Non, ces photos ne montrent pas le patrimoine de Nasir Ul Hiraqi, "l'homme le plus riche du Koweït"
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- Publié le 06 août 2020 à 16:37
- Mis à jour le 07 août 2020 à 16:38
- Lecture : 14 min
- Par : Sadia MANDJO
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Jets privés, voitures de sport, yacht, lingots et pièces d’or, bijoux, liasses de billets, une chambre ornée d’or… Des publications virales depuis septembre 2019 font étalage du patrimoine de Nasir Ul Hiraqi, présenté comme “l’homme le plus riche du Koweit” qui “a quitté ce monde les mains vides, laissant derrière lui un immense trésor.”
Ces photos ont été partagées des dizaines de milliers de fois (1, 2, 3, 4, 5).
La publication Facebook la plus virale, qui cumule pas moins de 8.100 partages depuis le 26 septembre 2019, était encore partagée le 1er août 2020.
Une recherche sur l’outil d’analyse des réseaux sociaux Crowd Tangle montre que les publications évoquant cet homme a également abondamment circulé différentes langues.
Aucune trace d’un millionnaire nommé Nasir Ul Hiraqi
Sur Google, le nom de Nasir Ul Hiraqi ne fait apparaître que des publications de réseaux sociaux, en français et en anglais, similaires à celles que nous vérifions
On ne retrouve aucun autre type de publication, comme des articles de médias, concernant un Koweïtien ou un des hommes les plus riches de l’émirat du Golfe portant ce nom.
Certains articles évoquent en revanche un certain Nasser Al-Kharafi, présenté comme l’une des plus grosses fortunes du Koweït.
Des recherches avec des variantes de transcription (Nasir Al-Iraqi, Nassser al-Iraqi, Nasser al-Hiraki...) ne sont pas plus concluantes.
Le nom de Nasir Ul Hiraqi n'apparaît pas non plus dans les classements des personnalités les plus riches du monde ou du Koweit, recensées notamment par le magazine Forbes (1, 2).
Celui de Nasser Al-Kharafi y apparaît. Il était ainsi classé 77e homme le plus riche du monde selon le classement annuel de Forbes en 2011, avec une fortune estimée à 10,4 milliards de dollars.
L’une des plus grosses fortunes du Koweït serait donc Nasser Al-Kharafi, et non l’introuvable Nasir Ul Hiraqi.
Décédé en 2011, Al-Kharafi n’était toutefois pas l’homme le plus riche du Koweït au moment des publications.
Selon le classement Forbes 2019, la première fortune du pays était alors l’homme d’affaires Kutayba Alghanim.
Des images déjà apparues sur les réseaux sociaux
Si l’homme évoqué dans les publications est introuvable, il est probable que les images utilisées pour illustrer sa fortune n’aient aucun rapport avec lui.
Certaines de ces images figuraient d'ailleurs sur des publications similaires diffusées en Thaïlande en 2019, vérifiées par l'AFP, évoquant elles aussi la mort de "l'homme le plus riche du Koweït", mais qui était cette fois appelé Nasi al Kharki.
L'AFP n'avait pas trouvé non plus de trace de l'existence d'un riche Koweïtien de ce nom.
Une des photos utilisées montrant un homme dans un cercueil -absente des publications que nous vérifions- avait notamment été diffusée l'année précédente pour relater un homme d'affaires de Trinidad-et-Tobago mort assassiné.
Pour retrouver l’origine des différentes photos, nous avons réalisé des captures d’écran de chacune d’entre elles, puis mené une recherche d’images inversée dans des moteurs de recherche. Ce procédé permet de retrouver les précédentes utilisations d’une image sur internet.
Photos de jets, yacht et voitures de luxe sur des sites spécialisés
Une des huit images montre un jet et une voiture de sport dans les mêmes teintes orangées.
En regardant de plus près, il apparaît que cette photo est un montage de deux photos distinctes.
Nous réalisons donc des recherches d’image inversées à partir de captures d’écran séparées de chacune d’entre elles.
Une recherche sur Google Images avec l’image du jet privé orange conduit vers de nombreux liens, dont celui d'un article intitulé "Voici combien ça coûte d’acheter ou de louer un jet privé" sur un site internet nommé thedrive.com.
La même photo est utilisée comme illustration. La légende indique qu’il s’agit d’un Challenger 300, et le crédit photo est attribué à Anton Bannikov.
Une recherche simple sur Google avec les mots-clés "Anton Bannikov Challenger 300" mène à une page wikicommons, qui indique que l’image originale provient du site airliners.com, une base de données de photos d’avion.
Il est indiqué que la photo a été prise par Anton Bannikov à l’aéroport Vnukovo de Moscou, le 19 septembre 2008.
Un panneau situé à côté de l'escalier (cercle rouge, ci-dessous) semble indiquer que cette photo a été prise lors d'un salon ou exposition.
Nous avons essayé de contacter Anton Bannikov pour avoir des précisions sur les circonstances de la photo, sans réponse au 7 août 2020.
Une recherche d’image inversée sur Google Images de la photo de la voiture de sport orange ne mène que vers des publications de réseaux sociaux identiques à celle que nous vérifions.
Une recherche sur le moteur de recherche russe Yandex propose, elle, une centaine d’images similaires à celle que nous recherchons.
Les photos et le décor en arrière-plan sont similaires -une pelouse verte, des bâtiments beige- sur de nombreuses photos et semblent indiquer qu’elles ont été prises au même endroit, vraisemblablement une exposition de voitures.
Deux photos (en rouge ci-dessous) correspondent encore plus précisément à celle que nous vérifions.
On retrouve un homme en pantalon noir qui semble tenir un appareil photo, deux hommes au loin qui se dirigent vers le véhicule, au volant de laquelle se trouve un homme aux cheveux gris (rectangles rouges, ci-dessous) .
Mais ces hommes se tiennent sur le côté droit de l’image, et le capot de la voiture est orienté lui aussi à droite, à l’inverse de la photo que nous vérifions.
La photo a été inversée selon un effet miroir, rendant plus difficile la possibilité de retrouver son origine.
Les deux publications russes ne donnent pas l’origine de la photo.
En menant une nouvelle recherche d’image inversée sur Google Images en utilisant la photo "retournée" trouvée sur Yandex, nous retrouvons des articles sur cette voiture et l’événement où la photo a été prise.
Il s’agit d’une BMW concept Z4 présentée lors d’un salon automobile à Pebble Beach en Californie en 2017.
En utilisant le même procédé, nous découvrons que plusieurs des photos utilisées dans les publications ont également été inversées.
On retrouve ainsi la photo d’un jet noir sur le site de réservation de jet privés de luxe sokojets.com. Il s’agit d’un Falcon 2000EX, et la photo y a été publiée en 2014.
Celle du yacht noir apparaît sur des sites spécialisés de bateaux de luxe (1, 2), tout comme celle d’une voiture de luxe noire, une Buggati Chiron, sur plusieurs sites et forums dédiés aux voitures de sport (1, 2, 3).
Des photos de liasses de billets, lingots et pièces d’or
Une recherche d’images inversée sur Yandex permet de retrouver où a été prise la photo des stocks de lingots d’or.
On retrouve en effet une photo similaire de lingots, sous un angle différent, sur le site officiel de la Banque d’Angleterre dans un article intitulé "Combien d’or est conservé dans la banque d’Angleterre ?" (ci-dessous à gauche).
On retrouve également un autre cliché dans un article publié en 2013 sur un site de tourisme londonien baptisé The Londonist à propos d’une application proposant une visite virtuelle de la Banque d’Angleterre (ci-dessous à droite).
Sur les deux clichés, on reconnaît les mêmes étagères bleues et murs beige que dans les publications Facebook.
Sur le deuxième, on retrouve également les mêmes flèches, indications et numéros de couleur violette que dans la photo que nous vérifions.
La photo pourrait donc avoir été reprise de la visite virtuelle de l'application mentionnée dans l'article. Cette application n'était toutefois plus disponible en juillet 2020.
Une recherche d’image inversée sur Google et Yandex n'ont pas permis de retracer précisément une image montrant des pièces d’or.
On constate seulement qu’elle a été abondamment utilisée sur internet, notamment des réseaux sociaux comme Pinterest.
En regardant attentivement l’image, on remarque qu’elle comporte différentes pièces.
Sur l’une d’entre elles, d’une teinte or plus sombre que les autres, il est inscrit "New Zealand. 1 OZ. Gold Kiwi".
Une recherche avec ces mots-clés sur Google confirme qu’il s’agit bien d’une pièce neo-zélandaise. Elle apparaît sur le site l’hôtel de la Monnaie néo-zélandaise (New Zealand Mint).
Sur cette page est également présenté le verso de la pièce qui correspond à un autre des motifs visibles, présentant une carte de la Nouvelle-Zélande.
Sur un blog spécialisé, ces pièces sont présentées parmi d’autres remarquables pièces en or.
On remarque la présence de deux autres motifs visibles sur la photo que nous vérifions: une représentation d’une figure féminine et un aigle.
Ce sont les deux faces d’un Eagle américain, pièce d’or créée par l’US Mint, l’hôtel américain de la Monnaie.
La photo de liasses de billets empilées avait été retrouvée dans la vérification réalisée en anglais par l’AFP.
Une photo similaire est visible en effet, dans un plan plus large, sur le site de voyage Trip Advisor, dans un article sur le musée de la Federal Reserve Bank de Chicago, une des douze entités régionales de la Federal Reserve, la banque centrale américaine.
Sur le site de la Federal Reserve Bank de Chicago, on retrouve une autre photo prise d’un angle différent.
Il s’agit d’un présentoir exposant l’équivalent d’un million de dollars, dont on retrouve la cloche de verre et le socle doré sur la photo des publications Facebook.
Une recherche d’image inversée s’avère peu concluante en ce qui concerne la photo de la chambre au mobilier décoré d'or.
Nous l'avons toutefois retrouvée sur un site de décoration d’intérieur ukrainien proposant différents modèles d’aménagement de chambres dans le même style.
Nous avons contacté le site, sans réponse au 7 août 2020.
Une tombe sur laquelle le nom n’est pas celui de Nasir Ul Hiraqi
Une photo d’une modeste tombe portant une inscription arabe figure également parmi les publications.
Mais le nom inscrit en arabe sur la pierre tombale est Nasser Al-Kharafi, et pas Nasir Ul Hiraqi.
Il est toutefois impossible d’affirmer si cette modeste tombe est bien celle du milliardaire koweïtien Al-Kharafi décédé en 2011, s’il s’agit de celle d’un homonyme ou si la photo a été retouchée pour y ajouter un nom.
Malgré des recherches d’images inversées sur Google et Yandex, telles qu’elle est présentée dans les publications ou en "renversant" l’image, nous ne sommes pas parvenus à identifier l’origine d'une photo d’un coffret contenant des bijoux.
Conclusion
Ces publications ont tout du faux: elles évoquent un homme nommé Nasir Ul Hiraqi, dont il n’existe aucune trace publique.
Elles s'appuient sur des photos sans lien direct avec cet introuvable milliardaire, et que l'on peut retrouver sur divers sites spécialisés de luxe, de banques ou de musée.