Ces images proviennent d'un jeu vidéo et ne montrent pas l'armée malienne en action
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- Publié le 25 avril 2023 à 16:42
- Lecture : 6 min
- Par : Marin LEFEVRE
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Une scène de guerre. C'est la première impression que renvoient ces images très virales sur Facebook, dans lesquelles on voit deux hélicoptères bombarder une route, avant de se croiser et de s'éloigner dans le ciel orageux. Cette opération se serait déroulée à Sévaré, dans la région de Mopti au centre du Mali, selon les internautes qui partagent cette vidéo. "Aucun véhicule piégé n’a pu atteindre sa cible. Les deux véhicules kamikazes et le camion-citerne bourrés d’explosifs ont été détruits par les drones des forces armées maliennes", croit même décrire l'un d'entre eux.
Ceux et celles qui partagent cette séquence font référence à de multiples incidents survenus le 22 avril, date de l'apparition de cette rumeur sur les réseaux sociaux. Ce jour-là, dix civils et trois soldats ont été tués et 88 djihadistes "neutralisés", a indiqué le gouvernement, lors d'une vague de violence qu'il a qualifiée de "regain d'incidents terroristes perfides" (lien archivé).
Tôt dans la matinée, des djihadistes présumés ont attaqué la zone de l'aéroport de Sévaré, en faisant exploser des voitures piégées qui ont "entraîné l'effondrement de quelques maisons" et fait "10 morts et 61 blessés, tous des civils", a-t-il précisé dans un communiqué. "Grâce à la détermination légendaire de nos vaillantes Forces Armées, opérant exclusivement avec leurs moyens, les assaillants ont été mis en déroute avec la neutralisation de 28 terroristes", affirme ce document.
L'attaque a débuté vers 05H30 (locales et GMT) et s'est achevée aux environs de 08H00, selon des sources militaires et locales. Quatre fortes explosions ont été entendues, suivies de tirs à l'arme automatique, ont raconté à l'AFP plusieurs personnes sur place. De la fumée a également été aperçue près de l'aéroport.
Pourtant, les images virales n'ont rien à voir avec une réelle scène de combats ; il s'agit d'un extrait tiré d'un jeu vidéo très réaliste, comme l'ont confirmé les recherches de l'AFP ainsi que la société produisant ce jeu.
Séquence de jeu vidéo
Sous certaines des publications relayant cette vidéo, des internautes alertent : les images proviendrait d'un "jeu vidéo".
De très nombreux extraits de jeux ont été détournés ces dernières années pour illustrer des situations de conflit, de la guerre en Syrie à l'invasion russe de l'Ukraine. L'une de ces productions audiovisuelles en particulier est devenue la coqueluche des désinformateurs : Arma 3, un jeu vidéo de combat tactique développé par Bohemia Interactive, une société basée en République tchèque. L'AFP a déjà vérifié plusieurs vidéos tirées de cette production censées montrer des scènes tournées en Irak (lien archivé), en Ukraine (lien archivé) ou en République démocratique du Congo (lien archivé).
La vidéo qui circule au Mali partage les mêmes codes graphiques que nombre de ces simulations, notamment leur hyperréalisme. En cherchant "arma 3 simulation" sur plusieurs réseaux sociaux et sur YouTube, on finit par retrouver la même vidéo sur TikTok, publiée le 23 mars par @kolay95141.
Cet utilisateur publie de nombreuses séquences tirées de ce jeu. Il avait d'ailleurs déjà mis en ligne ces images virales en juillet 2022 - à date de publication de cet article, elles ont été vues plus de 18 millions de fois.
Dans la description de ces deux publications, l'internaute précise sans ambages qu'il s'agit bien d'une simulation par le biais de hashtags (#game, #arma3, #simulation).
Cette vidéo a également circulé sur les réseaux sociaux et a été vérifiée par l'AFP en arabe (lien archivé). Les internautes prétendaient qu'elle montrait une scène de guerre au Soudan, déchiré par les combats opposant les paramilitaires du général Mohamed Hamdane Daglo et l'armée du général rival Abdel Fattah al-Burhane (lien archivé).
"Je vous confirme que cette vidéo provient bien d'Arma 3 - et présente une scène customisée par un joueur", a de son côté réagi Pavel Křižka, responsable des relations extérieures de Bohemia Interactive, contacté par l'AFP le 25 avril. "En aucun cas ces images ne montrent une scène réelle."
Propagande de guerre
Il renvoie d'ailleurs à un article (lien archivé) publié par la société en novembre 2022 qui déplorait déjà à cette date que des vidéos tirées d'Arma 3 "soient utilisées de manière détournée et présentées comme des images prises lors de réels conflits".
"Bien qu'il soit flatteur qu'Arma 3 simule les conflits modernes de façon si réaliste, nous sommes mécontents qu'il puisse être confondu avec des images de combat réel et utilisé comme de la propagande de guerre", poursuit ce texte. "Nous tentons de combattre ces contenus en les signalant aux plateformes, mais ce n'est pas du tout efficace. Pour chaque vidéo dépubliée, dix autres sont mises en ligne chaque jour."
Selon Bohemia Interactive, ces détournements ont connu un regain de popularité avec l'invasion de l'Ukraine, parfois surnommée la "première guerre TikTok" du fait des nombreuses images qui l'illustrent sur les réseaux sociaux, comme l'expliquait l'AFP dans une dépêche en janvier (lien archivé).
Même des médias se sont laissés berner : la chaîne roumaine Romania TV a présenté en novembre 2022 une vieille vidéo d'Arma 3 comme montrant des combats en Ukraine, et un ancien ministre de la Défense ainsi qu'un ex-chef des renseignements ont tous deux commenté les images comme si elles étaient authentiques. En février de la même année, une autre chaîne roumaine, Antena 3, diffusait par erreur une autre vidéo d'Arma 3 et invitait le porte-parole du ministère de la Défense à l'analyser. Celui-ci se contentera de propos généraux sur le conflit.
"Je soupçonne les personnes postant ces contenus d'être simplement des 'trolls' voulant voir combien de gens ils peuvent piéger", avait déclaré en janvier à l'AFP Nick Waters, du site d'investigation numérique Bellingcat. Ceux qui repartagent ensuite ces publications sont selon lui "des gens naïfs" tentant d'obtenir de la visibilité ou des abonnés sur internet.
Etant donné le caractère peu sophistiqué de la désinformation basée sur les extraits d'Arma 3, il est peu probable qu'elle émane d'acteurs étatiques, estiment les chercheurs. Pour eux, ces clips sont plus faciles à vérifier que les "deepfakes" (ou "hypertrucages"), qui consistent à utiliser l'intelligence artificielle pour créer des images confondantes de réalisme, de plus en plus employées dans le milieu criminel.
"Si vous savez à quoi vous attendre, ces vidéos (d'Arma 3) ne sont en fait pas si difficiles à identifier comme fausses", ajoutait Nick Waters. Malheureusement, regrettait-il, "beaucoup de personnes n'ont pas les compétences" pour repérer la désinformation.
Quelques conseils
Sur son site, les développeurs de Bohemia Interactive donnent justement quelques conseils (lien archivé) pour différencier les séquences tirées de jeux vidéos et les images réelles, qui complètent les indications de l'AFP (lien archivé) pour identifier les vidéos tirées de simulateurs de vol.
La résolution de l'image est basse, la caméra a l'air de trembler un peu trop, les scènes filmées se déroulent souvent la nuit, ou bien les vidéos n'ont pas de son ? Il s'agit peut-être d'une séquence de jeu vidéo.
Autres indices : le fait qu'on ne voit pas dans les images des êtres humains se mouvoir naturellement, ou que les fumées, incendies ou nuages de poussière générés par des explosions apparaissent de manière peu naturelle. Ces deux éléments constituent encore des limites graphiques pour "la plupart des jeux vidéos modernes", souligne Bohemia Interactive.
Enfin, la présence de véhicules, d'appareils, d'uniformes ou d'équipements militaires incohérents par rapport à la situation que les images prétendent montrer (par exemple, un type d'arme utilisé par des soldats qui ne sont pas censés en être équipés, ou des couleurs d'uniforme ne correspondant pas à l'armée qui serait filmée) doivent également appeler à la prudence - car ces éléments peuvent indiquer que ces images ne sont pas réelles.