Des milliers de réfugiés burkinabè ont pris refuge dans le nord de la Côte d’Ivoire, fuyant les violences djihadistes ( AFP / SIA KAMBOU)

Côte d’Ivoire : attention aux rumeurs incendiaires qui circulent sur les réfugiés venus du Burkina

Selon une vidéo diffusée sur Facebook, la présence de plus de 18.000 réfugiés burkinabè dans le nord de la Côte d’Ivoire à moins de deux ans de la présidentielle ne serait pas un hasard : il s’agirait d’une manœuvre orchestrée par le parti du président Alassane Ouattara pour gonfler son vivier d’électeurs et conserver le pouvoir. L’auteur de cette vidéo, qui se présente comme un "activiste panafricain", assure que ces personnes n’ont pas véritablement fui de violences au Burkina Faso et devraient retourner dans leur pays. Des affirmations contredites par les agences humanitaires et associations locales qui leur viennent en aide, de même que par les témoignages recueillis par l’AFP sur place : ces réfugiés, dont les premières vagues sont arrivées en Côte d’Ivoire il y a deux ans, ont fui des attaques djihadistes de l’autre côté de la frontière.

La vidéo partagée le 10 mai sur le compte Facebook "La Voix des sans voix 2.0tv" enregistre plus de 220.000 vues et débute par un extrait de reportage relatif à la construction d’un site d’accueil pour les réfugiés burkinabé dans le nord de la Côte d’Ivoire. Une voix off décrit le site comme "un véritable village qui sort de terre". Un peu plus loin dans le reportage, un agent du ministère ivoirien du logement parle de "1070 maisons sur un site de 10 hectares, des appartements de deux pièces en terre battue". Le site en construction se trouve à 14 km de Bouna dans le nord de la Côte d’Ivoire mais, selon le commentateur, d’autres lieux ont été identifiés pour accueillir les réfugiés (Doropo, Téhini, Kong, Ouangolodougou).

Selon "l'activiste panafricain" qui commente ensuite ce reportage d’un ton très critique, "plus de 18.000 burkinabé sont envoyés en Côte d’Ivoire par Alassane Dramane Ouattara alors que nous sommes à deux ans de la présidentielle". Il dit ne pas croire que ces personnes fuient un quelconque conflit. Il affirme que "les endroits d’où viennent ces personnes n’ont pas subi d’attaques" et qu’il existe au Burkina Faso "des villes plus proches [de chez eux] et plus sécurisées" capables de les accueillir.

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Capture d'écran Facebook effectuée le 26 mai 2023

"L’activiste panafricain" s’indigne que des villages soient construits pour ces personnes alors qu’"Alassane Ouattara a cassé la maison des Ivoiriens". Selon lui, ces quelque 18.000 personnes font partie d’une conspiration orchestrée par le gouvernement et ont été acheminées pour participer aux élections présidentielles de 2025 en Côte d’Ivoire et permettre au camp de M. Ouattara de se maintenir au pouvoir.

Les 18.000 personnes sont-elles de "faux réfugiés" comme le prétend "l’activiste panafricain" ? D’où viennent ces personnes qui sont présentes dans le nord de la Côte d’Ivoire et quelles sont les raisons qui les ont poussés à quitter leur pays ? Le nombre de 18.000 réfugiés burkinabè a été largement relayé par plusieurs médias (1, 2, 3, 4) et confirmé récemment par le gouvernement Ivoirien. C’est le Conseil national de sécurité (CNS), dirigé par le président Ouattara, qui pilote la politique d’accueil de ces réfugiés.

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Capture d'écran de la page Facebook de la primature effectuée le 26 mai 2023

Il organise notamment la distribution de vivres et autres biens de première nécessité, la construction de sites d’accueil et l’identification biométrique des réfugiés. Selon un communiqué du CNS publié le 12 avril, après une réunion consacrée à la situation sécuritaire dans le nord du pays, 4.235 personnes ont déjà été recensées sur les 18.846 réfugiés estimés par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) dans le nord du pays.

Concernant les raisons de la présence de ces réfugiés sur le territoire ivoirien, le HCR précise ceci dans son "rapport de la situation des réfugiés du Nord - Côte d’Ivoire" publié en mai 2023 : "les principales raisons de départ des demandeurs d’asile de leurs villages au Burkina Faso sont des conflits armés/Insécurité généralisée, des menaces, intimidations et attaques par des groupes armés non identifiés dans les villages".

Le Burkina Faso, pays du Sahel, est en proie à des violences djihadistes depuis ces dix dernières années. Les djihadistes contrôlent 40% du territoire burkinabé selon le gouvernement américain, indiquait en avril un rapport du centre de recherche Soufan Center.

"Personne ne quitte un endroit où il est né et où il a vécu pendant toute sa vie sans qu’il n’y ait une raison valable et sérieuse. C’est ainsi que les réfugiés que nous avons interrogés dans le cadre de nos actions communautaires de cohésion sociale ont évoqué les raisons sécuritaires et les violences terroristes comme étant celles qui ont précipité leur départ du Burkina Faso", nous explique Jacques Kobenan Krako, directeur exécutif de l’association Les Flamboyants qui travaille auprès des réfugiés.

Des milliers de réfugiés en provenance du Burkina ont commencé à arriver en mai 2021, selon l’ONU. "Bien qu’il existât déjà des personnes et familles qui avaient trouvé refuge en Côte d’Ivoire, le flux le plus important de réfugiés a commencé à se faire sentir autour de février 2023", précise à l’AFP M. Kobenan Krako, ajoutant que certains sont partis de chez eux en emmenant leur bétail, pour empêcher qu’il soit pillé par les groupes armés.

La principale zone de départ des réfugiés identifiée par le HCR se situe dans le sud du Burkina Faso. Ces personnes arrivent dans le nord de la Côte d’Ivoire dans les régions frontalières du Bounkani, du Tchologo et du Poro. Des sites "de transit" sont en cours d’aménagement dans les départements de Ouangolodougou (nord) et Bouna (nord-est) afin "d’accueillir provisoirement" les réfugiés, selon le CNS. Pour l’instant, ils dorment dehors ou sont pris en charge par des familles d’accueil dans les localités les plus proches de la frontière comme Tougbo, Doropo, Tiéhini, Ouangolodougou...

D’ailleurs, des journalistes de l’AFP s’étaient rendu en janvier 2022 à Tougbo pour rencontrer des familles de réfugiés qui campaient sous des tentes de fortune éparpillées dans la forêt. "On a tout laissé derrière nous là-bas, notre riz, notre maïs. Nous n’avons plus rien ici. Pour avoir de quoi manger c’est difficile", confiait alors Kadiatou Ouattara, qui comme les autres, a fui du jour au lendemain après une attaque jihadiste.

A lire les centaines de commentaires sous la publication virale, la présence de ces réfugiés burkinabè dans le nord de la Côte d’Ivoire inquiète certains internautes. Les uns estiment qu’il s’agit d’un convoyage de "bétail électoral", certains s’indignent de la "construction de village alors que les ivoiriens sont sans logements", quand d’autres assurent qu’il s’agit de "personnes qui iront déstabiliser le Burkina Faso".

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Capture d'écran Facebook effectuée le 26 mai 2023
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Capture d'écran Facebook effectuée le 26 mai 2023

 

 

Cette rhétorique sur les liens du président Ouattara avec le Burkina n’est pas nouvelle de la part de ses détracteurs. Elle est l’héritage de la contestation de sa nationalité depuis son entrée en politique, et a nourri depuis le début des années 2000 de sanglantes crises qui ont traumatisé le pays.

"Pour certains il est Ivoirien, pour d’autres il est Burkinabé. Le problème de la contestation de la nationalité ivoirienne de monsieur Ouattara est antérieur à l’année 1999. Il remonte (…) à la proclamation du multipartisme", écrivait le magistrat Epiphane Zoro-Bi dans son livre Juge en Côte d’Ivoire, Désarmer la violence (2004, Editions Les Afriques). "Cette période coïncide avec la montée du nationalisme en Côte d’Ivoire".

Pour l’activiste et analyste politique burkinabè Célestin Badolo, il "faut éviter de mêler la souffrance des Burkinabè aux problèmes politiques ivoiriens à l’approche des élections. Il s’agit d’un discours politique bien connu (…) avec au cœur des accusations la personne d’Alassane Ouattara".

Jacques Kobenan Krako de l’ONG Les Flamboyants abonde dans le même sens : "les personnes que nous avons vues sont des réfugiés en situation de détresse. Il faut donc éviter les discours politiciens et les analyses infondées, mais plutôt féliciter le gouvernement ivoirien pour son action à l’endroit des réfugiés et Ivoiriens qui ont accepté d’accueillir ces personnes qui fuient les violences dans leur pays".

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