La pervenche de Madagascar, présentée comme un remède sur Internet, peut être toxique
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 27 mars 2023 à 16:45
- Lecture : 5 min
- Par : SUY Kahofi, AFP Côte d'Ivoire
Copyright AFP 2017-2025. Toute réutilisation commerciale du contenu est sujet à un abonnement. Cliquez ici pour en savoir plus.
Cette publication Facebook a été mise en ligne par le profil de Claude Djankaki. Il se présente comme un "chercheur en tradition ancestrale" et propose sur sa page des remèdes et astuces inspirés de différentes plantes.
Contre les crises d’hypertension artérielle, il promet une "guérison rapide" grâce à un remède à base de pervenche de Madagascar. "Si vous avez une forte tension artérielle qui résiste au traitement médical, il suffit de chercher les feuilles, les laver soigneusement et les piler dans un mortier sans y ajouter d'eau. Ensuite extraire un petit verre talokpémi que vous buvez en pleine crise de tension. Ce faisant, la tension descend et vous êtes définitivement guéri" affirme l’auteur de la publication.
Il précise également qu’il ne faut "pas essayer [ce remède] si la tension est normale". Pour confirmer l’efficacité de son remède, il relaie le soi-disant "témoignage d'une togolaise qui s'est traitée il y a deux décennies et qui n'a jamais eu de rechute. Elle a aujourd'hui 72 ans".
Ensuite, Claude C. Djankaki – c’est ainsi qu’il signe ses messages - souligne que la racine de la pervenche de Madagascar guérit le diabète et que la même plante, dont on aperçoit les petites fleurs blanches dans la photo accompagnant le texte, guérit la drépanocytose.
Une recherche par image inversée via Google nous permet de trouver des occurrences qui confirment que cette image montre bien la pervenche de Madagascar. Au-delà de cette première recherche en ligne, l’AFP a contacté le 17 mars un chercheur qui travaille sur les plantes médicinales. Le Dr. Béné Kouadio, spécialiste en botanique, ethnobotanique (qui s’intéresse au rapport entre les humains et les plantes) et ethnopharmacologie (qui étudie les médecines traditionnelles) confirme l’identité de la plante dont le "nom scientifique est Catharanthus roseus de la famille botanique Apocynaceae".
Maître assistant à l’UFR Sciences de la nature de l’Université Nangui Abrogoua d’Abidjan, il indique que "Catharanthus roseus est une plante médicinale à multiples usages thérapeutiques [qui] a permis de mettre au point plusieurs médicaments vendus en pharmacie".
Les trois pathologies ciblées par cette publication Facebook ne sont toutefois pas concernés par ces applications médicales, selon plusieurs spécialistes qui mettent en garde contre les dangers de consommer de la pervenche de Madagascar pouvant, ingérée en grande quantité, conduire à une intoxication.
"Aucune vérité scientifique"
Tous les médecins consultés par l’AFP sont formels : ni l’hypertension artérielle, ni le diabète, ni la drépanocytose ne peuvent être guéris par des médicaments, et la consommation de pervenche de Madagascar pour traiter ces maux ne repose sur aucun consensus scientifique.
Le Dr Catherine Wiart, responsable du Centre d'évaluation et de traitement de la douleur (CETD) de la Fondation Rothschild (Paris, France) explique qu’"on ne guérit pas de l’hypertension artérielle : on la contrôle avec un traitement médicamenteux ou on l’atténue avec des techniques non médicamenteuses gérant le système neurovégétatif".
Au regard de la toxicité de la pervenche de Madagascar, Catherine Wiart met en garde contre les dangers de cette publication Facebook : "le risque de ce traitement est qu’il ne fonctionne pas et entraîne un accident ischémique transitoire [une obstruction artérielle transitoire n’entraînant pas de lésion cérébrale, ndlr] ou un accident vasculaire cérébral".
Selon le Pr Étienne Larger, chef du service de diabétologie de l'hôpital Cochin (Paris), contacté le 16 mars, l'autre "fausse information de cette publication, c’est la guérison du diabète". "On ne guérit pas encore du diabète et la pervenche de Madagascar n’est pas non plus une plante miracle contre le diabète. La publication ne repose sur aucune vérité scientifique", indique ce spécialiste.
La publication Facebook souligne également que la racine de la pervenche de Madagascar guérit la drépanocytose, une maladie génétique héréditaire touchant les globules rouges. Elle est caractérisée par une anomalie de l’hémoglobine, principale protéine du globule rouge, comme l’explique l’Institut national de la santé et de la recherche médicale français (Inserm) sur son site.
Or "rien ne guérit la drépanocytose", balaye Jenny Hippocrate Fixy, présidente de l’Association pour l'information et la prévention de la drépanocytose (APIPD), basée à Paris, contactée le 17 mars.
"C’est une maladie génétique, il n’existe pas de médicament contre les maladies génétiques à part la greffe de moelle. Mais il faut un donneur ayant une vraie compatibilité avec le receveur et ça ne marche même pas dans la majorité des cas à cause des rejets", explique Mme Fixy, qui lutte pour faire reculer la maladie depuis près de 30 ans.
"Si on guérissait de la drépanocytose en buvant du jus de pervenche de Madagascar cela se saurait", abonde le Dr Camille Runel-Belliard, pédiatre au Centre de compétence de la drépanocytose au CHU de Bordeaux (France), assurant le 22 mars à l’AFP que cette affirmation ne repose sur aucun fondement scientifique.
Le médecin rappelle par ailleurs que la drépanocytose est "la première maladie génétique mondiale, qui tue encore plus de 50% des enfants de moins de cinq ans (atteints) en Afrique à cause principalement d’infections bactériennes" qui peuvent en découler.
Plante toxique à une certaine dose
Non seulement ce remède est inefficace contre les pathologies mentionnées par Claude Djankaki, mais il peut également se révéler dangereux.
"Certains documents montrent que la plante est toxique à une certaine dose. Par exemple, étant riche en principes actifs, dont la vinblastine et la vincristine, elle peut être hallucinogène par ingestion" met en garde le Dr. Béné Kouadio qui nous renvoie le 17 mars à plusieurs études réalisées sur la plante (1, 2, 3).
Les études consultées par l’AFP (1, 2, 3) nous ont permis de constater que les chercheurs ont extrait de la pervenche de Madagascar un grand nombre de substances, notamment la vindoline, la catharanthine, la vinblastine et la vincristine. Ces deux dernières, déjà citées par le Dr. Béné Kouadio, sont notamment utilisées dans la lutte contre les cancers, les sarcomes et les tumeurs.
Mais ces deux alcaloïdes – des substances organiques contenant au moins un atome d’azote – sont des "agents anticancéreux à forte toxicité", met en garde le Pr. Étienne Larger, de l'hôpital Cochin (Paris).
Le fait qu’une plante contienne un principe actif efficace contre une maladie "ne signifie pas que la plante toute entière devient un remède contre cette maladie", précise le Dr Jean-François Thébaut, cardiologue et vice-président de la Fédération française des diabétiques (FFD).
"Ce n’est pas la plante entière qui permet de produire le médicament, mais un principe actif en particulier qui est extrait grâce à des protocoles précis", poursuit le médecin, et "consommer en grande quantité une plante parce qu’elle contient un ou des principes actifs qui entrent dans la composition d’un médicament utilisé contre une maladie peut être dangereux".
Avec pour conséquences, au mieux, une guérison, mais au pire, "des risques sérieux d’intoxication".