Bill Gates vendrait toutes ses actions en prévision d'un krach boursier ? C'est faux

Bill Gates, via sa fondation caritative, a investi plusieurs dizaines de milliards de dollars en Bourse. Selon des internautes, il aurait début février 2024 décidé de vendre l'ensemble de ses participations, un acte qui "indiquerait l'imminence" d'un krach boursier, assurent-ils. En réalité, la fondation du milliardaire n'a vendu qu'une toute petite partie de son portefeuille, un mouvement financier habituel selon des économistes interrogés par l'AFP. Par ailleurs, anticiper un krach boursier est par définition extrêmement compliqué.

"ALERTE : Bill Gates se débarrasse de tout son portefeuille - historiquement, les mouvements de milliardaires de cette ampleur indiquent l'imminence d'un krach boursier. Billy Gates vend tous ses actifs. Bezos, Zuckerberg et Buffet vendent également tous. Ils utilisent tous des bots billy-boy pour montrer ce qui est sur le point de se produire" : depuis le 19 février 2024, des messages publiés sur X, Facebook et Telegram prétendent documenter la vente par le milliardaire et fondateur de Microsoft Bill Gates de l'intégralité de ses actions en Bourse, capture d'écran à l'appui.

Jeff Bezos est le fondateur d'Amazon, Mark Zuckeberg le patron de Meta (maison-mère de Facebook) et Warren Buffet est un richissime investisseur américain. 

Cette affirmation a notamment été partagée par l'influenceur et militant panafricain Egountchi Behanzin ainsi que le site "pravda-fr.com", qui appartient à un réseau "structuré et coordonné" de 193 sites diffusant de la propagande russe en Europe et aux Etats-Unis, selon Viginum, l'organisme français de lutte contre les ingérences numériques étrangères (lien archivé ici). On la retrouve également en anglais, comme sur ces comptes dédiés à l'univers des cryptomonnaies (ici et ici) et en espagnol.

Mais ces messages sont erronés.

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Captures d''écran réalisées le 23 février 2024 sur X (à gauche) et Facebook (à droite)

Portefeuille évalué à 42 milliards de dollars

Si ces publications mentionnent "Bill Gates", elles font en réalité référence au Bill & Melinda Gates Foundation Trust (lien archivé ici). Il s'agit de l'entité purement financière de l'organisation caritative fondée en 2000, chargée de collecter les dons de "Bill Gates, Melinda French Gates et Warren Buffet" et de les investir pour les faire fructifier. En 2022, 6 milliards de dollars ont ensuite été remis à la fondation caritative pour financer près de 2.000 projets et associations (lien archivé ici).

"Une fondation comme celle de Bill et Melinda Gates gère en fait un énorme tas d'argent qu'elle investit un petit peu comme les fonds des universités américaines. Ils ont une équipe de personnes dont c'est le métier d'investir un peu partout dans le monde, donc dans des actions, dans l'immobilier, dans le private equity, dans des projets en direct... Dans leur allocation d'actifs, une partie est constituée d'actions côtées", explique à l'AFP Lionel Melka, associé de Swann Capital, ajoutant que si "en Europe cela fait peut paraître un peu bizarre, aux Etats-Unis, c'est tout à fait normal et traditionnel".

Comme le montre la capture d'écran partagée sur les réseaux - et prise depuis le site dataroma (lien archivé ici) -, le Bill & Melinda Gates Foundation Trust a réalisé un certain nombre de ventes d'actions au quatrième trimestre 2024. On peut retrouver ces mêmes données sur le site de la Securities and Exchange Commission (SEC), l'organisme américain de réglementation et contrôle des marchés financiers (lien archivé ici).

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Capture d''écran réalisée le 23 février 2024 sur dataroma

Mais rien n'accrédite la thèse d'une cession complète évoquée par certains internautes.

Par exemple, si le trust s'est délesté de plus d'un million d'actions Microsoft au quatrième trimestre, c'est une goutte d'eau par rapport au nombre total de titres de l'entreprise qu'il possède (plus de 38 millions). Et c'est surtout très faible au regard de la capitalisation totale de Microsoft, puisque Bill & Melinda Gates Foundation Trust possède seulement 0,51 % de la société. Idem pour sa participation dans Berkshire Hataway, la holding de Warren Buffet, qui a été réduite lors des trois derniers mois de 2023, passant d'environ 1,7% à 1,5% du capital de la société d'investissement. 

De plus, si le Bill & Melinda Gates Foundation Trust a cédé l'ensemble de ses participations dans des sociétés comme Apple, Amazon et Unilever - par ailleurs essentiellement achetées au trimestre précédent -, cela n'a qu'une incidence très minime sur la taille de son portefeuille, comme le montre la dernière colonne visible sur l'image virale. 

Au total, le trust possède encore des actions dans 24 sociétés cotées en Bourse, pour une valeur d'environ 42 milliards de dollars.

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Capture d''écran réalisée le 23 février 2024 sur dataroma

"C'est assez logique d'acheter et vendre en fonction des niveaux de marché. Quand vous avez des années comme 2023 qui était assez exceptionnelle, c'est pas du tout illogique que les gérants qui s'occupent de ce portefeuille décident de vendre", pointe Lionel Melka.

"En fin d'année, on va généralement solder les positions [c'est-à-dire vendre des actions, NDLR] et éventuellement voir les gains qui ont été faits", ajoute Christopher Dembik, conseiller en investissement chez Pictet, interrogé par l'AFP.

Pour les autres milliardaires cités dans ces publications virales, là encore évoquer une vente totale de leurs actions est faux.

Fin 2023, Mark Zuckerberg, le cofondateur et dirigeant de Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp), a vendu pour 428 millions de dollars d'actions du groupe technologique, principalement pour financer ses activités philanthropiques, selon un porte-parole de l'entreprise interrogé par l'agence Bloomberg. Il reste toutefois détenteur d'environ 13% de Meta.

De son côté, Jeff Bezos, le fondateur d'Amazon, a vendu pour environ 2 milliards de dollars d'actions du géant de la distribution en ligne (lien archivé ici). Enfin, le milliardaire Warren Buffet conserve, via sa société d'investissement Berkshire Hataway, un portefeuille d'actions évalué à 347 milliards de dollars et n'a récemment vendu qu'une minorité de participations (lien archivé ici).

Quant au terme "bots billy-boy", l'AFP n'a pas été en mesure de trouver l'origine de cette expression, inconnue du monde de la finance.

Intelligence artificielle

Comme le prétendent ces internautes, y-a-t-il "l'imminence d'un krach boursier" ?.

"Ceux qui annoncent systématiquement un krach boursier, bien évidemment qu'un jour ils auront raison. Toutes les bulles qu'on perçoit, ce ne sont jamais celles qui éclatent, c'est l'aspect qui est négligé par le marché que personne n'avait perçu" qui abouti à ces krachs, explique Christopher Dembik.

"C'est sûr que les marchés ont beaucoup progressé ces derniers temps, mais il y a de bonne raisons à cela. Il y a deux gros catalyseurs : la baisse des taux, avec les banques centrales qui ont réussi à gérer les inflations, et puis la révolution autour de l'intelligence artificielle", relève Lionel Melka.

Jeudi 23 février, le CAC 40, l'indice phare de la Bourse de Paris, a pour la première fois de son histoire dépassé la barre des 7.900 points, entraîné par les résultats records et meilleurs qu'attendu de Nvidia, géant américain des puces électroniques utilisées notamment dans l'intelligence artificielle.

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Valeurs mensuelles depuis la création de l''indice, en 1988. SABRINA BLANCHARD, SYLVIE HUSSON / AFP

Si le Bill & Melinda Gates Foundation Trust décidait de céder toutes ses actions du jour au lendemain, cela pourrait-il annoncer un krach boursier ?

Avec une telle vente, "vous pouvez créer un peu de panique, mais vous ne créerez pas de mouvement durable" par le fait que le marché américain est très liquide, "où il y a énormément d'échanges, énormément d'investisseurs et beaucoup de capitaux", estime Christopher Dembik.

"Je ne pense pas que cela ait d'impact massif", abonde Lionel Melka. A titre d'exemple, les échanges quotidiens sur le Nasdaq, l'indice américain regroupant de nombreuses valeurs technologiques, représentent environ 300 milliards de dollars.

Reste qu'un krach boursier consiste en une vente massive d'actions débordant "en panique quand on s’aperçoit qu’il n’y a pas suffisamment d’argent pour permettre à tous de réaliser les plus-values attendues ou simplement de rembourser les crédits engagés pour spéculer ", ce qui conduit à une chute brutale du prix des actions, comme expliqué sur le site du ministère de l'Economie. Trouvant généralement son origine dans "une  catastrophe majeure, une crise économique ou l’effondrement d’une bulle spéculative à long terme", il fonctionne comme un cercle vicieux, la panique se renforçant elle-même (lien archivé ici). 

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