Cette vidéo du président nigérien s'adressant au président français a été manipulée

Le président du Niger Mohamed Bazoum donne un cours de géopolitique à son homologue français Emmanuel Macron. C’est ce que suggère une vidéo montrant une rencontre entre les deux chefs d'Etat et relayée sur Tik Tok et Facebook. Dans cette vidéo de 5 minutes, le président Mohamed Bazoum évoque des nouvelles alliances mondiales et la guerre en Ukraine. Cependant, la vidéo a été manipulée : la voix du président nigérien a été remplacée. 

Depuis fin juillet, la vidéo a été partagée des dizaines de milliers de fois sur TikTok (1, 2) et par des comptes Facebook basés dans des pays du Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso) mais aussi ailleurs en Afrique francophone. Une de ces publications, repérée en Côte d’Ivoire, est accompagnée par ce texte :

"VISITE D'EMMANUEL MACRON AU NIGER. Répondant à la question de journaliste français quant au non-alignement de certains pays Africains sur la position de la France concernant la guerre Russie/Ukraine, le président du Niger #Mohamed_Bazoum donne un cours de géopolitique au président de la 7ème puissance mondiale Mr #Emmanuel_Macron".

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Capture d'écran Facebook réalisée le 9 août 2022

Dans la vidéo, le président du Niger Mohamed Bazoum semble parler longuement de l'influence de la Russie, de la guerre en Ukraine et de la formation de nouveaux blocs face à l'OTAN et aux Etats Unis.

Mais d'où vient cette vidéo et est-ce vraiment le président Mohamed  Bazoum qui parle ? L'image est de basse qualité, il est donc difficile de discerner les mouvements de ses lèvres. 

Nous avons fait une capture d'écran de la vidéo pour faire une recherche d'image inversée avec Google Images. Parmi les résultats suggérés par le moteur de recherche, nous retrouvons deux articles avec des photos de Mohamed Bazoum et Emmanuel Macron semblables à celles de la vidéo.

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Capture d'écran du site Le Sahel réalisée le 9 août 2022

Les articles ( Niger Diaspora et Le Sahel) évoquent la conférence de presse conjointe des présidents français et nigérien qui s’est tenue à Paris le 9 juillet 2021 et non lors d’une visite du président français au Niger comme le suggèreraient les publications sur TikTok et Facebook.

En utilisant les mots-clés "Emmanuel Macron", "Mohamed Bazoum", "conférence de presse" et "9 juillet 2021", nous retrouvons deux liens vers une vidéo montrant l’intégralité de cet événement : l'un sur le compte officiel de l'Elysée sur YouTube et l’autre sur la page officiel du président du Niger sur Facebook

Dans cette vidéo d'origine de plus d’une heure et de bonne qualité, les échanges se focalisent sur la situation sécuritaire dans le Sahel, les crises militaro-politiques au Mali et au Tchad mais aussi la lutte contre le terrorisme en Afrique de l'Ouest et la réorientation de l’aide militaire française dans le Sahel.

A aucun moment les présidents n'évoquent la guerre en Ukraine ni l'influence de la Russie -- sans surprise, puisque la rencontre se déroule le 9 juillet 2021 et la guerre en Ukraine n'avait pas encore débutée à cette date. La Russie envahira l'Ukraine des mois plus tard, le  24 février 2022.

Une voix remplacée 

L’extrait partagé sur les réseaux sociaux est bel et bien tiré de cette conférence de presse du 9 juillet 2021 : nous retrouvons cet extrait grâce à la gestuel des deux présidents.

A la 20ème seconde de l’extrait, le président du Niger se touche la poitrine : cette séquence correspond à la 27ème minute et 30ème seconde de la vidéo d'origine.

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Capture d’écran Facebook réalisée le 9 août 2022
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Capture d’écran Facebook réalisée le 9 août 2022

 

 

Treize secondes plus tard, alors que le président du Niger parle en ouvrant grandement les bras, le président Macron s’essuie le coin de l’œil. Sur l’extrait, nous sommes à la 33ème seconde de lecture, ce qui correspond à la 27ème minute et 43ème seconde de la vidéo d'origine.

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Capture d’écran Facebook réalisée le 9 août 2022
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Capture d’écran Facebook réalisée le 9 août 2022

 

 

Dans cette séquence, le président du Niger n'évoque pas la guerre en Ukraine et l’influence de la Russie : sa voix a été retirée et remplacée par une autre bande sonore, avec une voix d'homme différente de la sienne. 

Dans la vidéo d'origine, il fait le point sur les retours volontaires des populations déplacées au Niger. Entre les deux gestuelles des présidents utilisées pour identifier la séquence, voici ce que dit exactement Mohamed Bazoum : "Notre conviction, c’est que la meilleure façon de lutter contre les organisations terroristes c’est de ne pas leur permettre de trouver des sanctuaires dans les zones d’où elles chassent les populations et leur donner également l'occasion de créer les conditions d’une économie criminelle qui leur permettent de vivre à leur aise".

Dans la vidéo manipulée, sur la même séquence, voici ce qui dit la voix qui a été rajoutée à la place de celle du président nigérien : "Vous avez la Chine qui est avec la Russie qui fait qui fait 1 milliard 500 millions d’habitants. Vous avez l'Inde qui fait 1 milliard 300 millions d’habitants qui est avec la Russie. Vous avez le Pakistan qui fait près de 200 à 500 millions comme ça d’habitants. Vous avez la Turquie qui fait dans les 300 millions d'habitants".

"Vague de désinformation"

Ce n'est pas la première fois que l'AFP vérifie des fausses affirmations impliquant la France et le Niger. Ce type de publications se sont multipliées en Afrique francophone depuis le début de la contestation contre la présence militaire française au Sahel.

Selon Ahmedou Ould Abdallah, ancien représentant spécial des Nations Unies en Afrique de l'Ouest, "la montée du terrorisme dans le Sahel a aussi créé les conditions d'une montée en force des réseaux de désinformation ayant pour cible les différents acteurs intervenant sur le terrain".

"La France et ses partenaires européens mais aussi d'Afrique de l'Ouest, dont le Niger, n’échappent pas à cette vague de désinformation", poursuit l'ancien diplomate, aujourd'hui président de l'institut Centre 4 S, le Centre des stratégies pour la sécurité du Sahel-Sahara.

La force française Barkhane a été poussée hors du Mali par la junte militaire au pouvoir à Bamako depuis 2020. Elle est en train de finaliser l'évacuation de ses équipements de ce pays, dont une partie transite par le nord-ouest du Niger proche de la frontière malienne. 

Les militaires français ne seront plus que 2.500 environ au Sahel à l'issue de ce repli, qui ouvre une phase de coopération renforcée avec les autres pays de la région, dont le Niger, en fonction de leurs besoins, selon l'état-major français.

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