Non, la tisane à l’artémisia et la noix de cola ne guérissent pas le paludisme

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 08 juillet 2019 à 18:22
  • Mis à jour le 08 juillet 2019 à 18:22
  • Lecture : 4 min
  • Par : Anne-Sophie FAIVRE LE CADRE
Sur les réseaux sociaux en Afrique, des publications partagées des centaines de fois depuis 2018 affirment que le paludisme, maladie transmise par les moustiques et causant plus de 400.000 décès par an selon l’OMS, peut être soigné au moyen de tisanes d’artemisia, une plante issue de la pharmacopée chinoise, ou de noix de cola. Une affirmation réfutée par les spécialistes de la santé contactés par l’AFP en juin 2019. 

C’est une annonce comme il en existe des milliers, disséminées sur des pages Facebook en Afrique. “Une plante contre le Paludisme ! ARTEMISIA Annua est une thérapie naturelle efficace pour le traitement et la prévention du Paludisme et de la Bilharziose”, affirme la page béninoise Diffusion Pro, avant de proposer à la vente des tisanes à l’artemisia, à 2.500 Francs cfa (3,75€) les 25 sachets - à titre de comparaison. Dans les commentaires, des internautes louent l’efficacité de cette plante et affirment qu’elle soignerait également le cancer.  

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(Capture d'écran Facebook du 8 juillet)


Qu’est-ce que l’artemisia ?

L’artemisia est une plante issue de la pharmacopée chinoise. En 2015, la chercheuse Tu Youyou a été récompensée du prix Nobel de médecine pour avoir démontré l’efficacité de l’artémisine, principe actif contenu dans l’artémisia, dans les traitements anti-paludéens.

Mais, comme le rapportait l’AFP dans une dépêche datée du mois d’avril, l’Artemisia n’est pas une plante miracle en elle-même, et son efficacité a été amplement contestée par la communauté scientifique. 

Depuis 2007, l’OMS met en garde contre l’utilisation de produits dérivés utilisant de l’artémisine. “Depuis, le marché mondial des produits contenant des dérivés de l'artémisinine a connu une croissance rapide. Cependant, toutes les artémisinines ne sont pas aux normes requises pour produire des médicaments de qualité, ce qui rend d'autant plus urgente la promotion des meilleures pratiques en matière de culture et de récolte de la matière première utilisée pour produire les associations médicamenteuses”, lit-on sur une note publiée dès 2007 par l’Organisation internationale. 

En 2012, l’OMS se positionne une fois encore contre l’artemisia, en rappelant que les formes non-pharmaceutiques d’Artemisia Annua ne peuvent guérir le paludisme. En cause, les faibles quantités d’artémisine contenues dans les tisanes et remèdes artisanaux, et la variabilité de la teneur en principes actifs de la plante en fonction de son stockage.
 

L’artemisia en tisane est-elle un remède contre le paludisme ? 

Les experts contactés par l’AFP affirment que non. “Le problème de la pharmacopée traditionnelle, c'est les difficultés de dosage. L'artemisia est une plante dont les composants sont intéressants, sur laquelle il y a beaucoup de choses à découvrir. Mais avec des comprimés stabilisés, on peut savoir quelle quantité est contenue. Avec les produits naturels, c’est impossible”, alerte le professeur Paul-Henri Consigny, directeur de l’Institut Pasteur.

Chef du service de médecine des voyages à l’hôpital Bicêtre, à Paris, le professeur Benjamin Wyplosz partage l’avis de son confrère. “Les raisons de l’échec de l’artemisia sont à peu près celles de l'homéopathie : si vous ne prenez pas la bonne dose, pas la bonne voie d'administration et que le diagnostic n'est pas certain, cela commence à être compliqué”.

En mai 2019, une étude clinique portant sur l’efficacité de l’artemisia a été menée par plusieurs CHU en France. “En France, l’utilisation de l’Artemisia principalement sous forme de tisanes pour la prophylaxie du paludisme fait l’objet d’une promotion croissante d’associations relayées auprès du grand public. En l’absence d’études cliniques de méthodologie rigoureuse validant son efficacité, l’utilisation d’Artemisia naturelle est à proscrire”, indiquent ses conclusions. 

La Garcinia Cola, substance contenue dans la noix de cola, peut-elle également soigner le paludisme ? 

Sur les réseaux sociaux, certaines publications prêtent à la noix de cola des vertus anti-paludiques. Ainsi, la page Facebook camerounaise “Pharmacie Du Village” affirme, dans un post partagé plus de 600 fois depuis sa publication en janvier 2019, que de “nombreuses recherches” auraient prouvé les vertus de cette graine très populaire en Afrique de l’Ouest.

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(Capture d'écran Facebook du 8 juillet)

Selon le texte partagé par cette page, et partagé plusieurs centaines de fois sur d’autres pages et groupes Facebook, “de nombreuses recherches ont révélé que les constituants chimiques du Garcinia cola ont des propriétés antipaludiques”. 

Si le garcinia cola a, effectivement, fait l’objet d’expérimentations scientifiques, rien ne prouve qu’elle soigne le paludisme. En 2017, au Nigeria, des chercheurs ont mené une étude sur des souris, en exposant des rongeurs infectés par le paludisme à des traitements à base de garcinia cola. Les résultats de cette étude, publiée dans le “Journal of Pharmacology and basic toxicology”, ont démontré une baisse des cellules infectées, mais n’ont pas permis de traiter totalement les animaux malades du paludisme. “Nos conclusions suggèrent que la Garcinia Cola a du potentiel pour devenir un agent antipaludique, mais des expériences plus poussées doivent être menées”, avaient conclu les responsables de cette étude. 

Pour le directeur de l’Institut Pasteur, “aucune extrapolation n'est possible” à partir de ces résultats. “ On ne peut, pour l’heure, rien en tirer en termes de mesure pratique, tant que des expérimentations in vivo sur l'homme n'auront pas été menées. Dire que la noix de cola protège du palu, c'est de la déformation d'information", conclut le chercheur.

Selon le professeur Benjamin Wyplosz, ces publications entretiennent la défiance vis-à-vis des médicaments dans des population défavorisées qui n'osent pas faire appel à la médecine non traditionnelle. “C'est un vrai problème car beaucoup de gens meurent de prendre n'importe quoi, ou des médicaments qui n'en sont pas”, conclut le chef du service de médecine des voyages à l’hôpital Bicêtre.

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