
Combien d'hommes auteurs de violences sexuelles en France ? Il n'y a pas de chiffres
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 23 février 2018 à 13:15
- Lecture : 4 min
- Par : Guillaume DAUDIN
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Le résumé de la polémique
Le titre de l'interview de la militante féministe Caroline De Haas à l'Obs a suscité une tempête, notamment sur les réseaux sociaux: "Un homme sur deux ou trois est un agresseur". Un homme sur deux ou trois en France, cela ferait dix à seize millions d'"agresseurs".
Sur Twitter, Caroline de Haas a affirmé avoir dit autre chose dans son entretien :
Lors d'un échange téléphonique de 45 minutes, je dis au journaliste "1 femme sur 2 victime de violence sexuelle. Dans la majorité des cas, par quelqu'un de leur entourage. Donc ça signifie que les agresseurs sont nombreux. 1 sur 2, 1 sur 3 ? Je ne sais pas. Beaucoup"
— Caroline De Haas (@carolinedehaas) 15 février 2018
Avant d'ajouter rapidement: "Nous ne savons pas le nombre d'hommes agresseurs. Nous savons juste que des millions de femmes sont victimes de violences sexuelles en France de la part de leur entourage."
Ce qu'elle avait aussi dit d'une autre manière, un peu plus tôt dans ce tweet:
Fait #1 : 1 femme sur 2 a été victime de violences sexuelles.
— Caroline De Haas (@carolinedehaas) 15 février 2018
Fait #2 : vous connaissez beaucoup de victimes.
Fait #3 : Dans l’immense majorité des cas, la victime connaît l’agresseur.
Fait #4 : vous connaissez beaucoup d’agresseurs.
Fait #5 : c’est pas agréable à entendre.
Prononcée ou non, l'affirmation a été rejetée par la Secrétaire d'Etat à l'Egalité femmes-hommes, Marlène Schiappa : "J'ai essayé de quantifier pendant plusieurs années le nombre de violeurs, d'agresseurs sexuels en France. Non, fermement non, d'aucune manière ça ne peut être un homme sur deux, dans la mesure où ça voudrait dire qu'il y aurait plus d'agresseurs sexuels que de femmes qui auraient été violées, ça veut dire que tous les viols qui seraient survenus seraient à chaque fois des viols en réunion. Mathématiquement, arithmétiquement, ce chiffre là est faux" a-t-elle répondu sur BFM TV.
Mme Schiappa mêle là deux notions juridiques différentes, les "agressions" évoquées par Mme De Haas, et les viols, moins fréquents:
- un viol est une "atteinte sexuelle avec pénétration commise sans le consentement clair et explicite de la victime". Par exemple, une fellation forcée.
- une agression sexuelle est "une atteinte sexuelle commise sans le consentement clair et explicite de la victime". Par exemple, une main aux fesses.
Qu'en est-il réellement ?
- La proportion de victimes de violences sexuelles
4/ Première donnée, celui des seules plaintes enregistrées: en 2017, 16.400 plaintes ont été déposées pour viol, et 24.000 pour "d'autres agressions sexuelles", y compris le harcèlement, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur fin janvier.
Pourtant, "moins d’une victime sur 10 se fait connaître des forces de sécurité", peut-on lire, même si "la fin 2017 a notamment été caractérisée par une hausse très nette des plaintes suite à l’affaire +Weinstein+".
2/ Il faut donc regarder d'autres données, basées sur le déclaratif. Dans une enquête de l'Ined de 2015, "Violences et rapport de genre", 14,5% des femmes affirment ainsi avoir été victimes de violences sexuelles (viols, tentatives de viols et autres agressions sexuelles subies) au cours de leur vie. Soit, rapporté à la population française, cinq millions de femmes.
Cette enquête de l'Institut national d'études démographiques, qui exclut le harcèlement sexuel et l'exhibitionnisme, a été réalisée auprès d'un large échantillon : 27.268 personnes (15.556 femmes et 11.712 hommes) de 20 à 69 ans, et publiée fin 2016.
3/ Deux sondages récents, enfin, se sont penchés sur la question.
Mi-octobre 2017, un sondage Odoxa-Dentsu affirmait que plus d'une Française sur deux a été un jour victime d'agression sexuelle (baiser forcé, main aux fesses, attouchements sexuels...) et/ou de harcèlement sexuel (propos déplacés, dégradants, insultes à connotation sexuelle, propositions sexuelles...). Une femme sur deux, soit environ 17 millions de femmes, rapporté aux chiffres de la population française.
Dans ce sondage, réalisé auprès d'un échantillon de 995 personnes quelques jours après le lancement du mouvement #balancetonporc, 53% des femmes interrogées disent avoir été confrontées à un ou plusieurs de ces trois cas de figure: agression sexuelle, harcèlement sexuel en dehors du lieu de travail ou au travail.
Dans ce même sondage, par ailleurs, 6% des hommes interrogés disent avoir été victimes d'agression sexuelle, 5% de harcèlement sexuel en dehors de leur lieu de travail et 7% au travail.
L'Ifop et la Fondation Jean Jaurès ont eux publié vendredi 23 février un sondage dans lequel 12% des femmes déclarent avoir été victimes d'un viol au cours de leur vie, ce qui ferait plus de quatre millions de femmes. Cette fois, l'échantillon interrogé comprend plus de 2.000 femmes.
Quelle proportion d'hommes dans la population française peuvent être considérés comme des "agresseurs" sexuels ?
On ne peut pas le dire exactement, puisque pratiquement aucun chiffre n'existe en la matière.
D'après l'enquête Virage, c'est au sein de l'espace privé, c'est-à-dire dans les relations avec la famille, les proches, les conjoints, petits amis et ex, que se produisent l'essentiel des viols et tentatives de viols. Des personnes connues des victimes, donc.
D'après les données compilées par le Haut Conseil à l'Egalité, 83% des femmes victimes de viols ou de tentatives de viols entre 2010 et 2012 connaissaient leur agresseur.
Rien ne permet de savoir quelle part prend la récidive dans ces violences sexuelles de tous types, et donc de déterminer le nombre d'hommes auteurs de violences sexuelles.
Seuls chiffres concrets disponibles, ceux du ministère de l'Intérieur déjà cités: on y apprend qu'en 2017 "les forces de sécurité ont mis en cause 22.348 personnes pour des crimes ou des délits de violences sexuelles ou de harcèlement sexuels". Ces "auteurs présumés" sont à 98% des hommes. Est-ce à dire que sur un an, il n'y aurait eu "que" 22.348 agresseurs potentiels ? Non, car ces chiffres recensent la seule activité de ces forces de l'ordre.