Un drapeau de l'Organisation des Nations Unies (ONU) (AFP / Brendan Smialowski)

Non, l’ONU n’exige pas la "légalisation" de l’homosexualité au Sénégal, mais le Comité des Droits de l’Homme encourage sa "dépénalisation"

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 20 novembre 2019 à 16:11
  • Mis à jour le 21 novembre 2019 à 15:17
  • Lecture : 4 min
  • Par : Anne-Sophie FAIVRE LE CADRE
De nombreux médias sénégalais se sont indignés, depuis le 13 novembre, du contenu du 5e rapport consacré au Sénégal du Comité des Droits de l'Homme de l'ONU. Paru le 7 novembre, ce rapport affirmerait, selon ces médias, que les Nations unies “exigent la légalisation de l’homosexualité” dans ce pays. Le rapport encourage en réalité sa dépénalisation  et non sa légalisation, deux concepts juridiques distincts.

“L'homosexualité ne sera jamais légalisée au Sénégal. C’est le refrain célèbre des citoyens qui se prononcent sur la question. A majorité musulmane, ce pays est très ancré religieusement et culturellement et n’hésite à montrer ostensiblement son dédain contre l’homosexualité”, affirme le site Senego dans un article paru le 13 novembre. 

Dans un article paru le même jour et archivé par l’AFP ici, le pureplayer BeninWebTV titre que “l’ONU exige la légalisation de l’homosexualité”.

Ces deux articles se basent sur le 5e rapport du Sénégal devant le Comité des Droits de l’Homme. La version provisoire de ce rapport, visible ici, fait part de nombreux sujets de préoccupations des experts du comité, dont le respect des droits de l’homme, l’indépendance de la magistrature ou la maltraitance des enfants dans ce pays francophone d'Afrique de l'Ouest. 

Dans son paragraphe 15, le rapport incite le Sénégal à "prendre des mesures concrètes et urgentes pour s'attaquer à la campagne actuelle de haine contre les personnes du fait de leur orientation sexuelle".

Les experts estiment également que le Sénégal devrait "abroger l'article 319.3 du code pénal qui criminalise les actes sexuels entre personnes adultes consentantes de même sexe, en vue de réduire la stigmatisation des personnes concernées". Ils demandent aussi que les forces de l'ordre sénégalaises reçoivent des "instructions claires" pour "mettre fin à toute violence ou arrestation arbitraire contre des personnes du fait de leur orientation sexuelle et identité de genre réelle ou perçue". Ces recommandations sont visibles ci-dessous: 

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(Capture d'écran du 5e rapport du Sénégal devant le Comité des Droits de l'Homme)

Selon l’article 319 du Code Pénal sénégalais, visible en ligne ici, “quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe” encourt un emprisonnement d’un à cinq ans et une amende pouvant aller jusqu’à 1,5 million de francs CFA (2.286 euros). 

Néanmoins, il serait faux d’affirmer que "l’ONU exige la légalisation de l’homosexualité". Dans ses recommandations, le comité de l’ONU encourage la "dépénalisation" des actes sexuels entre personnes de même sexe. Ce concept renvoie, en droit, au fait de renoncer à punir un acte considéré jusque-là comme un délit. La "légalisation", en revanche, implique de donner un cadre légal à une pratique qui en était jusque-là dépourvue. 

De surcroît, les recommandations effectuées par le Comité des Droits de l’Homme, un organe composé d’experts indépendants surveillant la mise en oeuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques par les Etats parties, n’ont pas de portée contraignante, aucune sanction n’étant prévue en cas de non-respect du pacte. 

L'homosexualité est un sujet très sensible au Sénégal, et plus généralement en Afrique, où elle est interdite dans une trentaine de pays. Seule l'Afrique du Sud se démarque sur le continent en ayant légalisé depuis 2006 le mariage gay.

En 2013, le président sénégalais Macky Sall avait estimé lors d'une conférence de presse à Dakar avec Barack Obama que son pays n'était "pas prêt" à dépénaliser l'homosexualité. "Le Sénégal est un pays tolérant qui ne fait pas de discrimination en termes de traitement sur les droits (…). Mais on n'est pas prêts à dépénaliser l'homosexualité. C'est l'option du Sénégal pour le moment. Cela ne veut pas dire que nous sommes homophobes. Mais il faut que la société absorbe, prenne le temps de traiter ces questions sans qu'il y ait pression", rapportait alors le journal Le Monde

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Manifestation contre l'homosexualité s'étant tenue à Dakar le 22 janvier 2015 (AFP / Seyllou)

"Au nom de quoi on doit penser que parce que ailleurs, on pense que l'homosexualité doit être dépénalisée, ça doit être une loi universelle ? Il faut respecter le droit également pour chaque peuple de définir sa propre législation", avait déclaré deux ans plus tard le président sénégalais sur la chaîne de télévision française iTélé.

En 2015, l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (Ofpra) publiait une fiche thématique sur la situation des personnes homosexuelles au Sénégal. Ces dernières, qualifiées de “Gorrjigeen” (hommes-femmes, en wolof), n’ont, selon l’Ofpra, “d’autre choix que de se cacher” au risque d’être découverts et martyrisés. 

Onze personnes avaient été interpellées le soir de Noël de la même année dans une ville du centre du pays lors de la "célébration du mariage" entre deux "homosexuels présumés". Elles avaient été relâchées cinq jours plus tard "faute de preuve" par la justice, après avoir échappé à un lynchage lors de leur arrivée au tribunal.

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