Non, le Royaume-Uni ne va pas emprisonner les personnes qui critiquent l’islam sur internet
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 26 juin 2018 à 19:15
- Lecture : 3 min
- Par : Jean-Gabriel FERNANDEZ
Copyright AFP 2017-2025. Toute réutilisation commerciale du contenu est sujet à un abonnement. Cliquez ici pour en savoir plus.
“La Grande-Bretagne envisage une peine de six ans de prison si on critique l’islam” affirme un article ayant reçu plus de 1.000 partages sur les réseaux sociaux, qui y voit “un énorme pas de plus de la Grande-Bretagne vers la domination de la Sharia et la ruine”. L’information a été diffusée dans un premier temps par le média d’extrême droite Breitbart avant d’être reprise par le site Jihadwatch, réunissant respectivement 2.500 et 10.000 partages.
L'incitation à la haine religieuse, illégale depuis 2006 mais très encadrée
Le délit d’incitation à la haine envers une religion existe depuis son ajout au Public Order Act en 2006. Celui-ci rend illégaux “les mots ou comportements menaçants (...) visant à engendrer de la haine envers une religion”, à la condition que ceux-ci soient observés par des personnes extérieures. Il est donc déjà illégal au Royaume-Uni de diffuser publiquement des messages qui poussent à haïr une communauté à cause de ses origines ethniques, de sa foi, de son genre ou de son orientation sexuelle.
Tous les propos publics ne sont pourtant pas concernés par ce délit, car la plupart bénéficient de la protection de la liberté d’expression telle que définie par ce même article du Public Order Act. Celui-ci protège toute forme “de discussion, de critique, d’expression d’antipathie, d’aversion, de moquerie, d’insulte” envers une religion ou les pratiques de ses fidèles.
La critique d'une religion n'entre donc pas dans le champ des propos visés par cette loi déjà existante : pour être condamné pour incitation à la haine, une personne disposant d’une certaine audience doit diffuser un message haineux de façon massive et persistante, au point que la justice estime qu’il y a “une forte probabilité que de nombreuses personne soient influencées” ou que la vie d’au moins une personne a été mise en danger.
Parmi les types de propos susceptibles d’être condamnés, un document de travail du gouvernement britannique cite notamment des personnes qui publient “sur Youtube des contenus incitant à commettre des actes de violence graves contre des groupes religieux particuliers”, et dont ce type d’activité “s’étend sur une longue période et vise à toucher une large audience”.
Une intox basée sur un document du ministère de la Justice
Les articles erronés s'appuient à tort sur un document publié par le Sentencing Council, qui est le conseil dépendant du ministère de la Justice britannique en charge de créer des directives concernant les peines judiciaires. Ce document est une consultation prévue jusqu’au 8 août afin d’inviter le public à participer à l'élaboration de nouvelles directives du Sentencing Council en matière d'application des peines.
Parmi celles-ci, le Conseil propose d’harmoniser entre les différentes juridictions l'application des peines déjà existantes dans la loi pour incitation à la haine, notamment l’incitation à la haine envers une religion.
Le Sentencing Council n’a pas l’autorité de passer ou de modifier des textes de lois, simplement de donner des lignes de conduite aux juges concernant les peines à appliquer. “Ces propositions ne représentent pas un changement dans la loi”, explique le Sentencing Council, contacté par l’AFP. “Les directives proposées ne visent pas à allonger les peines, elles visent à offrir une plus grande transparence et cohérence pour les peines concernant ces délits qui existent déjà.”
Si une personne est condamnée pour incitation à la haine contre un groupe religieux, le Sentencing Council propose de recommander une peine de prison allant de 26 semaines à 6 ans. Pour des délits moins graves, comme le fait de relayer de façon “irresponsable” un contenu incitant à la haine, le Conseil suggère une peine qui n’inclut pas de prison, comme des travaux d’intérêt général.
“Le nombre de ces délits ayant mené à une poursuite en justice est extrêmement faible, et il y a des catégories d’incitation à la haine religieuse pour lesquelles personne n’a jamais été condamné”, relativise le Sentencing Council. Entre 2006 et 2016, seules 65 personnes ont été condamnées pour incitation à la haine envers un groupe ethnique, religieux ou sexuel. Le nombre de personnes condamnées pour incitation à la haine envers l’islam en particulier n’est pas connu, pas plus que s'il y a des personnes spécifiquement condamnées à de la prison.