. "Les opérations référendaires se sont déroulées sans incident à Tessalit et Aguelhok selon des sources locales ; comme vous pouvez le constater dans ces images".

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Selon les résultats communiqués par l’autorité électorale nationale, les Maliens ont approuvé (dépêche archivée ici) avec 97% des voix le projet de révision constitutionnelle qui renforce les pouvoirs du président, fait la part belle aux forces armées, et prévoit l'amnistie pour les auteurs de coups d’Etat antérieurs à cette réforme, entre autres dispositions. La participation est restée relativement faible, comme traditionnellement, avec 39,4% des électeurs, soit environ 3 millions de personnes ayant pris part au vote.

Enjeu de souveraineté

Ce référendum est présenté comme une étape importante sur le chemin devant aboutir à un retour des civils à la tête de ce pays confronté à une profonde crise multisectorielle, gangréné par les attaques jihadistes et dirigé depuis 2020 par des militaires parvenus au pouvoir par la force.

Mais les détracteurs du projet le décrivent comme taillé sur mesure pour permettre aux colonels - et en premier lieu au président de transition Assimi Goïta - de se maintenir au-delà de la présidentielle prévue en février 2024, malgré leur engagement à rétrocéder la place aux civils après les élections. Observateurs et partis d'opposition n'ont d'ailleurs pas tardé à dénoncer de multiples fraudes et incidents susceptibles d'entacher la crédibilité du scrutin, notamment dans le nord du pays.

La tenue du vote à Kidal était un enjeu majeur de souveraineté pour Bamako, cette région étant largement contrôlée par la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA), principale alliance d'anciens rebelles à dominante touareg du nord, dont les relations avec la junte se sont détériorées ces derniers mois. La CMA et d’autres groupes armés qui ont combattu l'Etat central avant de signer avec lui un fragile accord de paix (dépêche archivée ici) en 2015, étaient opposés à la tenue du vote sur un texte dans lequel ils disent ne pas retrouver l'accord de 2015. Cet accord, qui prévoit notamment des mesures de décentralisation et l'intégration d'ex-rebelles dans l'armée nationale, n'est que très peu mis en œuvre.

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Zones d'influence des groupes armés au Sahel. Infographie AFP, 18 août 2021 ( Conseil européen des Relations internationales, MINUSMA)

L'Autorité indépendante de gestion des élections (Aige) a répété à plusieurs reprises que le scrutin s'était tenu sur "tout le territoire". Or, la seule "preuve" présentée jusque-là de la tenue du scrutin est la vidéo de l’ORTM à Aguelhoc, abondamment relayée et commentée sur les réseaux sociaux dans les jours suivants.

Contacté par l’AFP, un responsable de la télévision publique s’exprimant sous couvert d’anonymat a pourtant affirmé qu’"aucune équipe de reportage de la télévision nationale n’a été déployée dans la région de Kidal". Il assure en outre que les images utilisées par la chaîne leur ont été envoyées par "l’administration" malienne.

Zéro votant

En outre, cinq jours après l'annonce des résultats le 23 juin, les tableaux de chiffres publiés (lien archivé ici) sur son site bureau de vote par bureau de vote restent blancs pour la région de Kidal. Plus exactement,toutes les communes de cette zone affichent zéro nul, zéro votant, et zéro suffrage exprimé que ce soit pour le oui ou pour le non.

Un compte-rendu de l'antenne régionale de l'Aige à Kidal qui a fuité et a pu être authentifié par l'AFP donne quelques éléments d'explication. "Le référendum n'a pas pu se tenir sur l'ensemble de la région", expliquait (dépêche archivée ici) le coordinateur régional Issouf Sylla dans ce document interne, faute de "matériel de vote" et "d’agents électoraux", déployés sur place. Le président de l’AIGE au niveau national, Moustapha SM Cissé, avait dénoncé dans la foulée "la diffusion de faux documents et de fausses informations", relayés par des individus "n'ayant aucune qualité pour s'exprimer" au nom de l'organe.

Dans son rapport à l’issue du scrutin du 18 juin, la Mission d’Observation des Élections du Mali (Modele-Mali), soutenue par l'Union européenne, a elle aussi relevé (publication archivée ici) sans ambiguïté "la non-tenue des élections dans la région de Kidal" où elle avait déployé plus de 150 observateurs.

"Si quelqu’un a la preuve qu’il y a eu élection à Kidal, qu’il nous l’apporte", défiait Dr Ibrahima Sangho, le chef de la Modele au cours d’une conférence de presse le 19 juin. "Nous n’avons vu aucun bureau de vote ouvert dans les localités de Kidal ni constaté des rangs d’électeurs. Il n’y a pas eu de vote. Nous, on est formels", réitérait Abdoulaye Guindo, le chef adjoint de la mission Modele, lors d'un entretien à l'AFP le 22 juin.

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Des Maliens de la diaspora votent à Abidjan lors du référendum sur le projet de nouvelle Constitution malienne, en Côte d'Ivoire, le 18 juin 2023. ( AFP / SIA KAMBOU)

Un autre organisme, la Coalition pour l’observation citoyenne des élections au Mali (Cocem), est parvenu aux mêmes conclusions (communiqué du 18 juin archivé ici), ses observateurs n’ayant constaté l’ouverture d'aucun centre ou bureau de vote dans la région de Kidal.

Comme redouté par les autorités de transition, la CMA a donc fait barrage (dépêche archivée ici) à la consultation populaire en empêchant l’acheminement du matériel électoral.

"Nous savions que plusieurs semaines avant le référendum, les groupes armés qui contrôlent cette partie du territoire-Kidal- étaient en discussion avec le gouvernement" parce qu'ils dénoncaient le manque d’inclusivité dans la réforme constitutionnelle, explique Abdoulaye Guindo de la mission Modele. "Le 11 juin, alors que les militaires devaient voter, il n’y a pas eu vote. L’absence de vote le 18 juin à Kidal montre qu’il n’y a pas encore eu d'accord entre les deux parties”, souligne-t-il.

"Bourrage d'urnes"

Et selon plusieurs sources contactées par l'AFP, l'autorité électorale a tenté d'organiser un "simulacre de vote" en dehors des procédures légales pour contourner les difficultés logistiques posées par les anciens rebelles.

A Aguelhoc, où une protestation (images authentifiées par l'AFP et archivées ici) a eu lieu le 18 juin pour dénoncer ces manoeuvres, la Coordination des leaders traditionnels s’est dite "consternée" par ce qu’elle considère comme "la plus grande mascarade électorale en République du Mali depuis son indépendance", et a qualifié la vidéo diffusée sur l’ORTM d’"exercice digne d'un film hollywoodien".

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Capture d'écran d'une publication Facebook diffusant les images d'une manifestation à Aguelhok, une localité de la région de Kidal, le 18 juin 2023

Le Collectif des jeunes d'Aguelhoc a par ailleurs affirmé dans un communiqué (archivé ici) que du matériel acheminé "en toute discrétion" a été confié à des hommes en armes qui se sont organisés dans une maison située en périphérie de la localité pour "bourrer les urnes".

Les résultats définitifs doivent maintenant être validés par la Cour constitutionnelle. La question qui se pose désormais est celle de la validité du scrutin car, selon la Constitution actuelle, "aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire" (article 118).

A date de publication de cet article, la direction nationale de l'Aige n'a pas réagi aux sollicitations de l'AFP. Aucun membre du gouvernement ne s'est non plus exprimé sur ces résultats à Kidal.

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