Non, cette vidéo ne montre pas le président guinéen Alpha Condé en train de "boxer" son directeur de cabinet
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 18 septembre 2020 à 10:57
- Mis à jour le 18 septembre 2020 à 16:55
- Lecture : 6 min
- Par : Monique NGO MAYAG, Samuel OBIANG
Copyright AFP 2017-2025. Toute réutilisation commerciale du contenu est sujet à un abonnement. Cliquez ici pour en savoir plus.
La vidéo cumule plus d’un millier de partages sur Facebook (1, 2, 3) et des dizaines sur Twitter (1, 2, 3) depuis début septembre.
Elle montre une altercation entre deux hommes en costume: l’un multiplie les tentatives de coups de poings à l’endroit du second, qui essaie tant bien que mal de les esquiver, quitte à se réfugier derrière un véhicule.
La scène se déroule sur un parking devant de nombreux spectateurs, qui ne réagissent pas.
"Le président Alpha condé se bat avec son directeur de cabinet. Quelle honte" (sic), s’exclaffe l’auteur d’un post partagé plus de 600 fois sur Facebook.
La vidéo circule également sur Youtube (1, 2, 3) avec une voix en fond sonore qui affirme: "C’est le président Alpha Condé qui frappe son directeur de cabinet comme ça. C’est drôle!"
Ces publications trouvent un certain écho, alors que le président Alpha Condé a annoncé qu’il allait briguer un troisième mandat lors du scrutin présidentiel du 18 octobre, malgré des mois de contestation meurtrière.
Il ne s'agit ni du président Alpha Condé, ni de la Guinée
En observant la vidéo virale, il est difficile d'y reconnaître le président guinéen Alpha Condé, aujourd'hui âgé de 82 ans.
Une recherche d’image inversée, procédé qui permet généralement de retrouver les précédentes apparitions de photos ou vidéo sur internet, ne donne aucun résultat.
Mais elle révèle d'autres publications virales qui présentent, elles, cette séquence comme une bagarre entre un ministre guinéen (1, 2, 3, 4, 5) et son directeur de cabinet.
Le correspondant de l’AFP en Guinée, Carol Valade, dément toutefois que la scène se passe dans le pays.
"Les plaques d’immatriculation ici sont rouges (standard) vertes (officielles) noires (armée) ou bleues (temporaires) blanches et rouges (entreprises publiques) mais jamais totalement blanches", relève-t-il.
"En Guinée équatoriale, les plaques officielles sont blanches", souligne-t-il.
Les plaques visibles sur le parking sont en effet d’un format (deux lettres, trois chiffres, une lettre) qui correspond à ceux de ce pays situé à plus de 2.000 kilomètres de la Guinée, comme on peut le voir sur un blog recensant les plaques minéralogiques du monde entier.
Le correspondant de l’AFP en Guinée équatoriale, Samuel Obiang, confirme que la vidéo a été prise à Malabo, la capitale équato-guinéenne.
Une université de Guinée équatoriale
"La scène a précisément été filmée dans la cour de l’université nationale de Guinée équatoriale (UNGE), laquelle est face à l’hôtel Tropicana dont la toiture est visible sur la vidéo", détaille Samuel Obiang.
En visionnant la publication, on peut également repérer plusieurs autres indices visuels: un lampadaire (cercle bleu), une cabane au toit bleu (rectangle rouge), une grille (flèche jaune), des panneaux indicateur dans la rue à l’extérieur de l’enceinte (rectangle jaune).
Une recherche sur YouTube avec les mots-clé "Universidad Nacional de Guinea Ecuatorial et UNGE" ("université nationale de Guinée équatoriale"), nous retrouvons une vidéo postée en 2015 montrant une grève des étudiants de cet établissement.
On remarque les mêmes indices visuels que sur les publications que nous vérifions.
Nous retrouvons également une version un peu plus longue de la vidéo virale dans laquelle apparaît, avant la scène de bagarre, une statue qui trône au milieu de la cour de l’UNGE.
Un étudiant en échec s’en prenant à un professeur
Plusieurs sources locales ont expliqué à l’AFP qu’il s’agissait d’un étudiant qui s’en était pris publiquement à l’un de ses professeurs il y a plusieurs années.
Il s’agit de "Filiberto Monayong, chef du département de philologie hispanique et des sciences de l’information à l'université nationale de Guinée équatoriale, recevant des coups de poing d’un étudiant en journalisme", a affirmé Leopoldo Eneme, ancien étudiant de la UNGE aujourd'hui journaliste.
Il existait un département portant cette dénomination lors de l’année scolaire 2015-2016, selon un document disponible sur le site de l’UNGE.
Selon Mariano Nguema, un autre ancien étudiant de l’UNGE désormais professeur d'appui dans cet établissement universitaire, la scène s’est déroulée en mars 2016.
"L’étudiant avait déjà échoué deux fois sa thèse et ce double échec l’a rendu rageux à l’endroit de M. Monayong", raconte-t-il.
"L’affaire ayant fait grand bruit, le recteur les a donc convoqués tous les deux pour comprendre ce qui n’allait pas. L’étudiant a prononcé des propos durs également à l’endroit du recteur. Entre-temps, l’enseignant est à l’extérieur. Lorsque l’étudiant sort de la salle de réunion et trouve l’enseignant dans la cour de l’université, il commence à le rouer de coups" a raconté Mariano Nguema.
Nous avons retrouvé un profil sur Facebook et LinkedIn au nom de Filiberto Monayong, actuellement chef du département communication à l’UNGE. Il n’a pas répondu aux sollicitations de l’AFP.
Une recherche sur YouTube avec ces nouveaux éléments corrobore toutefois cette explication.
On retrouve une séquence vidéo plus longue (1’09), postée en 2018 et intitulée en espagnol: "ils frappent Filiberto monayon professeur à l’UNGE" (sic).
On y voit notamment l'agresseur s'éloigner, sortant du champ de la caméra d’un pas décidé, puis revenir et tenter alors d’infliger des coups de poing à l'autre.
A l'issue de la bagarre, deux hommes en costume lui apportent des bouteilles d'eau, laissant supposer que son statut est supérieur à celui d'un simple étudiant.
Des étudiants de l'UNGE interrogés par Les Observateurs ont toutefois indiqué que "des personnes plus agées, notamment des fonctionnaires, pouvaient parfois se retrouver sur les bancs de l'université pour poursuivre leurs études", écrit le site qui a également vérifié ces publications.
Tous ces élements nous permettent d'affirmer que cette vidéo tournée à l’université de Malabo, capitale de la Guinée équatoriale, ne montre pas une altercation entre un ministre et l’un de ses collaborateurs.
Edit du 18/09: ajoute éléments donnés par le site Les Observateurs