Non, le Mali, le Burkina Faso et le Niger n'ont pas dévoilé une nouvelle monnaie commune

Le Mali, le Burkina Faso et le Niger, gouvernés par des régimes militaires arrivés au pouvoir par des coups d'Etat, ont formé en septembre 2023 l'Alliance des Etats du Sahel (AES).  Elle prévoit une assistance mutuelle en cas d'atteinte à la souveraineté et à l'intégrité territoriale des trois Etats et des liens économiques renforcés. Depuis fin 2023, plusieurs publications virales sur les réseaux sociaux affirment que cette alliance a frappé une nouvelle monnaie, s'appuyant sur un visuel qui semble issue d'un journal télévisé de la BBC. Il s'agit en réalité d'un grossier photomontage. Si le 25 novembre, ces trois pays sahéliens ont bien annoncé leur volonté de mettre en place un comité chargé d'approfondir les réflexions sur les questions d'union économique et monétaire, aucune nouvelle monnaie n'a été dévoilée depuis. 

"La nouvelle monnaie de AES l'alliance des états de Sahel est prêt [sic] nous sommes vraiment très content d'avoir pris tout les mesures nécessaires", voici le légende d'une publication publiée début janvier sur Facebook et illustrée par une image où figure le logo de la BBC, le groupe audiovisuel public britannique.

Sur l’image on voit un groupe de personne assises en demi-cercle visiblement lors d’une réunion. Elle semble être présidée par un homme en tenue militaire assis à côté d'un drapeau vert-jaune-rouge, celui du Mali. Au centre, on distingue un amas impressionnant de billets de banque.

Sur la partie inférieure de l'image, un bandeau fond rouge a été apposé et annonce qu'il s'agit de la "présentation de la nouvelle monaie [sic] du mali, du burkina et du niger [sic]". En bas à gauche, le logo de BBC News laisse penser qu'il s'agit d'une information relayée par la chaine britannique. 

Image
Capture d'écran Facebook effectuée le 22 janvier 2024

Différentes informations relatives à une nouvelle monnaie de l’Alliance des États du Sahel (AES) sont aussi relayées sur d'autres réseaux sociaux. Les contenus disponibles sur Facebook, YouTube et Tik Tok annoncent tantôt une "monnaie qui est prête", "une monnaie présentée officiellement" ou une "monnaie qui entre en vigueur bientôt". Le visuel où figure le logo de BBC News est utilisée comme vignette pour attirer les internautes vers de nombreuses vidéo qui parlent de la monnaie unique du Sahel. L’une de ces vidéos enregistre 87.000 vues  sur Youtube depuis fin novembre 2023.

L’image utilisée pour illustrer l’annonce d’une prétendue nouvelle monnaie commune aux trois pays (Mali, Burkina Faso et Niger) est cependant un photomontage.

Une recherche par image inversée sur Google Lens permet de le confirmer. Nous retrouvons l’image sur le site de Jeune Afrique. Il s’agit d’une photo de l'agence de presse américaine Associated Press (AP) prise le 24 octobre 2021.

Image
Capture d'écran Google effectuée le 22 janvier 2024

Sur cette photo, on retrouve bien les mêmes hommes assis en demi-cercle autour du militaire placé à côté du drapeau malien. Il s'agit du même cadre, des mêmes mouvements capturés. A gauche, on retrouve le même homme blanc portant un masque sur le visage de couleur jaune prenant une photographie (rectangle orange), et à droite, le même militaire au béret vert et un masque bleu sur le visage en train de prendre des notes (rectangle vert). 

Image
A gauche, l'image original prise par un photographe de AP, à droite le photomontage avec le logo de la BBC

Au centre de la photographie originale, pas de billets de banque, mais une simple moquette beige immaculée. 

 La légende de la photo originale prise par Harandane Diko ne fait pas mention d’un projet de monnaie unique, mais du président du Mali  le « colonel Assimi Goita qui rencontre une mission du Conseil de sécurité des Nations Unies dirigée par l'ambassadeur du Kenya auprès de l'ONU, Martin Kimani, à Bamako, au Mali, le dimanche 24 octobre 2021 ».

A cette date, le Burkina Faso et le Niger n'avaient pas encore connus de coups d'Etat, et étaient tous les deux dirigés par des régimes civils.

Sans même retrouver la photo originale, plusieurs indices visuels auraient pu nous faire douter fortement de l'authenticité de l'image relayée.

D'abord, les masques que portent les officiels sur leur visage, suggérant que la photographie a été prise au moment de la période du Covid-19, en 2020 et 2021, soit avant même la création de l'AES ou même les coups d'Etat au Burkina Faso et au Niger. 

Ensuite les fautes d’orthographe - le mot monnaie écrit avec un seul "n" et le nom des pays qui commencent par des lettres minuscules - peu habituelles dans les bandeaux d'informations de la BBC.

Image
Capture d'écran Facebook effectuée le 22 janvier 2024

Nous avons ensuite comparé l’image aux différentes identités visuelles de la BBC: On remarque que le bandeau sur le photomontage est d'une couleur rouge beaucoup plus vive que le rouge utilisé par la BBC. 

Image
Visuel officiel de la BBC sur une image (capture d'écran bbc.com effectuée le 22 janvier 2024)
Image
Visuel officiel de la BBC sur une vidéo (capture d'écran bbc.com effectuée le 22 janvier 2024)

Le logo de la BBC a donc été rajouté et utilisé pour rendre crédible le faux visuel. 

Une recherche sur le site de la BBC ne permet d'ailleurs pas retrouver un quelconque article ou sujet TV annonçant la création d'une monnaie de l'AES. 

Les rumeurs autour d'une prétendue nouvelle monnaie commune entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux fin novembre, soit moins de trois mois après la création de l'AES. 

Depuis 2020, ces trois pays ont vu accéder par la force à leur tête des officiers jurant de reprendre en main un destin national abandonné selon eux aux étrangers, au premier rang desquels les Français, et leurs "valets" locaux. Ils ont chassé les soldats et les ambassadeurs français, se sont tournés vers de nouveaux partenaires, dont les Russes, et remis en cause un ordre défendu par la Communauté des Etats ouest-africains (Cedeao). (dépêche AFP archivée

Inquiète d'une contagion devant la succession des putschs, la Cedeao leur a imposé des sanctions pour obtenir le retour des civils aux commandes, et menacé de recourir à la force après le dernier en date, au Niger. Elle les a suspendus de ses organes. 

Image
Infographie de l'AFP/Août 2023

Les militaires ont serré les rangs et scellé leur solidarité le 16 septembre en créant l'Alliance des Etats du Sahel, dont la charte engage les trois pays à combattre "le terrorisme" et les lie par un "devoir d'assistance et de secours" face à toute agression.

Le 28 janvier, ils ont décidé de retirer leur pays, avec effet immédiat, de la Cedeao. 

Image
Des manifestants rassemblés à Niamey en soutien à l'AES après l'annonce du retrait de la Cedeao le 28 janvier (AFP / HAMA BOUREIMA)

Deux mois plus tôt, les ministres de l’Économie et des Finances des trois pays du Sahel avaient recommandé la création d'un fonds de stabilisation et d'une banque d'investissement, ainsi que la mise en place d'un comité chargé d'approfondir les réflexions sur les questions d'union économique et monétaire. 

Ces recommandations ont relancé le débat sur le franc CFA utilisé dans les trois pays, mais aucune nouvelle monnaie n'a été instituée officiellement ou dévoilée depuis. Les dirigeants des trois pays n'ont pas annoncé leur retrait de l'UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) qui regroupe les 8 pays utilisant le franc CFA comme monnaie en Afrique de l'Ouest (Côte d'Ivoire, Sénégal, Togo, Burkina, Mali, Guinée-Bissau, Niger et Bénin). 

Les vives critiques formulées par ces régimes et leurs partisans à l’encontre du franc CFA la monnaie commune des pays membres de l’Uemoa, pourraient cependant conduire les pays de l’AES à quitter cette organisation, et à renoncer à la libre circulation des biens et des personnes en attendant l’émergence d’une zone de libre-échange continentale africaine, encore à l’état de projet.

Image
Un manifestant brûle une feuille sur laquelle est imprimé billet de 1000 francs CFA le 2 septembre 2023 à Niamey, au Niger (AFP)

Depuis des décennies, le franc CFA nourrit un débat virulent entre ses détracteurs qui le dénoncent comme une monnaie "post-coloniale", qui perpétue l'influence de la France en Afrique, et ses défenseurs qui louent la stabilité monétaire qu'il apporte.

La monnaie, utilisée par 14 pays d'Afrique de l'Ouest et centrale, est indexée sur l'euro et convertible avec la monnaie européenne. Jusque récemment les Etats utilisateurs devaient déposer 50% de leurs réserves en France. 

La situation a changé depuis 2020 pour les huit pays de la zone UEMOA, à la suite de la réforme du franc CFA annoncée en décembre 2019 par les présidents français et ivoirien Emmanuel Macron et Alassane Ouattara.

La France a cessé de participer aux instances de gouvernance de l'UEMOA, et la Banque centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest (BCEAO) ne doit plus déposer la moitié de ses réserves de change auprès de la Banque de France, obligation qui était perçue comme une dépendance humiliante vis-à-vis de la France par les détracteurs du franc CFA.

Une chose ne change pas en revanche: l'indexation de la devise sur le cours de l'euro qui apporte une stabilité aux économies des pays de la zone mais les rend également dépendants de la politique monétaire de la Banque centrale européenne.

 
 

 

Vous souhaitez que l'AFP vérifie une information?

Nous contacter