Un migrant marocain secouru par les gardes-côtes espagnols ? Faux

Non, cette vidéo ne montre pas un “harrag” marocain sauvé par des gardes-côtes espagnols

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 25 octobre 2019 à 12:15
  • Mis à jour le 28 octobre 2019 à 11:03
  • Lecture : 5 min
  • Par : Salsabil CHELLALI, Gokan GUNES

Une vidéo largement partagée au Maroc sur les réseaux sociaux prétend montrer le sauvetage d’un "harrag" (migrant clandestin) marocain par des gardes-côtes espagnols. Il s’agit en réalité d’une opération de sauvetage menée par l’armée turque en mer Égée en 2015.

Les images qui ont circulé sur plusieurs pages Facebook ont été visionnées plus de 1,2 million de fois depuis fin septembre. Sur la vidéo de quatre minutes, un homme descend d’un hélicoptère pour venir en aide à deux personnes dérivant en pleine mer. Le secouriste s'accroche à un des deux hommes, vêtu d'un gilet de sauvetage, qu’il hisse jusque dans l’hélicoptère.

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Capture d'écran d'une capture Facebook réalisée le 24 octobre 2019.

La vidéo, diffusée en français avec le commentaire "quand le Maroc laisse ses enfants se jeter dans la mer, voici les Espagnols avec beaucoup d'humanité en train de les sauver", est encore plus largement relayée par des pages arabophones, avec un message alertant sur le danger de la traversée clandestine en mer. 

"Sauvetage d’un harrag marocain par la protection maritime espagnole, il allait mourir en pleine mer. Regarde avant de te jeter en mer", avertit la légende. 

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Capture d'écran d'une publication Facebook réalisée le 24 octobre 2019.

Éléments de doute

Toutefois, plusieurs éléments remettent en cause l’information selon laquelle la scène se déroule entre le Maroc et l’Espagne. Le sauveteur, qui s’adresse aux deux personnes en mer vers la fin de la vidéo, s’exprime en turc et en anglais. Il lance le mot "birak" à trois reprises, ce qui signifie "lâche-le" en turc, selon un journaliste turcophone du bureau AFP d'Istanbul.

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Capture d'écran d'une vidéo partagée sur Facebook réalisée le 24 octobre 2019.

Par ailleurs, l’inscription "enlik", visible au début de la vidéo sur l'un des flancs de l’hélicoptère, semble correspondre à l’inscription "Sahil Güvenlik", qui signifie "garde côtière" en turc et qui apparaît sur leurs différents appareils de couleurs rouge et blanc, comme sur la photo ci-dessous : 

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Photo d'un hélicoptère de la garde côtière turque extraite du site des forces armées turques.

Sauvetage en mer Égée

En poursuivant avec une recherche d’images inversée via le logiciel InVid, nous avons retrouvé la trace de cette vidéo sur plusieurs médias en ligne turcs.

La version originale provient de la chaîne YouTube officielle de l’armée turque. 

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Capture d'écran d'une vidéo partagée par l'armée turque réalisée le 24 octobre 2019.

Elle y a été publiée le 20 juillet 2015 sous le titre "immigration irrégulière".  La légende qui l’accompagne précise qu’il s’agit d’une opération de secours menée dans les environs de Dalaman, dans la province de Muğla, dans le sud-ouest de la Turquie, sans donner d’indications sur la nationalité de la personne secourue. 

Coopération entre l’Espagne et le Maroc

Longtemps délaissée au profit d’autres routes, l’Espagne était redevenue en 2018 le premier pays d’arrivée des migrants par voie maritime, selon l’Organisation internationale des migrations (OIM). Devançant l’Italie, le pays a enregistré en 2018 l’arrivée sur des embarcations par voie maritime de plus de 57.000 migrants selon le ministère de l’Intérieur espagnol.

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Capture d'écran du rapport sur les migrations du ministère de l'Intérieur espagnol, octobre 2019.

Les arrivées ont ensuite nettement diminué, chutant de moitié entre janvier et octobre 2019 comparé à la même période en 2018, selon les chiffres des autorités espagnoles.

Cette évolution est intervenue alors que l’Espagne et le Maroc ont renforcé leur coopération, que l’Union européenne a débloqué plus de 140 millions pour soutenir les actions du royaume contre la migration clandestine -surveillance des frontières, démantèlement des réseaux de trafiquants, aide aux victimes- et que la marine royale marocaine a intensifié ses opérations d’interceptions en mer.

Les candidats au départ viennent le plus souvent de pays d'Afrique de l'Ouest. Mais ces deux dernières années ont vu se multiplier les tentatives de jeunes Marocains, prêts à tout pour quitter un pays marqué par de profondes inégalités.

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Capture d'écran d'une vidéo partagée sur Facebook réalisée le 24 octobre 2019.

Une vidéo qui fait le tour des réseaux sociaux marocains depuis le 23 octobre montre un ex-champion taekwondo, le marocain Anouar Boukharsa, à bord d’une embarcation de fortune, jeter sa médaille en mer. 

Les images du sportif, qui a confié au site Al3omk être arrivé aux îles Canaries après quatre jours en mer, ont suscité de nombreuses réactions et relancé le débat sur le désespoir d’une partie de la jeunesse marocaine prête à prendre le risque de la traversée. 

Edit 28/10 : ajout du lien vers la traduction en arabe.

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