Non, cette vidéo ne montre pas une militante proche du pouvoir préparant une fraude électorale pour la présidentielle en Côte d'Ivoire
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- Publié le 29 octobre 2020 à 13:57
- Lecture : 6 min
- Par : AFP Côte d'Ivoire
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Assise à une table recouverte de bulletins de vote, une femme semble vérifier ce qui y est inscrit avant de les trier sur une pile.
En lettres dorées sur sa casquette et son T-shirt noirs s'étale les lettres "ADO", pour Alassane Dramane Ouattara, l'actuel président ivoirien qui brigue un troisième mandat controversé lors de l’élection présidentielle du 31 octobre.
Elle serait "entrain de remplir les bulletins de vote en cochant dans la case Ouattara pour bourrer (sic)" les urnes selon les internautes qui ont partagé ces images plus de 1.500 fois (1, 2, 3, 4, 5…) sur Twitter et Facebook depuis le 27 octobre, à quelques jours de l'élection présidentielle du 31 octobre.
Les Ivoiriens voteront pour élire leur président dans une situation tendue depuis plusieurs mois, émaillée de troubles meurtriers.
L'opposition conteste la candidature du président Alassane Ouattara, élu en 2011 et réélu en 2015, à un troisième mandat.
La nouvelle constitution adoptée en 2016 limite à deux le nombre de mandats présidentiels successifs.
Le Conseil constitutionnel a validé la candidature du président sortant estimant que les compteurs avaient été remis à zéro lors de l'entrée en vigueur de la nouvelle constitution.
L'opposition, dirigée par l'ancien chef de l'Etat Henri Konan Bédié, a appelé à "la désobéissance civile" et au "boycott actif" du processus électoral pour dénoncer la volonté d'Alassane Ouattara de se maintenir au pouvoir, ainsi que la partialité de la Commission électorale indépendante (CEI) et du Conseil constitutionnel, "inféodés" selon elle au pouvoir.
Les accusations de fraude portées par les internautes qui partagent cette vidéo s'inscrivent dans ce contexte de défiance.
Néanmoins, cette vidéo et les captures d'écran virales qui circulent sur Facebook ne prouvent pas l'existence de fraude en amont du scrutin présidentiel.
Des spécimens à visée pédagogique
En réalité, cette vidéo virale montre une militante pro-Ouattara en train de manipuler des spécimens de bulletins de vote utilisés pour expliquer le fonctionnement d'un vote aux personnes qui ne sauraient pas comment remplir leur bulletin et le déposer dans l'urne le jour J.
Dans la vidéo et dans les captures d'écran qui en sont tirées, on aperçoit en effet la mention "SPECIMEN" inscrite en grosses lettres noires sur les bulletins (rectangles et loupes bleues).
Dans la vidéo virale, on entend par ailleurs la militante parler clairement de "spécimen" (à la huitième seconde) et expliquer qu'à "Abobo (l'une des treize communes qui constituent la capitale économique Abidjan, ndlr), il y a beaucoup de vieilles personnes qui ne savent pas voter, y a des jeunes même qui ne sont pas allés à l'école qui ne savent même pas comment voter".
"On va vers les électeurs pour leur apprendre à voter", résume-t-elle à 2 minutes et 44 secondes.
Plusieurs internautes qui partagent ces publications identifie cette militante comme "Aminata 24", la traitant de "fraudeuse".
Sur sa page Facebook suivie par plus de 200.000 personnes, elle se décrit comme une "journaliste proche du Pr OUATTARA et du RHDP (sic)", le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, le parti dirigé par l'actuel président.
Elle a elle-même posté la vidéo virale le 28 octobre, expliquant y faire de la "pédagogie électorale".
"C’est pour cette raison que la commission électorale indépendante met à la disposition de tous les candidats des SPÉCIMENS pour se faire identifier formellement par leurs partisans (sic)", détaille-t-elle.
Des internautes s'interrogent sur le recueil des coordonnées des votants au dos des spécimens.
La militante précise dans la vidéo que ce procédé doit permettre une équipe de militants de "les joindre après avec leurs numéros de téléphone pour voir le 31 octobre ce qu'ils ont voté".
D'autres s'indignent en voyant que la militante semble recueillir et trier les spécimens chez elle.
Mais selon Aminata 24, l'endroit où elle se trouve est en réalité un "QG (quartier général)" pour les militants.
A 3 minutes et 51 secondes, elle détaille qu'une fois que les militants ont récupéré les spécimens sur le terrain, "chaque soir, ils les déposent au QG, (elle tape sur la table à ce moment, ndlr), et je viens, je regarde si le travail est bien fait avant de rentrer chez moi".
Par ailleurs, l'AFP a trouvé plusieurs occurrences (1, 2) de cette vidéo publiées sur Facebook avant qu'Aminata 24 l'ait elle-même partagée, notamment sur des pages pro-RHDP (1, 2).
Contactée sur sa page Facebook le 28 octobre, Aminata 24 n'a pas donné suite aux sollicitations de l'AFP à ce sujet.
Campagne électorale émaillée de violences
La campagne électorale se déroule dans un ambiance tendue, émaillée de violences depuis le mois d'août et l'annonce de la candidature du président Ouattara, 78 ans, à sa réélection.
Le chef de l'Etat ivoirien Alassane Ouattara, qui brigue un troisième mandat controversé à l'élection présidentielle de samedi, a accusé l'opposition, qui prône la "désobéissance civile", "d'envoyer des jeunes gens à la mort" le 28 octobre.
"Il faut qu'ils (l'opposition) arrêtent d'envoyer des jeunes gens à la mort (...). Je ne vois pas pourquoi l'opposition appelle à la désobéissance civile qui conduit à des actes criminels", a déclaré le président, "déplorant la trentaine de morts" décomptés dans des violences préélectorales depuis le mois d'août en Côte d'Ivoire.
Quelque 35.000 membres des forces de l'ordre ont été déployés à partir du 25 octobre pour sécuriser les opérations de l'élection présidentielle du 31 octobre.
La crainte d'une escalade de ces heurts est forte en Côte d'Ivoire, dix ans après la crise post-électorale de 2010-2011, née du refus du président Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite électorale face à Alassane Ouattara.
Survenant après une décennie de tensions qui avaient coupé le pays en deux, cette crise avait fait 3.000 morts.