Non, cette photo ne montre pas de la viande cancéreuse vendue en boucherie

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 26 juin 2020 à 16:36
  • Mis à jour le 26 juin 2020 à 16:37
  • Lecture : 5 min
  • Par : Thomas SAINT-CRICQ
Une publication partagée près de 4.000 fois  en moins de 72 heures sur Facebook affirme montrer une carcasse de viande "empoisonnée", "malade" et atteinte d"une "tumeur cancéreuse" vendue en boucherie. Cette carcasse ne présente pas de tumeur et elle n'a très probablement pas pu être photographiée et vendue en boucherie, expliquent des spécialistes à l'AFP.

De la viande "malade", atteinte "d'une tumeur cancéreuse" vendue en boucherie après l'avoir "nettoyée" ? C'est ce qu'affirme un court texte accompagné de la photo d'une carcasse de viande rouge contenant une étrange substance jaunâtre et publié par la page française "Défendre les animaux" qui compte plus de 1,2 millions d'abonnés sur Facebook.

Cette publication a été partagée près de 4.000 fois en moins de 72h sur ce réseau social en France et génère plus de 2.000 commentaires échangés entre pros et anti-consommation de viande.

La publication accuse également la viande d'être, en règle,  "malade" et "remplie d'antibiotiques et d'hormones de croissance".

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Capture d’écran Facebook réalisée le 26 juin 2020

En réalité, la photo n'a très probablement pas été prise dans une boucherie française, la viande n'a pas de "tumeur", et la publication comporte plusieurs erreurs et approximations, selon des vétérinaires et des professionnels du secteur contactés par l'AFP.

"Une tumeur cancéreuse" ? Faux

Cette substance jaunâtre dégoulinante que l'on distingue sur la photo n'est pas une "tumeur cancéreuse", mais "un gros abcès" contracté par l'animal avant l'abattage, selon trois vétérinaires interrogés par l'AFP.

Cet abcès a pu "se percer lors de la découpe" de l'animal selon le docteur Emmanuel Guéry, vétérinaire au Laboratoire d'anatomie pathologique vétérinaire de Toulouse.

"Une tumeur, c’est une prolifération anormale, ce serait une boule, il pourrait y avoir de la nécrose au milieu mais jamais sous cette forme là", explique-t-il à l'AFP.

Une viande "malade", "nettoyée" et vendue en boucherie ? Très improbable

Un tel morceau infecté peut-il se retrouver "en rayon" après avoir été "nettoyé" par le boucher, comme l'affirme la publication ?

"Peu probable que ça sorte de l'abattoir", estime  Sylvain Duport, secrétaire du Syndicat des inspecteurs en santé publique vétérinaire (SNISPV) . "On voit du pus sortir (...), un creusement au niveau dorsal, je serai assez surpris que ça échappe aux contrôles", explique cet inspecteur vétérinaire en abattoir.

Selon les règles en vigueur en France et dans l'UE, chaque carcasse fait l'objet d'une "inspection individuelle" après l'abattage, explique à l'AFP Olivier Lepotre, le président du SNISPV. Les morceaux suspects sont consignés 48h dans un frigo avant que soient menées de nouvelles observations voire des prélévements.

Cette photo ne semble d'ailleurs pas avoir été prise en France ou en Europe. Une recherche d'image inversée sur Google permet de la retrouver dans des dizaines de publications sur des blogs aux Etats-Unis depuis 2013 (Exemples ici ou ).

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Deux vaches charolaises d'un élevage à Ouchamps, près de Blois, en 2019 (Guillaume Souvant)

Cependant, un abcès très "profond", caché "à l'intérieur des muscles", peut parfois échapper aux contrôles vétérinaires à l'abattoir et n'être "détecté qu'en atelier de découpe", ou "très rarement" en fin de chaîne par le boucher, explique Sylvain Duport, inspecteur en abattoir.

Dans ce cas précis, le boucher va-t-il "nettoyer" le morceau contaminé et le mettre "en rayon", comme l'affirme la publication ?

Là encore, cela paraît très improbable au vue des procédures de traçabilité. Quand la viande est signalée comme impropre à la consommation,"un certificat est généré' et  "la perte financière n’est pas supportée par le boucher mais se répercute sur l’éleveur qui a amené l’animal", explique Olivier Lepotre, du syndicat des inspecteurs vétérinaires.

"Quel intérêt économique aurait donc le boucher à truander ses clients là-dessus ?", s'interroge-t-il.

Dans le cas d'une détection d'une anomalie par le boucher, "on saisit tout l'animal, on appelle le fournisseur pour lui indiquer que c'est inconsommable et on reçoit un avoir" confirme Laurent Callu, président de la fédération qui regroupe les artisans de Paris et sa proche banlieue.

"Jamais, on ne va le proposer à la consommation de nos clients, ce serait se tirer un balle dans le pied", ajoute cet artisan-boucher dans les Hauts-de-Seine.

Cette pièce de viande n'a donc très probablement pas été vendue "après nettoyage", ni même photographiée, dans une boucherie française. 

"Empoisonnée", remplie "d'hormones de croissance" et "d'antibiotiques" ? Très exagéré. 

La publication de "Défendre les animaux" affirme que la viande est "malade" et "remplie d’hormones de croissance et d’antibiotiques".

C'est faux concernant la viande d'origine française aujourd'hui. Les hormones de croissance sont interdites aux animaux d'élevage depuis 1988 dans l'UE, et les antibiotiques activateurs de croissance depuis 2006.

Des antiobiotiques prescrits par les vétérinaires peuvent toutefois être donnés aux animaux d'élevage malades. 

Il s'agit de"traitements ponctuels, avec une ordonnance délivrée qui précise un temps d’attente avant la possibilité d’abattre l’animal", explique le président du syndicat des inspecteurs vétérinaires.

Selon Guy Hermouet, éleveur de vaches charolaises en Vendée, et président de l'interprofession bovin viande, interrogé par l'AFP : "les animaux en période d’engraissement ne prennent pas d’antibiotiques. C’est très rare, et si c’est le cas la viande n'est pas destinée à la consommation humaine".  

Quid de la viande étrangère ? Peut-on retrouver des pièces "remplies" "d'hormones de croissance" et d'antibiotiques" ?

L'Europe a interdit l'importation de viande bovine issue d'animaux auxquels ont été administrés des hormones de croissance. Toutefois, l'utilisation d'antibiotiques telle qu'elle peut être pratiquée hors de l'Europe, suscite des inquiétudes en France.

Dans le cadre des accords de libre échange UE-Canada -appliqué provisoirement depuis 2017- et UE-Mercosur - négocié jusqu'en juin 2019 mais pas encore voté par tous les parlements nationaux - les éleveurs bovins français se sont inquiétés de l'utilisation d'antibiotiques comme activateurs de croissance dans des viandes importées du Canada, du Bresil, d'Argentine, Paraguay ou Uruguay, les pays concernés par ces acords de libre-echange.

Un règlement décidé par le Parlement européen et le Conseil européen pourrait "interdire l'importation à partir de pays tiers qui continuent à autoriser les antibiotiques comme promoteurs de croissance", expliquait en 2019 le ministère de l'Agriculture. Mais son entrée en vigueur est pour l'instant prévue en janvier 2022.

Selon les données d'Eurostat en 2018, les pays tiers, c'est-à-dire non soumis aux règles sanitaires décrites dans cet article, ne représentaient que 7,4% des viandes importées par les 28 pays membres de l'UE. 

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Répartition des importations de viande bovine fraîche ou réfrigérée des 28 pays de l'UE en 2018 selon Eurostat (AFP / S.Ramis et P.Arana)

Pour toutes ces raisons : affirmer, comme la publication de "Défendre les animaux", que la viande vendue dans une boucherie française est "remplie d'antibiotiques" paraît extrêmement exagéré.

Le débat sur ces questions n'est pas clos pour autant, puisqu'en janvier 2020, le secrétaire américain à l'Agriculture a appelé les Européens à réexaminer leur décision d'interdire les importations de boeuf aux hormones.

Actualisation le 26/06 à 16h36 mentionnant le demande des Etats-Unis à "réexaminer"
l'interdiction du boeuf aux hormones dans l'UE.

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