Attention, ces photos n’ont aucun lien avec l’histoire du Cameroun

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 31 août 2020 à 17:31
  • Lecture : 8 min
  • Par : Monique NGO MAYAG
De nombreuses photos en noir et blanc ont été détournées sur les réseaux sociaux au Cameroun, avec des légendes humoristiques qui peuvent créer la confusion sur la véritable identité des personnes en images. L’AFP a retracé l’origine des clichés.

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Capture du post partagé au Cameroun, réalisée le 28 août 2020

Le 25 août, un internaute camerounais dont le compte Facebook totalise plus de 200.000 abonnés, publiait une série de six photos en noir et blanc avec des légendes qui se veulent humoristiques. Ces légendes, inspirées des déclarations de personnalités politiques ou d’interventions médiatiques au Cameroun font sourire certains dans les nombreux commentaires, tandis que d'autres sont plus réservés sur l'utilisation qui est faite de ces clichés.

Ce genre de publication s’exporte dans d’autres pays comme la Côte d’Ivoire. Nombreux sont ceux qui y voient une insulte faite à la douloureuse histoire de l'esclavage. Certains de ces clichés montrent en effet d’anciens esclaves et datent du 19e siècle. 

Photo 1

Une femme d’une ethnie ouest africaine

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La première image utilisée dans le post montre une femme assise sur une grande chaise et fixant l’objectif du photographe. L’auteur de la publication la nomme "Ngo Agbor Dipanda, première camerounaise à être venue à une fête pour manger. Elle aurait déclaré: je suis venue pour manger", écrit-il. Des propos qui, dans le contexte camerounais, rappellent ceux prononcés par l’invitée d’une émission télévisée locale. Mais la femme en image n’est pas Camerounaise.

On retrouve la même image, cette fois en couleur, sur le réseau social Pinterest. La description qui lui est associée indique en anglais qu’il s’agit d’une photo ancienne intitulée "Gold Coast, Fanti Woman" prise à Freetown (en Sierra Leone, pays d’Afrique de l’Ouest), vers 1900 par le photographe W.S. Johnston. 

Le titre "Gold Coast, Fanti Woman" apparaît inscrit sur la photo dans plusieurs publications. "Fanti" étant le nom d’un groupe ethnique vivant en Afrique de l’Ouest, principalement au Ghana, pays anciennement appelé "Gold Coast" ou "Côte de l’or" pour sa richesse minière.

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Image prise sur le blog adireafricantextiles.blogspot.com, le 25 août 2020

Nous retrouvons cette image en noir et blanc sur un site web consacré aux coiffures anciennes arborées dans la côte ouest africaine de la fin du 19ème siècle. On y mentionne aussi W.S. Johnston comme auteur. 

Quelques oeuvres photographiques de W.S. Johnston, prises entre 1895 et 1930, figurent sur le site du British museum basée à Londres. Il n’y a pas celle intitulée "Gold coast Fanti Woman". Cependant, celles qui sont présentées ont toutes été prises à Freetown, en Sierra Leone, pays d’Afrique de l’Ouest.

Photo 2

Renty, esclave en Amérique

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Une autre photo montre un homme, torse-nu, le regard impassible et fixé vers l’objectif. La légende qui lui est associée au Cameroun lui prête les noms de trois personnalités politiques camerounaises: Biya, Libii et Kamto.

Mais en réalité, il s’agit du visage d’un esclave déporté en Amérique au 19e siècle. Connu sous le surnom de Renty, sa photo a été rendue célèbre par des publications et documentaires abordant la question de la traite des Noirs en Amérique.

Le portrait de "Renty" barre par exemple la couverture du livre intitulé "The chattel principle", édité en 2004. L’utilisation jugée "honteuse" de son image a donné lieu à un procès très médiatisé intenté par une femme qui se réclame de la descendance de Renty.

Photo 3

"Servante-esclave" en Somalie

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La troisième image montre une jeune femme de face et debout. Elle est drapée de tissu et tient une jarre. Une recherche d’image inversée sur Google déroule de nombreux articles illustrés avec ce cliché, parmi lesquels une archive de RFI titrée "Les trésors de la Société de géographie". 

La légende qui accompagne cette photo souligne qu’elle montre une "Servante-esclave" de "Moguedouchou" (devenu Mogadiscio) en Somalie, et prise entre 1882 et 1883 par Georges Révoil. Pour le copyright, le descriptif mentionne également le "département cartes et plans" de "Bnf", pour Bibliothèque nationale de France.

Elle figure effectivement sur le site web de la Bnf qui explique que "Georges Révoil, de 1877 à 1883, se rend à plusieurs reprises en pays somali. Photographe de talent, il prend de nombreuses vues de la région de Mogadiscio lors de son dernier voyage".

Photo 4

Un "érudit sénégalais" déporté en Amérique

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La 4e photo affiche un homme noir vêtu d’un costume à l’ancienne, la tête couverte d’un turban, assis et tenant une canne.

Il ne s’agit pas de "Garga Fotso" mais de Umar Ibni Saïd, décrit par le journal britannique, le Daily Mail, comme "un homme riche et hautement instruit, capturé en Afrique de l'Ouest et amené aux États-Unis comme esclave". 

Selon le Daily Mail, ce portrait a probablement été pris en 1850.

Le 26 janvier 2012, l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique a consacré un article au livre autobiographique de Omar Ibn Said, "né au Sénégal vers 1770, capturé à l’âge de 37 ans". Il est présenté comme "l’auteur, en 1831, de l’unique témoignage d’un esclave américain rédigé en arabe. Traduit en 1925, égaré, retrouvé en 1995".

Photo 5

Simon Kimbangu, fondateur  du "kimbanguisme"

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La cinquième image présente un jeune homme, torse-nu, le regard fixé vers le photographe. Il ne s’agit pas de "Njoya Guibaï Mvondo", ni du "premier Camerounais à avoir consommé du chanvre".

Il s’agit plutôt d’une ancienne photo du Congolais Simon Kimbangu, fondateur et maître à penser du "kimbanguisme", sa religion. Ses adeptes, appelés "fidèles de l'église de Jésus-Christ sur la Terre", se comptent par milliers en République démocratique du Congo (RDC).

On retrouve cette photo sur une page Facebook (inactive depuis janvier 2020) au nom de Simon Kimbangu Kiangani, l’actuel "guide spirituel" des Kimbanguistes et petit-fils de Simon Kimbangu.

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Capture d’écran Facebook réalisée le 25 août 2020

Il est écrit sur ce post que "cette photo de Kimbangu a été révélée le 3 février 2005 au musée royal de l’Afrique à Tervuren, en Belgique". A défaut de la retrouver sur le site du musée royal de Belgique, nous la retrouvons sur un blog visiblement pro kimbanguiste, dédié à l’histoire de la culture congolaise. 

Comme légende accompagnant la photo de Simon Kimbangu qui fait l’objet de notre recherche, on lit que "Kimbangu à l’âge de 34 ans peu après son arrestation par les Belges. Cette photo fut dévoilée le 3 février 2005 lors de l’exposition exceptionnelle sur la mémoire du Congo au Musée Royal de l’Afrique à Tervuren (Belgique)".

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Une dépêche AFP de 2017 rapporte que Simon Kimbangui se présentait comme "l'envoyé spécial de Jésus-Christ sur la Terre", et eut un bref ministère public en 1921 avant de passer 30 ans en prison et d’y finir ses jours pour incitation à la révolte.

Photo 6

Un combattant présumé de Boko Haram

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La dernière image est un portrait d’un jeune homme à la mine renfrognée. 

L’auteur de la publication de Facebook lui prête des jurons: "Premier Camerounais à avoir dit +merrde Combi+", écrit-il.

A l’aide d’une recherche d’image inversée avec l’outil Yandex, on retrouve le même visage dans un article publié le 20 juillet 2018 sur un site nigérian d’informations générales. 

Traduit de l’anglais, l’article est titré: "un combattant nain de Boko Haram déclare avoir reçu 5.000 nairas (10,84 €) pour aider à poser des bombes". Le jeune homme est nommé "Abubakar Kori, payé pour chaque attentat suicide perpétré à Maiduguri". 

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Capture sur www.360nobs.com, réalisée le 28 août 2020

Un autre article de ce site présente les "8 insurgés de Boko Haram derrière l'enlèvement de filles de Chibok et 14 autres personnes arrêtées". Cet enlèvement avait par ailleurs été très médiatisé. Le nommé "Abubakar Kori" est sur la photo d’ensemble qui illustre cet article.

On retrouve cette photo de groupe sous un autre angle dans un article de la Voix de l’Amérique (VOA) portant sur le même sujet; ainsi que sur le site de l’AFP, afpforum

Le descriptif du cliché de l’AFP souligne qu’il a été pris le 18 juillet 2018 et montre des "militants présumés de Boko Haram à Maiduguri, au nord-est du Nigeria". 

"Huit hommes impliqués dans l'enlèvement par Boko Haram de plus de 200 écolières de la ville reculée de Chibok, ont été arrêtés dans le nord-est du Nigeria, selon l’annonce de la police locale", lit-onen anglais.

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La photo qui circule actuellement sur les réseaux sociaux a donc été manipulée pour donner l’illusion d’être ancienne et dégradée.

Ces six images n’ont donc aucun rapport avec les histoires auxquelles elles sont rattachées actuellement sur les réseaux sociaux.

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