Non, sept enfants ne sont pas morts au Sénégal après avoir été vaccinés contre le coronavirus
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 08 avril 2020 à 15:29
- Lecture : 6 min
- Par : Anne-Sophie FAIVRE LE CADRE
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De la République Démocratique du Congo au Mali en passant par le Cameroun, la nouvelle a abondamment circulé en Afrique de l’Ouest depuis le 4 avril. "Le Sénégal pleure déjà ses morts après le test du vaccin sur 7 enfants tous décédés", affirme l'une de ces publications, partagée près de 3.000 fois Facebook. L’AFP l’a archivée ici. Des posts similaires cumulent des milliers de partages, atteignant plus de 8.000 pour certains.
Ces publications sont accompagnées d’une vidéo d’une durée d’une minute, sur laquelle on voit une foule se masser dans la rue où est également stationnée un véhicule de gendarmerie.
Une voix est enregistrée par dessus le son original de la vidéo, à peine audible. Cette dernière affirme que sept enfants seraient décédés après s’être vus administrer un vaccin contre le coronavirus.
“Sur le champ, ils sont morts. C’est grave. Ils ont appelé la police On a des problèmes de coronavirus, y en a des gens qui en profitent pour tuer des gens comme ça. C’est trop ! C’est la réalité, c’est au Sénégal”, entend-on notamment.
“Une fake news absolue”
L’AFP a contacté le ministère de la Santé, qui a fermement démenti tout décès d’enfant lié à un quelconque vaccin contre le nouveau coronavirus.
“C'est une fake news absolue. Il n'y a pas de vaccin. Le Sénégal est un pays souverain, et même si un vaccin existait, personne ne pourrait nous obliger à vacciner nos populations. Ici, il y a des experts médicaux, l'Institut pasteur de Dakar, qui homologueront dans les règles de l'art un vaccin quand il existera et communiqueront en toute transparence sur son utilisation”, a assuré la porte-parole du ministère.
Cette rumeur a trouvé un écho retentissant trois jours après une discussion polémique entre deux chercheurs français dans une émission de télévision française, au cours de laquelle ils discutaient de l’opportunité de tester un vaccin en Afrique.
Cet échange a suscité indignation et colère, et donné lieu à de nombreuses rumeurs sur des tests d’un nouveau vaccin anti-coronavirus en Afrique - que l’AFP a démenties ici.
Des vaccinations dans une banlieue de Dakar ?
Une recherche d’image inversée ne nous a pas permis de remonter à la source de cette vidéo, floue et de mauvaise qualité. En revanche, dans les commentaires de l’une des publications, un internaute indique que cette vidéo a été tournée "quand un Canadien et un Sénégalais avaient essayé de vacciner des gens".
Une recherche sur Google avec les termes "Sénégal vaccin canadien" mène vers un article du site PressAfrik daté du 26 mars.
"Deux individus ont été arrêtés jeudi matin à Dalifort, commune de Dakar. Ils prétendaient vacciner les enfants contre le Coronavirus, affirmant être des agents du ministère de la Santé. C'est ainsi que les populations ont alerté la gendarmerie, renseigne une source à Seneweb. Les deux malfaiteurs, dont un Canadien, sont présentement à la gendarmerie de Hann-Maristes" (quartier situé à l’est de Dakar, lit-on dans cet article archivé ici.
Dans un autre article relatant la même version des faits, publié le même jour sur le site Senego, on retrouve une vidéo en tout point similaire à la vidéo des publications que nous vérifions: même véhicule de gendarmerie, même maillot de football bleu clair floqué du nom de Griezmann sur les épaules d’un garçon dans la foule.
Une "plaisanterie" qui sème le trouble
Selon le gouvernement et la gendarmerie, les faits ayant causé cet attroupement le 26 mars dans cette commune du nord de Dakar sont quelque peu différents de ceux relatés dans la presse locale.
Le ministère de la Santé a démenti à l’AFP que deux personnes ont été arrêtées après avoir tenté de vacciner la population à Dalifort. Cet incident a concerné une personne, un homme, qui a fait les frais d’une rumeur s’étant propagée dans un quartier.
"Il n'a jamais voulu vacciner les gens. Il était de passage dans une maison, et la tante du propriétaire a ameuté tout le quartier en entendant le mot coronavirus. Une foule s'est formée et a pensé que cette personne voulait vacciner des gens de force. Mais on n'a trouvé sur lui aucun matériel médical", a détaillé à l’AFP la porte-parole du ministère de la Santé.
Le ministère des forces armées, ministère de tutelle de la gendarmerie, a confirmé les propos du ministère de la Santé et fourni quelques détails.
"Cette information est fausse. Il n'y avait pas deux personnes dont un Canadien, mais un seul homme de nationalité sénégalaise. Il s'agissait d'un monsieur qui vendait des produits cosmétiques de porte à porte”, a expliqué à l’AFP le porte-parole du ministère des forces armées.
“Au cours d'une discussion, un chef de famille lui a demandé s'il avait des vaccins. Sur le ton de la plaisanterie, il a répondu que oui. La tante a rameuté le quartier, une foule s’est formée. La brigade a été alertée et a constaté que cet homme n'avait que des produits cosmétiques dans son sac. La psychose a été créée parce qu'il avait un tee-shirt du ministère de la Santé. Après vérifications, il a donc été relâché", a-t-il précisé.
Publications virales sur les vaccins
Ces derniers jours, de nombreuses publications virales en Afrique de l’Ouest assurent que des Occidentaux vont tester sur les Africains un nouveau vaccin contre le coronavirus, ce qui inoculera le virus aux habitants de ce continent jusqu’ici relativement épargné par la pandémie.
Dessins, logos et hashtags s’opposant à de prétendues vaccinations (#nonauvaccinenafrique, #pasdetestdevaccinenafrique, #lAfriquenestpasunlaboratoire, #jenesuispasuncobaye) ont essaimé ces derniers jours sur les réseaux sociaux.
Si de nombreuses recherches scientifiques sont en cours, aucun vaccin contre le nouveau coronavirus n’est actuellement disponible.
D’éventuels tests en Afrique du vaccin anti-tuberculeux BCG -comme ceux actuellement menés ou sur le point d’être lancés dans certains pays d’Europe et en Australie- sont pour l’instant au stade de projet.
Ces rumeurs viennent alimenter un climat de tension, voire d’hostilité envers les Européens, déjà accusés d’avoir apporté le virus en Afrique. Dans plusieurs pays, les premiers cas de contamination ont en effet été enregistrés sur des personnes revenant d’Europe.
Au Sénégal, le virus a été détecté pour la première fois le 2 mars sur un Français ayant séjourné dans l’Hexagone en février. Depuis, le Sénégal a dénombré officiellement 237 cas positifs, 105 guérisons et deux décès (bilan au 7 avril).
L’Afrique est pour l’instant relativement épargnée par la pandémie mondiale causée par le nouveau coronavirus qui a fait plus de 82.000 morts et contaminé au moins 1,4 millions personnes depuis décembre, selon un bilan établi par l’AFP à partir de sources officielles le 8 avril à 11h00 GMT.
Un total de 537 décès cas ont été recensés sur le continent, pour 10.605 cas de contamination.
L'Europe totalisait, elle, 58.627 décès pour 750.276 cas, les Etats-Unis et le Canada 13.309 décès (417.740 cas), l'Asie 4.395 décès (125.215 cas), le Moyen-Orient 4.234 décès (88.158 cas) et l'Amérique latine et Caraïbes 1.570 décès (39.297 cas).