Non, la femme interviewée dans cette vidéo ne confesse pas de pratique cannibale

Une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux TikTok et Facebook d’Afrique francophone montre prétendument une ressortissante camerounaise qui serait “fière” d’avouer qu’elle “vend de la chair humaine”. Attention, cette séquence est issue d'un reportage sur la consommation de la chair humaine, un sujet qui charrie beaucoup de rumeurs et de suspicions en Afrique centrale. Mais l'interview de la restauratrice incriminée sur les réseaux sociaux a été détournée de son contexte initial, celle-ci affirmant au contraire que sa cuisine n’a rien à voir avec ce genre de pratiques.

"Elle vend de la chair humaine", proclame un bandeau sur la vidéo diffusée sur Facebook et initialement publiée sur le réseau social TikTok. La séquence de 1’30” s’ouvre sur une femme qui décrit, en français, son procédé de cuisson de la viande. Le message viral la présente comme une “Camerounaise située dans la rue Matoungou à Poto Poto Brazzaville”. Poto Poto est le nom d’un quartier qui accueille l'un des principaux marchés de la capitale de la République du Congo.

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Capture d'écran d'une publication sur Facebook, réalisée le 23 mars 2023

Ces affirmations suscitent des commentaires hostiles de la part des internautes. “Le Cameroun est vraiment un continent comment on peut vendre la chair humaine…Vraiment”, commente l'une d'entre elles, dépitée.

Certains disent ne pas être surpris, d’autant que des rumeurs sur des restaurants suspectés de servir à leurs clients de la chair humaine aliment régulièrement la rubrique faits divers des médias en Afrique centrale et de l'Ouest, notamment au Cameroun et au Nigeria voisin (1, 2, 3).

Mais la vidéo virale ne montre pas la confession d’une dame qui cuisine la chair humaine, comme le laissent croire les réseaux sociaux.

Après une recherche d’images inversée sans résultats probants, nous avons procédé à une recherche sur le moteur Google avec les mots-clés “consommation chair humaine poto poto Brazzaville”. Nous avons ainsi trouvé une vidéo publiée sur YouTube par la chaîne camerounaise AgriTV WEB le 31 août 2018 et intitulée “fait-divers : consommation de chair humaine”.

Il s’agit d’un micro-trottoir de plus de treize minutes dans la capitale camerounaise où une dizaine d’intervenants se prononcent sur un “scandale provoqué par la découverte d’une dame qui a servi des morceaux de son enfant à manger à ses clients au quartier Eleveur à Yaoundé”, selon la description qui accompagne la vidéo sur YouTube. Ainsi, contrairement à ce qu'affirme l'auteur du post viral, la dame interviewée et mise en cause n'est pas basée dans le quartier Poto Poto de Brazzaville mais à Yaoundé, au Cameroun.

Cette commerçante commence à parler à partir de 5’34” sur la vidéo originale diffusée sur YouTube. Elle explique que son activité est affectée par le “scandale” précédemment évoqué. Elle dit avoir constaté des regards soupçonneux sur elle comme sur toutes les vendeuses d'eru (se prononce “érou”), un plat traditionnel de la région anglophone du Cameroun. Désignant au journaliste sa marmite remplie de morceaux de viande, la dame dit ne pas s’inquiéter malgré toutes ces rumeurs parce qu’elle n’a rien à se reprocher ; elle cuisine en public, dit-elle, “en live” et non en cachette “derrière la maison”.

La vidéo virale est un assemblage de différentes séquences de son intervention et le message trompeur qui l’accompagne la font passer pour une femme qui avoue sans vergogne qu’elle découpe de la chair humaine au vu et au su de tous. De plus, son intervention diffusée sur les réseaux sociaux est suivie de celle d’un autre interviewé qui déclare que nul n’est à l’abri de consommer la chair humaine. Pourtant sur la vidéo de YouTube, celui-ci intervient bien avant la dame (de 1’17” à 2’3”).

Dans la vidéo accablante qui circule sur les réseaux sociaux, la partie où elle explique la stigmatisation dont elle et d’autres vendeurs d'eru sont victimes, a en revanche été coupée.

Une psychose née de faits divers parfois réels

Si cette dame n'a rien à voir avec le cannibalisme dont on l'accuse, le sujet évoqué dans la description de la vidéo postée sur YouTube est bel et bien réel. En effet, un gérant de restaurant et son employée ont été arrêtés en août 2018 à Yaoundé par la police camerounaise, suspectés d’avoir tué une enfant.

Le journal d’Etat Cameroon Tribune raconte que l’alerte a été donnée par le voisinage après la découverte de la tête d'une petite fille dans un bac à ordures près du restaurant, connu pour concocter des mets traditionnels du pays, donnant lieu à l'ouverture d'une enquête.

Selon plusieurs médias locaux (1,2, 3…), l’employée du restaurant incriminée, une prénommée Jeanne, était suspectée d'être la mère de l'enfant assassinée et d’avoir cuisiné la dépouille pour la servir à ses clients.

Plusieurs faits divers similaires ont défrayé la chronique ces dernières années au Cameroun et dans les pays voisins. En 2014 par exemple, les gérants d’un restaurant de l'Etat d'Anambra, dans le sud-est du Nigeria, avaient fait l'objet d'un signalement, soupçonnés de proposer de la chair humaine.

Cependant, des internautes instrumentalisent régulièrement ce type de faits divers choquants et exagèrent l'ampleur du phénomène, pour créer le buzz à partir de rumeurs infondées.

En 2020, l’AFP avait déjà démenti une rumeur similaire à celle que nous vérifions. Des internautes avaient utilisé les images insoutenables d’un corps découpé censées montrer l'ingrédient principal utilisé dans les cuisines d’un restaurant au Cameroun. Pourtant ces images étaient liées à un drame familial survenu au Nigeria voisin.

Certaines de ces affaires sont parfois associées à des pratiques sacrificielles liées à des croyances traditionnelles, qui donnent là encore lieu à de nombreuses fausses informations diffusées sur la toile. Pratiqués par des cercles secrets adeptes de sorcellerie, les crimes rituels consistent à prélever le sang de la victime et certaines parties du corps - yeux, sourcils, oreilles, sexe, langue, lèvres, bouts de peau, cerveau - censées offrir santé, richesse, réussite et pouvoir.

Aucune statistique fiable n'existe sur le sujet et les enquêtes aboutissent rarement à des poursuites, mais selon les associations qui dénoncent ces pratiques, plusieurs hommes politiques et personnalités y ont recours.

Or, les accusations de "crime rituel" fusent dès qu'il y a une disparition d'enfant ou qu'on retrouve un corps sans vie abîmé, comme cela fut le cas au Gabon, avec la découverte d'une fillette sur une plage de Libreville en mars 2013. En juin de la même année, la découverte dans la capitale gabonaise d’un sac contenant 50 kg de chair et d'organes soi-disant humains, avait aussi créé la psychose. Pourtant, les résultats des analyses avaient révélé qu'il s'agissait en fait de "viande de brousse".

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