
Non, le gel désinfectant pour les mains ne favorise pas le cancer
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 05 mars 2020 à 16:16
- Mis à jour le 05 mars 2020 à 16:50
- Lecture : 4 min
- Par : Thomas SAINT-CRICQ
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Les gels hydro-alcooliques utilisés pour la désinfection des mains et recommandés par l'Organisation mondiale de la Santé et le gouvernement français contre l'épidémie de coronavirus seraient "cancérigènes", affaibliraient "le système immunitaire" et favoriseraient "l'absorption d'un pertubateur endoctrinien" affirme un article du site Santeplus.com publié le 2 mars.
"C'est un produit cancérigène, arrêtez de l'utiliser" alerte même la page Facebook de ce site dans une publication partagée au total près de 35.000 fois en deux jours sur de nombreuses pages et groupes, selon l'outil de mesure d'audience CrowdTangle.

Santeplusmag.com est coutumier des articles de "clickbait", visant à attirer le lecteur avec des titres tapageurs déformant la réalité. Sur sa page Facebook, forte de plus de 8,5 millions d'abonnés, elle publie de nombreux articles mais aussi des visuels sur l'amour, la famille, la fraternité, incitant au partage et à la publication, dans le but de gagner des abonnés.

"Oui, le désinfectant pour les mains est cancérigène" affirme le titre de l'article, mettant en cause plus loin dans l'article, l'éthanol présent dans les solutions hydro-alcooliques.
C'est faux. Selon l'ANSM, le gendarme du médicament en France, contacté par l'AFP : "aucun risque cancérogène, reprotoxique ou neurotoxique, par voie cutanée ou inhalée, n’a été identifié suite à l’exposition à l’éthanol contenu dans les produits hydro-alcooliques".
Les travaux de l'Anses, qui évalue notamment les risques sanitaires au travail, menés sur l'utilisation en milieu professionnel de l'éthanol n'ont pas mis en évidence de "risque chronique pour la santé (...) par inhalation ou par contact cutané".
L'éthanol est classé cancérigène par le Centre de recherche contre le cancer, uniquement lorsque celui est associé à la boisson alcoolisée.
L'Anses propose également une base de données, accessible à tous, qui évalue la dangerosité de tous "les produits biocides", tels que les désinfectants pour mains. Aucun des gels hydro-alcooliques recherchés par l'AFP n'y est classé comme cancérigène.

"Cela n'a rien de scientifique"
Le site Santé+Mag affirme également que ces désinfectants "éliminent les bactéries" qui "renforcent le système immunitaire".
"Le raisonnement est faux. Des bactéries qui renforcent l'immunité, il y en a partout sur la surface du corps" explique à l'AFP le docteur Jean Lefèvre, porte-parole de l'Association santé environnement France (Asef).
Ces bactéries "de la flore résidente, se régénèrent tout de suite", complète le docteur Pierre Parneix, médecin hygièniste au CHU de Bordeaux et ancien président de la Société française de l'hygiène hospitalière (SF2H).
Santé+Mag fait la distinction entre deux types de désinfectants, les uns qui "oxydent les germes et les décomposent" et les autres qui "s'attaquent seulement aux germes dont il faut se débarrasser".
"Il n'y a pas de produits sélectifs, un désinfectant agit sur la flore transitoire et sur la flore résidente", explique à l'AFP le docteur Pierre Parneix. "Cela n'a rien de scientifique. Les désinfectants ne savent pas choisir la nature des germes qu'ils vont détruire", ajoute le docteur Philippe Carenco, médecin hygiéniste hospitalier et membre de l'Asef.
Il y a une dizaine d'années, cette association avait appelé à la prudence face à l'usage élargi des solutions hydroalcooliques. Elle est aujourd'hui "rassurée par les études menées dès 2011 par l'ANSM sur l'usage chronique de ces produits", selon le Dr Carenco.
Un étude critiquée
L'article de Santé+Mag met en avant une étude de 2015 de l'université du Missouri (États-Unis) affirmant que le "désinfectant antibactérien pouvait favoriser l'absorption du bisphénol A", classé comme un perturbateur endoctrinien par l'Union européenne depuis 2017.
Le bisphénol A n'est pas présent dans les désinfectants mais était utilisé dans la fabrication de biberons, de contenants alimentaires ou de tickets de caisse jusqu'à son interdiction en France dans les années 2010.
La méthodologie de l'étude américaine a été remise en cause par la SF2H, une société savante française qui regroupe des professionnels œuvrant dans le domaine de la promotion de l’hygiène en milieu de soins.
"Les chercheurs américains ont demandé aux cas étudiés de mettre une très grande quantité de gel antibactérien dans leur main, et, sans les frictionner, ont collé dessus un ticket de caisse contenant du bisphénol A pendant 3 minutes", explique à l'AFP le Dr. Parneix, ex-président de la SF2H.
Une situation, qui "n'arrive jamais dans la réalité" ajoute-t-il et ne prouve rien selon lui, car "les mains mouillées à l'eau favorise également l'absorption".
Irritations ou allergies
Selon les différents spécialistes interrogés par l'AFP, les gels antibactériens, composés principalement d'eau et d'éthanol demeurent une "alternative nécessaire" au lavage des mains au savon lorsqu'on se trouve trop loin d'un point d'eau.
Ils peuvent, au pire, provoquer des "irritations cutanées" ou des "réactions allergiques", notamment lorsqu'ils contiennent des composés, tels que des parfums, rajoutés pour des "raisons cosmétiques".
EDIT : Mise à jour le 5 mars à 16h50 sur le nombre de partages de la publication (35.000 en deux jours)