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- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 22 novembre 2019 à 18:00
- Mis à jour le 10 janvier 2020 à 18:18
- Lecture : 10 min
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Depuis 2016, le collectif "Féminicides par compagnons ou ex" recense au jour le jour dans la presse locale chaque nouveau cas présumé et le publie sur les réseaux sociaux. En 2017, Libération, pionnier sur le sujet côté médias, a commencé à faire de même.
Peu connu au départ, le collectif tenu par quatre bénévoles a pris de la visibilité ces derniers mois, jusqu'à devenir un lanceur d'alertes sur ce thème longtemps ignoré, et de voir son décompte repris par les médias et politiques.
Car si le gouvernement compte ces meurtres depuis 2006, il ne publie ses chiffres que bien après les faits: en juillet 2019 pour l'année 2018, en novembre 2018 pour l'année 2017...
Alors que les chiffres restent plutôt stables d'année en année - une femme tuée tous les trois jours en moyenne - l'AFP a décidé de mobiliser son réseau de journalistes national pour décortiquer et expliquer ce phénomène au plus près de l'actualité, sur les cas de l'année en cours. Avec l'objectif de publier les résultats pour le 25 novembre, date de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes.
Pour chaque cas comptabilisé par le collectif, les journalistes de l'AFP ont contacté services de police et gendarmerie, magistrats, avocats, maires ou proches des auteurs et victimes.
Ils leur ont notamment demandé le nom, l'âge et la profession de l'auteur et de la victime, leur relation au moment des faits, le lieu du meurtre, l'élément déclencheur du crime (dispute, séparation...), le mode opératoire (arme, coups...), le signalement de violences antérieures, la présence d'enfants au moment des faits.
Des cas écartés
Pour mieux tirer les enseignements de ces données, ils sont également allés à la rencontre de dizaines d'experts, proches, témoins, avocats et autorités diverses.
Mais ce travail s'est parfois heurté au "temps de l'enquête". Car si dans la plupart des affaires le scenario du féminicide ne fait pas de doute pour les enquêteurs, d'autres sont plus complexes et ne livrent parfois pas leur vérité avant plusieurs mois, avec parfois des revirements.
Par rapport à la liste du collectif, les journalistes de l'AFP ont à ce stade une vingtaine de cas en moins, qui seront détaillés sur le blog AFP Factuel.
Parmi ces cas, une dizaine sont "en attente": les enquêtes n'ont pas encore permis de démontrer qu'il s'agissait bien de féminicides.
Et une dizaine d'autres ne s'avèrent pas être des féminicides. Parce que l'autopsie a révélé une mort naturelle, que l'enquête a montré que la femme et son meurtrier n'ont jamais eu de relation intime, etc.
S'est aussi posée la question des "suicides altruistes" - quand la conjointe est tuée à cause d'une maladie ou de sa vieillesse. Les journalistes de l'AFP ont compté ces cas comme des féminicides, comme le font aussi les autorités, sauf dans les cas où la volonté partagée de mourir a été prouvée.
L'AFP a ainsi retiré de son décompte plusieurs cas, comme celui de cet octogénaire qui a tué sa femme avant de mettre fin à ses jours début octobre à Fos-sur-Mer. Ce couple sans antécédents de violences conjugales avait laissé une lettre commune expliquant leur décision de mourir ensemble.
Idem en mai en Bourgogne-Franche-Comté, où l'analyse de la position des corps, des trajectoires des balles et les témoignages de proches ont finalement fait dire aux enquêteurs que la mort était souhaitée par les deux membres du couple.
Les cas en attente ou non retenus
L’AFP s’est basée sur le travail du collectif “Féminicides par conjoints ou ex” pour recenser et étudier les affaires de 2019 au cas par cas. Nous avons cependant décidé de retirer certains cas retenus par le collectif de notre décompte. Les voici, dans le détail.
La première liste recense les cas “en attente”, pour lesquels l’enquête n’a pour l’heure pas permis de déterminer s’il s’agissait de féminicides ou pas. Nous l’actualiserons avec toute nouvelle information.
La seconde liste recense les cas qui s’avèrent ne pas être des féminicides par conjoints ou ex.
En attente
Cayenne (Guyane), le 23 janvier
Une femme est morte dans l’incendie de sa maison, qui pourrait avoir été provoqué par son compagnon, mais les circonstances ne sont pas encore claires. L’enquête se poursuit.
Port-Vendres (Pyrénées-Orientales), le 20 mars
Une femme de 51 ans décède à l’hôpital, quelques jours après y avoir été admise. Son compagnon, soupçonné de l’avoir frappée, est arrêté. Le couple vivait dans un état aigu de misère sociale sur fond d’alcoolisme. Elle était alcoolique chronique avec des problèmes de santé l’exposant aux chutes. Le conjoint a toujours soutenu qu’elle était tombée, une thèse dorénavant prise au sérieux par les enquêteurs, son hématome à la tête étant compatible avec la chute dans l’escalier décrite par son compagnon. L’enquête se poursuit.
Châteauvillain (Haute-Marne), le 15 mai
Une femme de 57 ans retrouvée morte. Son mari a expliqué qu’elle avait fait une chute, mais a aussi reconnu l’avoir frappée. L’enquête se poursuit pour savoir ce qui a causé la mort. Le mari a été relâché sous contrôle judiciaire.
Paris, le 14 mars
Une femme de 46 ans et sa fille meurent dans l’incendie criminel de leur appartement. Un homme de 41 ans, qui connaissait la mère, a été mis en examen pour ce double homicide. Les enquêteurs cherchent toujours à établir la nature exacte de leur relation: s’ils avaient, ou s’ils avaient eu par le passé, une relation intime.
Thil (Meurthe-et-Moselle), le 4 juillet
Une femme de 37 ans vient surprendre son mari alors qu’il revient en voiture, avec sa maîtresse, d’une balade avec leur fils. Accompagnée de ses parents, elle l’attend sur le parking. Quand la voiture se gare, ils jettent des objets dessus. Le mari fait une brusque marche arrière pour repartir, et percute sa femme qui décèdera dans le camion des pompiers. Il dit ne pas l’avoir vue. A-t-il fait exprès ? Les témoins ne sont pas tous d’accord. L’enquête se poursuit pour déterminer s’il a volontairement percuté sa femme, ou s’il s’agit d’une “manoeuvre accidentelle dans la panique et dans un champ visuel rétréci", explique le parquet.
Les Rives (Hérault), le 17 juillet
Un homme de 39 ans tue sa compagne de 43 ans et leur bébé. En garde à vue, il explique qu’il s'agissait d'un projet de suicide collectif inabouti: le couple, désespéré par une décision “insupportable” des services sociaux ordonnant le placement de leur nourrisson jugé mal nourri, avait décidé que l’homme tuerait toute sa famille, avant de se suicider. Les enquêteurs ont des preuves que le couple avait discuté ensemble de ce projet. Après avoir tué sa conjointe et leur bébé à la carabine, l’homme part chez sa mère pour récupérer ses deux fils aînés et achever le projet. Mais il confesse le double meurtre à sa mère. Elle prévient les gendarmes, qui l’arrêtent. L’enquête sur ce “projet mûri, dissimulé”, selon le parquet, se poursuit pour “clarifier le processus qui a mené le couple” de “gens instruits et insérés" à “prendre en commun cette décision”.
Mulhouse (Haut-Rhin), le 17 août
Une femme de 58 ans est retrouvée morte chez elle. L'enquête est toujours en cours et selon le parquet l’autopsie n’a pu clairement établir les causes de la mort, “compte tenu de l’état de putréfaction du corps". De nouvelles analyses sont en cours. "Pour le moment cette découverte de cadavre ne peut être assimilée à un féminicide", explique le parquet.
Colmar (Haut-Rhin), le 19 octobre
Une femme de 31 ans meurt après avoir chuté de son appartement situé au troisième étage, où ses trois enfants sont présents. Arrêté, le mari a reconnu qu’ils s’étaient “disputés” mais nie toute implication dans la chute de sa femme. "Pour le moment, les circonstances précises du décès et les causes précises de la chute ne sont pas établies”, indique le parquet. L’enquête se poursuit.
Capesterre-Belle-Eau (Guadeloupe), le 9 décembre
Une jeune femme de 38 ans, mère de deux enfants de 8 et 13 ans, a été retrouvée le 9 décembre, égorgée dans son appartement à Capesterre-Belle-Eau et son conjoint, recherché pendant deux jours, a été découvert pendu le lendemain, a annoncé le parquet de Basse-Terre. Dans son véhicule, son conjoint avait laissé une lettre d'adieu à sa mère, laissant penser à un acte suicidaire, sur lequel l'enquête devra faire la lumière.
Les Contamines-Montjoie (Haute-Savoie), le 21 décembre
Cet homme de 70 ans a tué sa femme, 65 ans, au fusil de chasse avant de tenter de se suicider. Leur fils a assuré au Dauphiné Libéré qu’il s’agissait d’un suicide d’un commun accord, ses parents ne se remettant pas de la mort récente de leur autre fils.
Les autorités indiquent cependant pour l’instant ne disposer "d’aucun élément permettant de dire que c’est un suicide concerté". L’enquête se poursuit.
Non retenus
Nantes, le 16 janvier (Loire-Atlantique)
Une femme, 45 ans, avait été retrouvée morte chez son ex-compagnon à Nantes. Elle avait une plaie à la tête, mais qui "a pu être faite en tombant". "On a établi que c'était une mort naturelle", en dehors de tout contexte de violence, et "qu'elle avait des problèmes de santé", a expliqué le procureur Pierre Sennès. L'enquêteMontpellier, le 3 février (Hérault)
Montpellier, le 3 février (Hérault)
A 38 ans, Céline s’est tuée en sautant de son appartement, son fils de quatre mois dans les bras - il a survécu. Son corps était couvert de bleus, ses textos et les témoignages de ses proches montrent qu’elle était victime de violences conjugales régulières. D’abord mis en examen pour assassinat, le conjoint de Céline l’est maintenant pour “violences habituelles”. L’avocate de la famille de Céline reconnaît qu’il ne s’agit pas d’un féminicide - “’il ne fait pas de doute qu’elle a sauté d’elle même”, mais estime qu’il est responsable et se bat désormais pour que le “suicide provoqué” soit reconnu.
Saint-André-les-Vergers (Aube), 18 février
Un couple d’octogénaires retrouvés morts chez eux, plusieurs semaines après leur décès. Selon le parquet, l'enquête, terminée, n'a pas permis de déterminer avec certitude ce qu’il s’est passé. La femme serait morte d’une chute, mais l’enquête n’a pas pu dire si cette chute avait été provoquée par un tiers. Elle avait une plaie au crâne, qui n'était pas mortelle mais l'est devenue faute de soins. Le mari est lui décédé d’une crise cardiaque.
Nîmes, le 29 mars (Gard)
Une femme quinquagénaire est tuée au couteau par un homme du même âge dans un appartement de Nîmes. La police ne traite pas ce cas comme un féminicide : ils se connaissaient à peine, il n’y a pas de relation amoureuse ou sexuelle avérée entre eux. Les enquêteurs voient plutôt une très forte alcoolisation des deux protagonistes à l’origine du crime.
Châtillon-en-Bazois, le 9 mai (Nièvre)
Le couple de sexagénaires a souhaité mettre fin à ses jours ensemble, a conclu le parquet. L’’enquête, terminée, montre que l’homme a tiré sur sa femme, assise en face de lui, à bout touchant au milieu du front. Les analyses ont montré qu’elle était restée immobile et ne s’était pas défendue, les enquêteurs ont conclu qu’elle était consentante. L’homme s’est ensuite tiré une balle dans la tête. Il n’y avait aucun antécédent de violences dans le couple. La femme était dépressive, elle avait des problèmes de santé depuis de nombreuses années.
Pérols, le 20 juin (Hérault)
Cette jeune femme de 20 ans était tombée accidentellement du troisième étage après avoir essayé de descendre par ses propres moyens du balcon. Son compagnon l’y avait enfermée après une dispute. Il a été mis en examen pour non-assistance à personne en danger.
Saint-Denis, le 3 juillet (Seine-Saint-Denis)
Leïla, 20 ans, avait déposé une main courante la veille de sa mort pour des violences conjugales. Le lendemain, un voisin a prévenu les secours après avoir entendu des cris. Elle est morte à l’hôpital, enceinte de trois mois.Elle avait des traces de coups au visage et l’homme a reconnu des violences antérieures, mais l’autopsie a établi qu’elle avait succombé à une grossesse extra-utérine.
Muret, le 26 septembre (Haute-Garonne)
Une femme retrouvée morte à son domicile. Son mari a prévenu les secours. Il a été entendu mais relâché - l’enquête s’oriente vers la piste d’un accident domestique. Il n’y a pas de traces de violences.
Ivry-sur-Seine le 1er octobre (Val-de-Marne)
Ce couple d'une vingtaine d'années s'est disputé violemment dans une chambre, porte fermée, de l’appartement des parents de la jeune fille. Ces derniers ont entendu crier “Je vais sauter”, et “Vas-y, t’as qu’à sauter”. La jeune femme, 21 ans, est morte après une chute du 12e étage. Le compagnon a pris la fuite avant d’être arrêté. Les enquêteurs ne savent pas si elle est tombée accidentellement alors qu’elle menaçait de sauter ou si elle s’est jetée par la fenêtre. Ils ont en tout cas établi, vu la configuration des fenêtres et des meubles dans la pièce, qu’il n’avait pu la pousser physiquement.
Fos-sur-Mer, le 6 octobre (Bouches-du-Rhône)
Selon le procureur d'Aix, ce couple d'octogénaires, retrouvés morts chez eux, avaient convenu ensemble de se suicider. L'homme a tué sa femme par arme à feu, avant de se suicider. Le couple a laissé une lettre signée par eux deux, pour expliquer leur geste, commis "en raison de la dégradation de leurs conditions de vie et du fait de leur grand âge", explique le procureur.
Montauban, le 14 novembre (Tarn-et-Garonne)
Un jeune homme avait été arrêté et mis en examen, soupçonné d’avoir tué avec un fusil sa mère et sa petite amie dans leur maison. C’est lui qui avait donné l’alerte, mais il tenait des propos incohérents et avait changé de versions plusieurs fois. L’enquête a finalement montré que la mère et la petite amie du fils avaient été tué par le propriétaire de la maison, venu réclamé quelques 3.000 euros de loyers impayés.
Allauch (Bouches-du-Rhône), le 14 novembre
Un couple d’octogénaires retrouvé mort à leur domicile. L’homme a tué son épouse par arme à feu avant de se suicider. Il était atteint d’un cancer, et elle d’Alzheimer. “Les éléments de l’enquête confirment que nous avons affaire à une décision commune, planifiée et programmée”, affirme la police, qui a terminé son enquête.
Mazamet (Tarn), le 17 décembre
Cette femme a été retrouvée morte dans son lit après une sieste, selon son conjoint qui a alerté les secours. Son corps portait des traces d'hématomes. Après autopsie, l'enquête ne s'oriente pas vers une piste criminelle, explique la procureure, qui parle d'une femme à l'état physique "très délabré, avec de multiples problèmes de santé", dont l'alcoolisme.
Saumur, (Maine-et-Loire), le 17 décembre
Un homme de 91 ans a tué sa femme, atteinte de la maladie d’Alzheimer, avant de se suicider. Selon les autorités, le couple a laissé plusieurs écrits qui permettent d’écarter la thèse du féminicide : il s’agissait d’une volonté de mourir ensemble.