Aucune étude scientifique n’a prouvé l’efficacité de l’artemisia contre le coronavirus
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- Publié le 13 mai 2020 à 16:24
- Mis à jour le 13 mai 2020 à 16:24
- Lecture : 6 min
- Par : Anne-Sophie FAIVRE LE CADRE
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Alors que les scientifiques et laboratoires pharmaceutiques d’Europe, de Chine, des Etats-Unis sont lancés depuis des mois dans une course pour trouver un vaccin contre le coronavirus, le président de Madagascar, Andry Rajoelina, a pris tout le monde de court le 19 avril en lançant officiellement un "remède" contre le coronavirus: une tisane à base d’artemisia.
Malgré les réserves répétées de l’OMS, l’annonce a fait grand bruit en Afrique, où cette plante très répandue est connue pour ses vertus antipaludiques.
De nombreuses publications sur les réseaux sociaux font l’apologie de cette plante.
Ces publications ont déclenché une ruée sur l’artemisia, alimentée par un amalgame entre coronavirus et paludisme né des débats scientifiques autour de l’efficacité de la chloroquine, dérivé synthétique de la quinine également utilisé contre le paludisme.
A l’heure actuelle, aucune des nombreuses études menées jusqu’à présent n’a permis de conclure à l’efficacité d’un traitement contre le coronavirus, qui a causé plus de 290.000 décès depuis décembre, selon un decompte réalisé le 13 mai par l'AFP à partir de données officielles.
Une plante aux vertus antipaludiques reconnues
Utilisée dans la pharmacopée traditionnelle africaine, ainsi que dans la médecine traditionnelle en Chine, l’artemisia est une plante connue pour ses vertus antipaludiques.
Une de ses molécules, l’artémisine, est utilisée dans les médicaments contre le paludisme. En 2015, le prix Nobel de médecine a récompensé la chercheuse chinoise Tu Youyou pour sa découverte de cette molécule, devenue un des principaux traitements contre le paludisme.
Cette plante aux allures de fougère a connu un succès grandissant en Afrique, où se concentrent 94% des 405.000 décès annuels dus au paludisme et 93% des 228 millions de cas dans le monde.
Ces dernières années, des campagnes promotionnelles ont été menées notamment par des associations en Afrique de l’Ouest, prônant un usage sous forme de phytothérapie (tisane, gélules, ingestion de feuilles...) qui permettrait des traitements peu onéreux. Cette utilisation a été mise en doute par des scientifiques.
L’artemisia en tisane, une efficacité contestée
Tout d’abord, seule une espèce d'artemisia, l’armoise annuelle (artemisia annua), contient de l'artémisine.
Et si l’artémisine est utilisée dans la plupart des médicaments antipaludiques, "c'est son association avec d'autres molécules qui est nécessaire pour soigner efficacement la maladie en retardant l'apparition de résistances", rappelait Sandrine Houzé, parasitologue à l'hôpital Bichat à Paris dans une dépêche de l’AFP d’avril 2019.
Dans une vérification de l’AFP sur les infusions d’artemisia comme triatement contre le paludisme, plusieurs scientifiques mettaient également en doute l’efficacité de ce procédé, en raison notamment d’un dosage aléatoire et d’une concentration d’artémisine insuffisante.
Ces raisons ont également été pointées par l'Académie nationale de médecine en France en février 2019, puis par l’OMS dans une publication d’octobre 2019 jugeant non justifié l’usage de l’artemisia dit "non-pharmaceutique".
Artemisia et coronavirus, aucune preuve scientifique
Le président malgache Andry Rajoelina assure, lui, de l’efficacité de la tisane à base d’artemisia, baptisé CVO ou Covid-Organics, produite par l'Institut malgache de recherche appliquée (IMRA).
Ce remède est est composé "majoritairement avec de l’artemisia à hauteur de 62%, mais aussi avec des plantes endémiques médicinales malgaches", a-t-il précisé le 11 mai dans une interview à France 24 et RFI.
"Le Covid-Organics est un remède préventif et curatif contre le Covid-19 qui fonctionne très bien", a affirmé M. Rajoelina.
"Une nette amélioration de l’état de santé des patients ayant reçu ce remède a été observée en 24 heures seulement après la première prise. La guérison a été constatée après sept jours, voire dix jours. Ce remède est naturel, non toxique et non invasif", a détaillé le président malgache, se basant sur des "observations scientifiques" et non sur des essais cliniques.
Sur les réseaux sociaux, des rumeurs ont affirmé que l’OMS avait homologué ce breuvage, ce que l’institution a démenti dans un billet de blog de l’AFP.
"Par rapport à ce médicament, notre position est claire: il n’y a pas eu de test, on encourage la recherche, mais tout médicament recommandé devrait avoir fait l’objet de tests et essais pour prouver son efficacité et son innocuité, afin qu’il ne soit pas néfaste à la population. Ce qui n’est pas le cas pour ce remède. Si on devait le recommander, il faudrait qu’il fasse l’objet d’un consensus scientifique", a expliqué le 29 avril à l’AFP Michel Yao, responsable des opérations d’urgence de l’OMS Afrique.
Accusée par ses détracteurs d’être le bras armé de l’industrie pharmaceutique, l’OMS a rappelé le 4 mai sur son site internet que "des plantes médicinales telles que l'artemisia annua sont considérées comme des traitements possibles du Covid-19, mais des essais devraient être réalisés pour évaluer leur efficacité et déterminer leurs effets indésirables".
Le même jour, l’ANSM, agence française nationale de sécurité du médicament, avait, elle, qualifié de "fausses et dangereuses" les "allégations" présentant l’artemisia, présentée comme une solution thérapeutique ou préventive contre le coronavirus.
Ces affirmations "pourraient retarder une prise en charge médicale nécessaire en cas d’infection confirmée. En effet, les produits à base d’Artemisia annua n’ont jusqu’alors pas fait la preuve de quelconques vertus thérapeutiques", estimait l’ANSM dans un communiqué.
Il y a encore "beaucoup d’incertitudes" concernant l’artemisia, avait également résumé une porte-parole du ministère de la santé du Sénégal interrogée par l’AFP.
Le président malgache en fait une affaire politique
Le 9 mai, sur son compte Twitter officiel, M. Rajoelina a annoncé avoir transmis des cargaisons de ce breuvage à ses "frères africains", et indiqué que le président tchadien avait affrété un avion pour récupérer un chargement de Covid-Organics.
Une quinzaine de pays d’Afrique de l’Ouest (dont la Guinée-Bissau, le Sénégal, la République Démocratique du Congo, la Guinée Equatoriale) mais aussi la Tanzanie ont également reçu des échantillons.
Avec le #CovidOrganics, #Madagascar est aux côtés de ses frères africains pour soigner et sauver des vies. Notre devoir est de préserver la santé de nos peuples. Le #Tchad a envoyé un avion pour récupérer les dons de CVO . Merci au Président @IdrissDebyI pour sa confiance. ?? ?? pic.twitter.com/H2pwzK4sdh
— Andry Rajoelina (@SE_Rajoelina) May 9, 2020
Selon l’agence de presse africaine APR News dans un article daté du 6 mai, l’Union Africaine prévoyait également de diligenter une série d’examens scientifiques afin de s’assurer de l’efficience et de la sûreté de ce produit, qui n’a pas encore reçu d’autorisation définitive de mise sur le marché à Madagascar.
Au cours de sa dernière interview, le président malgache a fustigé la dimension politique des critiques contre le breuvage malgache.
"Si c’était un pays européen qui avait découvert ce remède, est-ce qu’il y aurait autant de doutes ? Je ne pense pas", a-t-il lancé: "Le problème c’est que cela vient d’Afrique. Et on ne peut pas accepter qu’un pays comme Madagascar, qui est le 163e pays le plus pauvre du monde, ait mis en place cette formule pour sauver le monde".