Ce radar n’a pas été photographié au Burkina Faso mais en Russie
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- Publié le 03 mai 2023 à 15:20
- Lecture : 5 min
- Par : SUY Kahofi, AFP Côte d'Ivoire
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La photo diffusée par plusieurs comptes et pages Facebook (1, 2) montre des unités de réception et de commande mobiles montées sur des camions militaires, dont certains transportent d'imposantes antennes. Elle est à chaque fois partagée avec la même description : "Bonne nouvelle. Des nouveaux radars pour le Burkina Fasso. #Burkina Notre ciel est sous contrôle maintenant vive le capitaine Ibrahim Traoré et ses hommes la patrie ou la mort nous vaincrons".
Cette rumeur intervient dans un contexte sécuritaire difficile pour le Burkina Faso, confronté à d'incessantes attaques de groupes djihadistes et dont l'armée dirigée par le capitaine Ibrahim Traoré, arrivé au pouvoir en septembre 2022 par un coup d'Etat, tente de reprendre le contrôle du territoire. Les violences ont fait depuis huit ans plus de 10.000 morts - civils et militaires - selon des ONG, et quelque deux millions de déplacés internes.
Une recherche par image inversée sur InVID-WeVerify nous a permis de retrouver plusieurs occurrences de cette image. Sur Google, deux articles nous permettent de confirmer que la photo est ancienne. Une agence de presse arménienne l'a utilisée en 2017 pour illustrer un article sur le déploiement d'un complexe de radar russe en Arménie.
Top War, un site russe spécialisé dans les questions de défense, a également utilisé cette image cette année-là, pour évoquer la station radar russe Podlet-K1, qui permet de "localiser et assurer le lancement du système de défense antimissile pour les cibles à basse altitude".
Sur ce site, nous remarquons, en bas à droite de l’image, le crédit attribué à Said Aminov, un photographe russe qui possède un compte sur Flickr et anime un blog photo sur la plateforme livejournal.
Contacté par l'AFP, celui-ci n’a pas répondu à nos questions. Mais comme la photo a été partagée sur internet dès 2017, nous décidons d'utiliser cette année comme indice pour poursuivre nos recherches.
Une exposition à Moscou
A l'aide d'une traduction automatique du russe, nous parcourons les archives du photographe sur son blog, , où les photos sont classées par catégorie, en partant de l’année 2017. Si les recherches pour 2017 sont infructueuses, celles de 2016 vont nous permettre de remonter à l’image d’origine. Le lien "Armée 2016" nous amène en effet à une liste de plusieurs articles dont celui-ci qui contient des photos similaires à celle du post viral.
La deuxième photo est strictement identique à l’image virale de Facebook, présentée comme étant l’équipement radar du Burkina Faso. La légende précise qu’il s’agit du radar Podlet-K1, "un radar mobile à trois coordonnées de basse altitude", comme l'avait déjà indiqué le site russe Top War.
Le photographe précise que les photos ont été réalisé lors de l'édition 2016 Forum des armées en Russie. En tapant le mot-clé "Forum army 2016 Russie" sur Google, on retrouve un lien qui mentionne le Patriot Park à Moscou, où se déroule l'évènement chaque année. Grâce à une recherche via Google map, nous retrouvons sur des images prises au Patriot Park le même bâtiment d’exposition que celui sur la photo virale.
Course à l'armement
Si la photo virale provient clairement de Russie, et non du Burkina Faso, le pays du Sahel semble néanmoins engagé dans une course à l'armement pour venir à bout des violences djihadistes. L’état d’urgence a été décrété fin mars dans huit régions du pays, et 33 soldats ont été tués dans une nouvelle attaque sanglante perpétrée le 27 avril dans l'est, selon l'armée.
La junte au pouvoir, qui a annoncé en décembre sa volonté de réunir 152 millions d’euros pour la lutte contre le djihadisme, entend mener une opération de "reconquête du territoire". En avril, elle a également décrété la "mobilisation générale" non seulement de l’armée mais aussi de milliers de volontaires pour la défense de la patrie (VDP).
Pour cela, les autorités ont demandé le soutien de l'étranger afin d’acquérir "des armes et de munitions". Des demandes ont notamment été faites en ce sens au Canada et à la France - en décembre, peu avant que Ouagadougou demande le départ de la Force française Sabre du pays et la dénonciation des accords de défense liant les deux pays.
Mais les Occidentaux, inquiets de voir le groupe paramilitaire russe Wagner s’installer dans le pays, se montrent hésitants à offrir un soutien militaire à Ouagadougou: c'est notamment le cas de l’Union européenne, selon les informations de la lettre Africa Intelligence.
Certains pays voisins ont en revanche répondu présents, comme la Côte d'Ivoire avec une aide plus de deux milliards de FCFA, rapportait en mars la presse locale. Le Burkina cherche aussi à finaliser un contrat d’acquisition de matériel de défense et de sécurité avec une société turque (essentiellement des drones militaires) évalué à 252 milliards de FCFA.
Dans un contexte de compétition croissante entre grandes puissances, le renforcement des capacités militaires au Sahel fait l'objet de nombreuses rumeurs. L’AFP a déjà vérifié plusieurs images décontextualisées comme celles évoquant une prétendue livraison d’hélicoptère au Burkina Faso.