Non, Didier Raoult n’a pas déclaré que le Covid-19 a été créé par la Chine et les Etats-Unis afin de nuire à l’Afrique
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- Publié le 14 mai 2020 à 20:21
- Lecture : 5 min
- Par : Sadia MANDJO
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“Je voudrais dire à tous les Africains, que le coronavirus a été créé par les Etats-Unis et la Chine dans le but d’anéantir l’Afrique”: une publication ultra-virale prête ses propos au professeur Didier Raoult
Cette maladie avait pour but de tuer “plus de 30 millions d’Africains”, assure le texte avant d’affirmer qu’un “nouveau virus” est en préparation en Chine.
La publication accuse également de “complicité” Bill et Melinda Gates, dont la fondation est régulièrement la cible d’attaques complotistes, comme l’a expliqué l’AFP dans plusieurs vérifications (1, 2).
Cette affirmation a également été relayée par d’autres publications, comme celle-ci, partagée plus de 3.700 fois.
Contacté le 14 mai par l’AFP, l’Institut Hospitalo-Universitaire de Marseille que dirige le professeur Didier Raoult a affirmé que l’infectiologue n’a “jamais pris position sur ce sujet”.
Didier Raoult bénéficie d’une grande notoriété sur le continent africain pour ses prises de position affirmant que l'hydroxychloroquine, associée à l’azithromycine, est un traitement efficace contre le nouveau coronavirus.
La chloroquine est un dérivé de synthèse de la quinine bien connu en Afrique car il est utilisé pour soigner le paludisme, dont 93% des cas sont enregistrés sur le continent.
Des études cliniques sont en cours pour évaluer l’efficacité de la chloroquine, contestée par une partie de la communauté scientifique et des autorités médicales.
Des chefs d’Etats de plusieurs pays africains, dont la Côte d’Ivoire et le Sénégal -où il est né- ont également autorisé des tests sur leur territoire. Au Sénégal, les autorités ont, elles, annoncé le 2 mai vouloir poursuivre les prescriptions de l'hydroxychloroquine aux malades du Covid-19 après une analyse "préliminaire" montrant une réduction de la durée d'hospitalisation.
Sa thèse est très relayée sur les réseaux sociaux africains. Son nom est devenu un gage de confiance et est désormais utilisé pour accréditer diverses rumeurs.
Le nouveau coronavirus a une origine naturelle
L‘une des plus tenaces affirme que le nouveau coronavirus, apparu en décembre dans la ville de Wuhan (Chine) n’est pas d’origine animale mais a été fabriqué par l’homme en laboratoire.
Pourtant, les nombreuses analyses des génomes du SARS-Cov2, nom scientifique du nouveau coronavirus, menées depuis des mois concluent à une origine naturelle.
Le nouveau coronavirus est très probablement né chez la chauve-souris, avant d’être transmis à l'homme par l'intermédiaire d’une autre espèce animale. Des chercheurs chinois ont affirmé que cet animal intermédiaire pourrait être le pangolin, petit mammifère à écailles menacé d'extinction.
"La plupart des virus émergents viennent d'un réservoir animal", a expliqué début avril à l’AFP Etienne Simon-Lorière, spécialiste des virus à ARN (acide ribonucléique, code génétique à double hélice semblable à celui de l’ADN, ndlr) à l’Institut Pasteur, à Paris.
"Si un scientifique, aussi génial soit-il, cherchait à créer un virus, ce serait infiniment trop complexe car il s'agirait de créer quelque chose d'entièrement nouveau", estime-t-il.
"Ce qu'on pourrait tenter de faire, c'est de créer quelque chose à partir d'éléments de virus déjà connus, comme le SARS-CoV-1 par exemple", imagine le chercheur. “Mais alors on aurait des indications dans la séquence d'ARN qui correspondrait à des parties de génomes de virus déjà connus", ce qui n’est pas le cas, souligne-t-il.
Marie-Paule Kierny, virologue, vaccinologiste et experte en santé publique, écarte également l'hypothèse que le virus proviendrait d’une “manipulation au laboratoire” d’un quelconque autre virus.
“Le séquençage de l’ARN du virus SARS-2 CoV montre que la séquence d’un coronavirus de chauve-souris RaTG13 isolée en Chine est le plus proche parent du SARS-2, et un particulier des souches qui ont précocement circulé à Wuhan”, a détaillé cette directrice de recherche à l'Inserm, le 6 avril.
Le 19 février, une trentaine de scientifiques de différents pays a condamné “les théories complotistes qui suggèrent que le Covid-19 n’a pas d’origine naturelle”, dans une tribune publiée dans la prestigieuse revue scientifique The Lancet.
"We stand together to strongly condemn conspiracy theories suggesting that COVID-19 does not have a natural origin"
— The Lancet (@TheLancet) February 19, 2020
NEW: Statement in support of scientists, public health & medical professionals of China combatting #COVID19
Authors invite others to join https://t.co/YMk9vbgBDW pic.twitter.com/lMkp5a6xUE
A début juin 2021, il n’y a pas de preuves d'une manipulation ou d’une fabrication qui aient été mises au jour et ces théories restent très improbables, soulignent régulièrement scientifiques et autorités.
L’hypothèse d’un virus naturel (prélevé dans la nature par exemple) mais échappé d’un laboratoire ne peut en revanche théoriquement être exclue à 100%, comme l’ont expliqué notamment les services de renseignements américains plusieurs fois.
Les experts de l'OMS, missionnés du 14 janvier au 9 février 2021 en Chine, où sont apparus les premiers cas de la maladie en décembre 2019 selon Pékin, ont pour autant estimé que l'hypothèse d'une fuite d'un laboratoire était la moins probable mais le patron de l'OMS lui-même, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a ensuite réclamé une nouvelle enquête sur cette hypothèse, rejoint par de nombreux pays occidentaux.
Le 14 mai 2021, des scientifiques ont également appelé à examiner sérieusement la possibilité d'un accident de laboratoire dans une lettre publiée par la revue "Science" tout en estimant que les théories d'une origine animale ou accidentelle en laboratoire "restent toutes les deux viables".
Pour en savoir plus sur les enjeux autour des origines du Covid, les différentes théories et les enjeux politiques, à lire "Les origines du Covid : beaucoup d'hypothèses, peu de certitudes" publié le 31 mai 2021.
L’Afrique, continent le moins touché
La publication affirme que l’objectif de ce virus créé artificiellement était de faire “plus de 30 millions de morts en Afrique”.
Pour l’instant, l’Afrique est le continent le moins touché par le nouveau coronavirus. Au 14 mai, 2.500 morts y avaient été officiellement recensés, selon un décompte établi par l’AFP à partir de sources officielles.
Plus de 70.000 cas d’infection ont été recensés, soit 1,6% du total mondial, alors qu'il représente 17% de la population mondiale.
Au total, la pandémie a fait au moins 297.259 morts dans le monde depuis son apparition en décembre en Chine, selon le bilan établi par l'AFP le 14 mai 2020.
EDIT le 02/06/2021 avec éléments concernant l’hypothèse d’une fuite de laboratoire