Les "pères fondateurs" de la Cedeao n'étaient pas uniquement des militaires

La Guinée, le Mali, le Niger et le Burkina où les gouvernements civils ont été renversés par des coups d'Etat militaires successifs depuis 2020 ont été suspendus des instances de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) qui a en vain tenté d'imposer un retour des civils au pouvoir notamment avec de lourdes sanctions économiques. Les trois derniers pays se sont regroupés au sein d'une Alliance des Etats du Sahel (AES) et annoncé en janvier leur intention de quitter la Cedeao. C’est dans ce contexte que plusieurs comptes sur Facebook ont affirmé que les "pères fondateurs" de la Cedeao étaient des militaires. Mais attention, cette affirmation est inexacte. Sur les 15 pays qui ont formé l'organisation en 1975, sept étaient gouvernés par des militaires, mais huit par des régimes civils.

Des dizaines de comptes et pages sur Facebook ont repris exactement le même contenu, une liste des pères fondateurs de la Cedeao (1, 2, 3). "Voici les pères fondateurs de la CEDEAO : Elle a été créée en 1975 à Bamako (Mali)" indique dans un premier temps la publication. A la suite de cette brève introduction, on peut voir une liste de personnes qui a un moment de l’histoire ont dirigé leur pays.

Il s’agit par ordre de "Moussa Traoré (Mali), Mathieu Kérékou (Bénin), Sangoulé Lamizana (Burkina Faso), Gnassingbe Eyadéma (Togo), Seyni Kountché (Niger), Yakubu Gowon (Nigeria) et Ignatius Kutu Acheampong (Ghana)". Ces anciens chefs d’Etats ou anciens présidents de la république sont "tous, des militaires". Mais attention, cette information est trompeuse car cette liste "des pères fondateurs" n'est pas exhaustive. En outre, l'organisation n'a pas été fondée à Bamako. 

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Capture d''écran Facebook effectuée le 22 février 2024

Une recherche sur le site officiel de la Cedeao nous donne plus d'informations sur l'histoire de l'organisation "créée le 28 mai 1975 à Lagos" au Nigeria et non "en 1975 à Bamako (Mali)" (archivé ici).

La Cedeao était à l’origine une union douanière et économique qui au fil des années est devenue une organisation dédiée à l’intégration sous-régionale. Sur le site officiel de la Cedeao, on peut également lire que l’institution a été créée sur la base d’une charte qui engage quinze pays d’Afrique de l’Ouest.

Une copie de cette charte, disponible sur le site de la Cedeao, nous permet de voir la liste des chefs d’Etat et de gouvernement qui ont signé l’acte de naissance officiel de l'organisation. Sur les 15 pays présents lors de la signature, sept (7) étaient effectivement dirigés en 1975 par des militaires. Cependant, ces militaires n’étaient pas les seuls "pères fondateurs" de l’institution. Le 28 mai 2020, alors que la Cedeao célèbre ses quarante-cinq ans d’existence, une publication a été partagée sur la page Facebook officielle de l’organisation. Sous le titre May 1975 - Ecowas founding fathers (Mai 1975 - Les pères fondateurs de la Cedeao), l’institution a partagé la photo des 15 hommes considérés comme les pères fondateurs de la Cedeao.

Seuls sept sont des militaires, les huit autres sont des civils parmi lesquels Léopold Sédar Senghor du Sénégal, l’Ivoirien Félix Houphouët Boigny ou encore William Tolbert du Libéria. Les 15 pays fondateurs de la Cedeao ont fait évoluer un instrument de coopération économique vers un outil d’intégration plus vaste avec un principe de libre circulation des personnes et des biens, la suppression des visas et une force d’interposition commune (ECOMOG).

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Un manifestant tient une pancarte indiquant « A bas la CEDEAO (Communauté économique des États de l''Afrique de l''Ouest) », lors d''une manifestation de masse pour protester contre les sanctions imposées au Mali et à la junte par la Communauté économique des États de l''Afrique de l''Ouest (CEDEAO), à Bamako le 14 janvier 2022 (AFP / Florent VERGNES)

Les polémiques sur les origines de la Cedeao sont nées de la volonté récente du Niger, du Mali et du Burkina Faso de se retirer de l’organisation. La position ferme des instances de la Cedeao et les sanctions contre les régimes militaires qui dirigent ces trois pays d’Afrique de l’Ouest ont été avancées comme raisons pour justifier ce départ.

"Les Etats de l’AES ont anticipé un débat qui devait venir, celui de la fin des transitions. La sortie de la CEDEAO semble remettre au second plan cette question", estime Fahiraman Rodrigue Koné, spécialiste du Sahel à l’Institut des études de sécurité (ISS).

Les publications semblent vouloir légitimer les régimes militaires que la Cedeao ne conçoit pas, l’organisation continuant d’appeler au retour des civils au pouvoir.

Fin février, les instances dirigeantes de l'organisation ont toutefois décidé de la levée d'une grande partie des sanctions contre le Niger, la Guinée et le Mali, actant une volonté de reprendre le dialogue avec ces trois régimes militaires. Elles ont également appelé les Etats de l’AES à rester dans le bloc régional.

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