Une habitante porte un masque à New York pendant un épisode de pollution atmosphérique causé par les incendies au Canada, le 7 juin 2023. ( AFP / ANGELA WEISS)

Attention à ces publications sur l'origine du brouillard orangé à New York en juin 2023

Alors que les Etats-Unis sont touchés depuis le début du mois de mai par un épisode sans précédent de pollution atmosphérique, des publications partagées sur les réseaux sociaux laissent entendre que l'apparition d'un important voile jaune-orangé sur New York en juin serait causée par un composé chimique : le nitrate d'ammonium. Mais les scientifiques interrogés par l'AFP attribuent ce brouillard sur New York et toute la côte est des Etats-Unis aux fumées des multiples feux de forêt qui ont ravagé le Canada, en expliquant que cette couleur est liée à la réfraction des particules de fumée à la lumière.

"Ce nuage n'est jamais passé au-dessus de ma maison. Et ça aurait dû être le cas pour se déplacer jusqu'à New York", affirme une femme qui dit vivre entre le Canada et New York dans une vidéo partagée plus d'un 1,3 million de fois sur TikTok en anglais avant d'être supprimée.

"J'aimerais aussi vous demander ceci : quelle couleur prend le nitrate d'ammonium lorsqu'il brûle ? Je dis ça...", ajoute-t-elle, laissant entendre que la fumée orange visible à New Yorkle 7 juin serait due au nitrate d'ammonium, un composé chimique.

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Capture d'écran prise le 26/06/2023

La vidéo avait néanmoins été reprise avant sa suppression et circule depuis sur plusieurs réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter en français.

Un visuel a même été ajouté à la vidéo originale et montre côte à côte une photo de fumée grise avec écrit "fumée d'un incendie de forêt", puis une fumée rouge, avec indiqué "fumée de la nitrate d'ammonium qui brûle".

D'autres publications affirment même que l'apparition de ce voile serait liée à la disparition d'une cargaison de nitrate d'ammonium en Californie.

Une trajectoire qui n'a rien d'anormal

Depuis le début du mois de mai, le Québec est durement frappé par des incendies historiques, et la fumée des quelque 400 brasiers canadiens a touché les Etats-Unis.

Or, les données météorologiques cartographiées par l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (NOAA) et de l'Université d'Etat du Colorado (archivées ici) montrent que la trajectoire de la fumée des feux de forêt n'a rien d'anormale, contrairement à ce que sous-entend la femme sur Tik Tok.

La fumée des feux de forêt canadiens s'est bien propagée, selon ces données, vers l'est des Etats-Unis, jusqu'à la ville de New York.

Le 7 juin à New York, la statue de la Liberté et les gratte-ciel de Manhattan étaient enveloppés d'un brouillard orange et marron, poussant plusieurs habitants à porter des masques.

La visibilité était tellement faible dans la région que l'Agence américaine de l'aviation civile (FAA) a ralenti le transport aérien et même cloué certains avions au sol.

Le gouvernement américain a également appelé les habitants les plus vulnérables à "prendre des précautions" face à la dégradation de la qualité de l'air. L'Agence de protection de l'environnement (EPA) expliquait dans cette dépêche de l'AFP que plus de 100 millions d'entre eux étaient concernés par des alertes à la qualité de l'air à cause de la fumée provoquée par les incendies au Canada.

Jennifer Murphy (archive), professeure de chimie atmosphérique à l'université de Toronto, a expliqué à l'AFP le 16 juin qu'un courant d'air inhabituel a poussé la fumée vers l'ouest, en direction de la province de l'Ontario, avant de se déplacer vers le sud-est.

La page (archive) consacrée aux prévisions de fumée du CECC indique que la fumée peut parcourir, avec le vent, des milliers de kilomètres lors d'un incendie, et ainsi atteindre des zones très éloignées.

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Les fumées des incendies au Canada ( AFP)

"La fumée des incendies de forêt a affecté des millions de personnes aux États-Unis et au Canada", explique Nicole Allen, porte-parole du ministère canadien pour l'Environnement et le changement climatique (ECCC), interrogée par l'AFP le 21 juin. "Les scénarios météorologiques de grande échelle et les vents qui en résultent peuvent faire voyager la fumée sur de grandes distances", a-t-elle ajouté.

Une couleur atypique causée par les particules de fumée

Nicole Allen (archive) explique que la couleur observée dans le ciel new-yorkais n'était pas due à un composant chimique mais s'expliquait par les incendies eux-mêmes.

En effet, l'air "pur" contient généralement de petites particules qui diffusent de la lumière bleue, donnant la couleur typiquement bleue du ciel. Or, les plus grosses particules contenues dans la fumée des incendies de forêt diffusent une lumière rouge, ce qui peut colorer les fumées en rouge, jaune ou orange.

"Ce que les gens vont surtout remarquer, ce sont les particules qui diffusent la lumière", abonde la professeure de chimie atmosphérique Jennifer Murphy. "Il s'agit de la lumière qui rebondit sur les particules et qui rend plus sombre, ce qui réduit la visibilité", précise-t-elle.

L'experte explique que la fumée des incendies de forêt peut parfois paraître sombre parce que certaines particules, comme le carbone brun et le noir de carbone, absorbent la lumière en plus de la réfracter, c'est-à-dire la faire dévier.

Le nitrate d'ammonium

Le nitrate d'ammonium est un sel blanc et inodore utilisé comme base de nombreux engrais sous forme de granulés, mais aussi comme explosif industriel.

C'est une substance qui peut s'avérer dangereuse, dont le stockage sans mesures de précaution d'une importante quantité est à l'origine de l'explosion du 4 août 2020 sur le port de Beyrouth au Liban qui a fait plus de 215 morts et ravagé les quartiers proches.

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Vue aérienne du port de Beyrouth après l'explosion du 4 août 2022 ( AFP / -)

Au début du mois de mai 2023, une cargaison de nitrate d'ammonium du fabricant américain de produits chimiques Dyno Nobel a disparu, alimentant les théories selon lesquelles les fumées aux Etats-Unis seraient dues à ce composant.

L'entreprise Dyno Nobel n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP, mais elle indiquait dans des déclarations antérieures (archive) que le nitrate d'ammonium était conditionné en pastilles non combustibles, qui ne représenterait sous cette forme, selon elle, pas de danger pour le grand public.

Lorsque le nitrate d'ammonium se combine à l'oxygène et au carburant, il crée un puissant explosif qui produit de l'oxyde d'azote lorsqu'il explose, explique la revue de vulgarisation scientifique Scientific American. L'explosion sur le port de Beyrouth avait par exemple provoqué une fumée rougeâtre dans le ciel en raison de la présence d'oxyde d'azote.

Jennifer Murphy explique qu'il est possible que la fumée des incendies de forêt contienne des traces de nitrate d'ammonium, car ces incendies peuvent produire de l'ammoniac et de l'oxyde d'azote. Les scientifiques ont ainsi confirmé la présence de niveaux élevés de ce composé dans l'air, à Salt Lake City (archive), dans l'Utah. Mais la couleur du ciel à elle seule "n'est pas une preuve de la présence de nitrate d'ammonium".

Le 25 juin, une fumée âcre recouvrait encore Montréal d'un voile dû aux feux de forêt toujours actifs au Canada, en faisant la ville à l'air le plus pollué au monde, selon l'entreprise Iqair, spécialisée dans l'étude des polluants atmosphériques.

Feux de forêt au Canada

Depuis le début de la saison des feux de forêt au Canada, qui a atteint une intensité historique, l'AFP a réfuté de nombreuses allégations sur le caractère criminel de ces incendies.

Certaines affirment que des activistes aux motivations politiques sont à l'origine des incendies, alors que les autorités canadiennes pointent du doigt la foudre et d'autres causes. D'autres encore nient la réalité du changement climatique.

Dans un communiqué de presse publié le 5 juin (archivé ici), Ressources naturelles Canada (RNC) explique que le réchauffement climatique aggrave la saison des feux de forêt au Canada. Cette année est particulièrement destructrice en raison des conditions météorologiques chaudes, sèches et venteuses.

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Le réchauffement climatique aggrave les incendies de forêt ( AFP)

Des chercheurs en chimie de l'Université de la Colombie-Britannique (UBC) expliquent dans un article (archive) paru en novembre 2022 que les particules des incendies de forêt qui changent la couleur du ciel contribuent également à l'accélération du réchauffement de la planète.

"Certaines particules sont colorées, ce qui signifie qu'elles absorbent une partie de la lumière", indique l'article, expliquant que "toute lumière du soleil qui est absorbée, au lieu d'être reflétée dans l'espace, est convertie en chaleur et réchauffe la planète."

Le Canada dans son ensemble vit une année sans précédent : environ 2.300 incendies de forêt ont été recensés et environ 3,8 millions d'hectares ont été brûlés, soit un total bien supérieur à la moyenne des dernières décennies.

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