Des serviettes hygiéniques qui guérissent plusieurs maladies et aident à tomber enceinte ? C'est faux, préviennent des médecins

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 22 février 2023 à 17:30
  • Mis à jour le 23 février 2023 à 10:41
  • Lecture : 6 min
  • Par : SUY Kahofi, AFP Côte d'Ivoire
Des publications virales sur Facebook vantent les mérites d’une serviette hygiénique aux supposées vertus thérapeutiques. Des règles douloureuses aux kystes, cette serviette guérirait plusieurs maladies, grâce aux "ions négatifs" qu'elle contiendrait, selon les utilisateurs qui partagent cette rumeur. Attention : quand bien même ce produit en contiendrait, il n'y a pas de preuve d'effets des ions négatifs sur la santé, a expliqué une association qui lutte la désinformation scientifique et comme plusieurs analyses des études faites sur le sujet. Plusieurs experts contactés par l’AFP rappellent aussi qu’une serviette hygiénique ne peut pas traiter des problèmes de santé. Contactée, la marque qui les produit a concédé qu'elles ne pouvaient pas agir comme un "médicament".

"Les serviettes hygiéniques NJ vous débarrasse des fibromes, des kystes, des règles douloureuses, des infections et des mauvaises odeurs. LES SERVIETTES HYGIÉNIQUES VOUS AIDENT A TOMBER ENCEINTES, nous avons déjà trop de témoignages. N’hésitez pas essayez-les et vous serez satisfaites" affirme la publication de la page Facebook appelée "OASIS De La Maternité" mise en ligne le 10 février.

Elle précise que cette serviette hygiénique doit être portée "tous les jours, pendant et en dehors des menstrues", conseillant d'acheter "3 paquets par mois pour un traitement de départ sur trois mois".

Une deuxième publication, partagée par la même page au lendemain de la première, avance elle plusieurs statistiques non sourcées, assurant par exemple qu'"une femme peut utiliser en moyenne 15.000 serviettes" dans une vie ou que "160.000 bactéries novices se développent dans un tampon toutes les quatre minutes".

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Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 20 février 2023; Floutage réalisé par l'AFP

Pour tenter d’en savoir davantage sur cette serviette hygiénique présentée comme "miracle", l’AFP s’est rendue à l’OASIS De La Maternité, un centre qui s'occupe de communication sur la santé de la reproduction (grossesse, accouchement, planification familiale) et de préparation à l'accouchement comme le confirme une sage-femme du centre.

Le siège d'OASIS De La Maternité est situé dans le quartier d’Angré Djibi, à Abidjan. Sur place, un homme indique qu’une sage-femme va nous donner plus de renseignements sur le produit. Le centre a confirmé à l'AFP être à l'origine de la page Facebook dont nous étudions les publications.

Le paquet de serviettes promu par ces publications est vendu à 5.000 francs CFA (environ 8 euros) pour 25 protections. En rupture de stock lors de notre première visite, le produit sera finalement disponible le lendemain.

Les serviettes en question sont plus précisément de marque Angel Moon, qui contiennent selon l'enseigne des "ions négatifs" censés présenter de multiples vertus, de l'élimination des bactéries à la prévention et à la guérison des "myomes, fibromes et des kystes" en passant par l'augmentation de la fertilité.

Comme expliqué ici sur le site de l'Université belge de Namur, "dans un atome neutre, le nombre de protons = le nombre d'électrons". Un ion négatif, ou "anion", a gagné des électrons, tandis qu'un ion positif (ou "cation") a perdu des électrons. Un anion a une charge électrique négative, un cation une charge positive.

Si les prétendues vertus thérapeutiques des ions négatifs ont été largement vantées par diverses marques, sites et applications, il n'y a pas de preuve scientifique d'un effet sur la santé, comme l'expliquait déjà en 2011 ce billet sur le blog Science Based Medicine, spécialisé dans la lutte contre la désinformation scientifique.

"La théorie de la physique et les connaissances en biologie, excluent que de faibles quantité d'ions négatifs puissent avoir un quelconque effet biologique", confirme François-Marie Bréon, président de l'Association française de l'information scientifique (Afis, lien archivé ici), une association composée de scientifiques qui milite pour promouvoir les sciences et lutter contre les pseudosciences, dans un mail à l'AFP le 22 février.

Il souligne que "certaines études dont les protocoles souffrent de plusieurs biais méthodologiques (expériences non réalisées en aveugle, faible puissance statistique, etc...) identifient parfois un effet positif des ions négatifs" mais notent qu'elles sont "contredites par des études plus rigoureuses".

Plusieurs synthèses et méta-analyses de la littérature scientifique existante conduites en 2013 (1, 2) et 2018 ont conclu qu'aucun preuve scientifique solide n'existait concernant d'hypothétiques bienfaits des ions négatifs pour la santé.

"Aucune protection périodique ne peut se prévaloir de telles vertus"

Contactée par l’AFP pour en savoir plus sur les vertus attribuées à sa protection et ses soi-disant facultés de guérison, la marque concède dans un mail le 16 février que "la serviette hygiénique Angel Moon n’est pas un médicament".

Cependant, interrogée au sujet de la capacité de son produit à prévenir ou guérir les maladies citées par les publications que nous vérifions, Angel Moon ne dément pas clairement ces affirmations et assure que les propriétés antibactériennes et les autres bienfaits prêtés à son produit sont véritables, sans fournir à l'AFP de preuves permettant de confirmer ces déclarations.

Or, affirmer qu'une serviette hygiénique peut guérir ou prévenir les différents maux mentionnés dans les publications est faux, déclarent à l'unanimité les médecins consultés par l'AFP.

"Il est bien évident que tout est faux dans cette publication Facebook (...). Aucune protection périodique ne peut se prévaloir de telles vertus", déclare Dr Fabrice Forveille, gynécologue-obstétricien français et membre du conseil d'administration de l’association Gynécologie Sans Frontières (GYNSF).

"Les serviettes hygiéniques – celles dites magnétiques, à ions, antibactérienne en fibre de charbon – ne peuvent pas prévenir ou guérir des fibromes, des kystes, des règles douloureuses et des infections chez la femme", confirme-t-il.

Interrogé par l'AFP le 15 février 2023, Dr Moïse Amuah, gynécologue-obstétricien au cabinet Femina à Abidjan, abonde. "Les serviettes hygiéniques ne peuvent en aucun cas prévenir de fibromes, ni d’infections pour la simple raison que les fibromes sont le résultat d’un déséquilibre hormonal et que les infections résultent d’une agression bactérienne, mycologique ou virale", détaille le médecin.

"Même si ses serviettes contenaient des agents antimicrobiens, le contact limité à la vulve ne pourrait agir sur l’utérus ou la cavité utérine", ajoute-t-il.

En 2012, on estimait que 20% des femmes de 30 ans et 50% de celles de 40 à 50 ans étaient porteuses d'un fibrome utérin en Côte d'Ivoire, selon un gynécologue cité par l'ONG togolaise Réseau des organisations féminines d'Afrique francophone (ROFAF).

Le produit promu par le centre OASIS De La Maternité est également censé "aider à tomber enceinte", affirme la page Facebook du centre. Une "vraie blague !", s’exclame le Dr Moïse Amuah. "Les serviettes hygiéniques ne peuvent être prescrites que pour recueillir le flux sanguin et uniquement pour ça", explique le médecin.

"Si de nombreuses femmes utilisent ces lingettes, il est statistiquement tout à fait normal que certaines d'entre elles tombent enceinte (autant que sans lingettes)", souligne pour sa part François-Marie Bréon, de l'Afis.

La marque Angel Moon affirme par ailleurs sur son site que ses serviettes hygiéniques sont "validées par l'OMS pour résoudre les problèmes génitaux et améliorer la santé globale tant des hommes que des femmes".

L’OMS a-t-elle validé ces serviettes hygiéniques ? "Non, ceci est une fausse information", a réagi auprès de l'AFP Christian Lindmeier, porte-parole de l’Organisation Mondiale de la Santé au siège de Genève, le 16 février.

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Capture d'écran du site d'Angel Moon, réalisée le 20 février 2023

Accès aux protections menstruelles

Pour Dr Anne-Marie Lechartier, également membre du conseil d'administration de l’association Gynécologie sans frontières et militante de la sécurité menstruelle contactée le 14 février 2023 par l'AFP, cette infox "est l’arbre qui cache la forêt".

"Le problème n’est pas la serviette hygiénique mais le manque de protection menstruelles pour les femmes", analyse la médecin. "Les jeunes filles ou les femmes ne vont pas pouvoir aller à l'école ou travailler les jours de règles car elles ne peuvent pas se garnir" (porter une protection périodique), ce qui constitue un "vrai problème".

Un problème mis en évidence par les chiffres par la Banque mondiale qui soulignait en mai 2022 qu’environ "500 millions de femmes et de filles peinent à se procurer des produits menstruels ou à accéder à des espaces sûrs, privés et hygiéniques pour les utiliser".

"Les difficultés d'accès et le coût élevé de ces produits, ainsi que la stigmatisation associée à la menstruation dans de nombreuses sociétés, ont des conséquences délétères non négligeables pour les femmes et les filles, et restreignent considérablement leur participation à la vie de la société", conclut l’institution.

23 février 2023 Ajout d'un lien actif vers le site de l'Association française pour l'information scientifique (Afis) au 10e paragraphe

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