Attention, certaines de ces images n’ont pas de lien avec la grippe espagnole de 1918

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 19 juin 2020 à 18:45
  • Mis à jour le 30 juin 2020 à 12:43
  • Lecture : 10 min
  • Par : Brett HORNER, AFP Afrique du Sud
Des publications virales prétendent montrer des photographies prises à l’époque de la grippe espagnole, qui a frappé la planète au début du XXe siècle. Si la plupart de ces images dépeignent la vie dans diverses parties du monde durant cette pandémie, plusieurs n’ont aucun rapport et ont été prises des années plus tôt ou plus tard.

Des personnes arborant masques, voiles, cache-nez de toutes sortes… Les photos sont en noir et blanc mais il n’y a "rien de nouveau” avec l’époque actuelle du coronavirus, estime l’auteur d’une publication Facebook en français, reprise plusieurs centaines des fois depuis le 14 juin. 

L'auteur du post présente une série de 13 photos qui ont été prises, affirme-t-il, lors d’une ancienne pandémie qui a frappé la planète, celle de "grippe en 1918", connue sous le nom de grippe espagnole.

Image
Capture d'écran réalisée le 29 juin 2020, sur Facebook

Des publications similaires reprenant un grand nombre de ces photos ont également abondamment circulé au Bangladesh, au Pakistan et aux États-Unis, mais aussi en Espagne.

La pandémie de grippe de 1918, communément appelée grippe espagnole, a été l'une des plus meurtrières de l'histoire.

Entre 1918 et 1920, elle a tué plus de 50 millions de personnes et en a infecté environ 500 millions, soit environ un tiers de la population mondiale à l'époque. 

Avec des recherches d'image inversées sur les moteurs de recherche Google, Yandex et TinEye, l’AFP a retracé l'origine de chacune de ces photographies. 

Parmi ces 13 clichés, il apparaît que six sont sans rapport avec la pandémie de grippe qui a débuté en 1918.

Des images sans lien avec la grippe espagnole

Image
Photo prise sur le site Alamy

L'une de ces photos montre deux femmes marchant dans la rue, bras dessus, bras dessous, leurs visages recouverts d’un large foulard qui ne laisse apparaître que leurs yeux.

Une récente vérification de l'AFP a permis de la retrouver dans la banque d’images Alamy.

On y constate qu’un texte en allemand accompagne la photo et mentionne: "Une nouvelle mode du voile. La guerre dans les Balkans a créé une nouvelle mode particulière. Les dames portent aujourd'hui le voile du nez, utilisé en Turquie depuis des siècles".

Image
Capture d'écran réalisée sur le site Web de la banque d'images Alamy

Alors que la grippe espagnole a duré de 1918 à 1920, la guerre des Balkans remonte, elle, aux années 1912 et 1913.

Le crédit photo mentionné par Alamy est celui de l’agence Süddeutsche Zeitung Photo, basée à Munich.

Contacté par l’AFP, le porte-parole de l’agence, Sven Riepe, a affirmé que la photo datait de 1913.

Une autre photo présente deux femmes, portant chacune un cône transparent sur le visage. 

Image
Capture d'écran Facebook réalisée le 29 juin 2020

Elle date en réalité de 1939 et a été prise à Montréal, au Canada, selon le site web des archives nationales néerlandaises et la Collection Spaarnestad, qui en détient les droits.

La légende sur le bon de commande pour cette photo (ci-dessous) indique que ces protections en forme de cône étaient utilisées pour se protéger contre la neige.

Image
Capture d’écran réalisée le 24 juin 2020 sur le site web des archives nationales néerlandaises

C'est aussi le mauvais temps qui a vu les deux femmes sur la photo ci-dessous se mettre à l'abri, en 1953, cette fois sous de grandes capes fermées transparentes.

Image
Capture d'écran tirée de la bande d'images de l'Associated Press-AP-

On retrouve ce cliché sur le site de l’agence américaine Associated Press (AP).

"Meriel Bush, à gauche, et Ruth Neuer utilisent des capes contre le gaz (issues) des surplus de la guerre pour essayer de se protéger des effets irritants pour les yeux, de la brume et la fumée qui enveloppent Philadelphie pour la deuxième journée consécutive, le 20 novembre 1953", explique la légende qui accompagne la photo.

"Des conditions météorologiques anormales dans tout l'est (des Etats-Unis, ndlr) seraient la cause de ce brouillard", ajoute le texte d'AP.

Une utilisation plus conforme de matériel de guerre peut être vue sur une autre photo montrant une femme avec un masque à gaz penchée sur un landeau.

Image
Image prise sur le site Web de Getty Images

Les recherches pour retrouver cette photo mènent vers le site web de l’agence Getty Images, qui indique que le cliché a été pris lors d'un exercice durant la Deuxième Guerre mondiale.

"Exercice contre le gaz, le 9 juin 1941: une jeune mère avec un masque à gaz s'occupe du masque sur la poussette de son enfant, lors d'un exercice surprise contre le gaz à Kingston" (dans l’agglomération de Londres, ndlr), détaille la légende.

Deux affiches détournées 

Image
Capture d'écran d'une vieille annonce archivée, parue dans un journal

Un visuel publicitaire est également censé montrer la vie pendant la pandémie grippale de 1918.

"Les personnes qui sont en quarantaine ne sont pas isolées si elles ont un téléphone Bell", peut-on lire. 

On retrouve cette image dans une édition du journal américain le St Louis Post-Dispatch datée du 17 novembre 1910. Cette publicité pour les téléphones Bell date donc de plusieurs années avant la pandémie de grippe espagnole.

A cette époque, toutefois, les maladies contagieuses -comme la diphtérie ou la variole- étaient courantes et poussaient les autorités à imposer des quarantaines et des mesures d’isolement.

Un autre visuel, avec le message "Stay at home" ("Restez chez vous" en français), est également sans rapport avec la grande pandémie du début du XXe siècle.

Image
Capture d'écran d'une affiche conçue pour la sensibilisation sur le COVID-19

Cette affiche a été conçue pendant le coronavirus par un illustrateur français nommé Mathieu Persan, pour inciter les gens à rester chez eux durant la pandémie du Covid-19.

Il a posté les premières versions en anglais et en français le 13 mars 2020 sur ses comptes FacebookTwitter et Instagram et depuis lors, l’affiche a été traduite en plusieurs langues (japonais, turc, hébreu, grec...). 

Interviewé par de nombreux médias français (123), Mathieu Persan a expliqué sa démarche.

"J’ai une amie médecin qui m’a contacté en me disant qu’au-delà de s’attendre à un confinement (décrété par le gouvernement, ndlr), il fallait soi-même se confiner dès maintenant parce que c’était nécessaire pour la santé de tout le monde. Et elle m’a dit que ce message, il fallait absolument le relayer. Et comme je suis illustrateur, je me suis dis: 'je vais faire une affiche'. En fait, je n'ai pas beaucoup réfléchi en le faisant. J’ai fait ça très rapidement, un peu sur un coup de tête", détaille-t-il sur la chaîne de télévision française M6.

D’authentiques images de la pandémie de grippe espagnole

L'AFP a établi que les autres images incluses dans les publications virales étaient légitimement associées à la pandémie de grippe de 1918, selon les informations recueillies dans les diverses collections et archives auxquelles elles appartiennent.

Image
Captures d'écran de diverses photographies de Getty Images montrant la vie pendant la pandémie de grippe de 1918

Celles-ci, hébergées sur le site de Getty Images, montrent une femme utilisant un appareil respiratoire (en haut à gauche), des policiers de Seattle portant des masques (en haut au milieu), une infirmière à l'hôpital Walter Reed de Washington (en haut à droite), une infirmière de la Croix-Rouge aux Etats-Unis (en bas à gauche), deux femmes discutant avec des masques sur le visage (au milieu en bas) et des entrepôts reconvertis en centre de quarantaine (en bas à droite).

Les légendes de l'agence de photographie Alamy Stock (12) sur deux affiches (ci-dessous) confirment qu'elles datent également de 1918.

Image
Capture d'écran de deux annonces de service public

A l’heure où les médias audiovisuels et les réseaux sociaux n’existaient pas, elles fournissaient des conseils sur la façon de prévenir les infections ainsi que pour fabriquer un masque.

Une autre image remontant au début de la pandémie de 1918 a été publiée récemment par le New York Times dans le cadre d'un article sur l'impact de la pandémie dans la ville de Philadelphie.

Image
Capture d'écran d'une photo d'un tramway à Philadelphie avec une pancarte  qui dit: "cracher propage la mort"

Cette photographie d'une pancarte "Cracher propage la mort" posée sur un tramway a été créditée à la bibliothèque d'histoire médicale du Collège des médecins de Philadelphie et est datée d'octobre 1918.

L'une des images les plus populaires circulant sur internet durant la pandémie de Covid-19 montre une photo de famille, dont les six membres portent des masques. Ils en ont également mis un à leur chat.

Image
Capture d'écran d'une image archivée montrant une famille et leur chat de compagnie se protégeant pendant la pandémie de grippe de 1918

Deux archives californiennes en ligne (12) datent la photo des années 1920, sans plus de détails.

Mais un article sur le site d'un musée local de la ville de Pleasanton, en Californie, identifie les personnes comme étant la famille Del Perugia photographiée en 1918.

Enfin, l’AFP a retracé la photo qui montre un jeune vendeur de journaux avec un cache-nez devant un théâtre à Toronto, au Canada. 

Image
Capture d'écran d'un article en ligne daté d'avril 2020 sur la fermeture de théâtres pendant COVID-19 et la pandémie de grippe de 1918 à Toronto

La photo apparaît dans une vidéo d’un historien local et a été publiée en avril dans un reportage au Canada avec comme légende: "Un vendeur de journaux devant le Loew's Downtown de Toronto, aujourd'hui théâtre Elgin, pendant la pandémie de grippe espagnole de 1918".

Une recherche sur Google Street View confirme que ce garçon se tenait bien devant le théâtre Elgin à Toronto.

Image
Comparaison entre le théâtre Elgin de Toronto sur Google Street View le 19 juin 2020 et la photo du vendeur de journaux

​On remarque la cabine à billets à l’entrée avec sa forme distinctive et les portes d'entrée en verre à droite, qui correspondent à la photographie originale.

Article traduit de l'anglais et adapté par Monique Ngo Mayag

Vous souhaitez que l'AFP vérifie une information?

Nous contacter