Non, l’Union européenne ne travaille pas sur une loi pour "saisir" et "mettre au rebut" votre voiture

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  • Publié le 01 décembre 2023 à 15:10
  • Lecture : 11 min
  • Par : Chloé RABS, AFP France
Début juillet, la Commission européenne a proposé de réviser son texte sur les "véhicules hors d’usage" (VHU) pour que leur collecte et leur recyclage soient mieux gérés. Dans ce contexte, des publications sur les réseaux sociaux affirment que cette "nouvelle loi" de l’Union européenne va lui permettre de "saisir" et de mettre "au rebut votre voiture si elle ne répond pas à ses critères". C’est faux. Concernant les propriétaires de voiture, cette proposition de règlement rappelle seulement l'obligation de remettre leur véhicule en fin de vie à une installation de traitement agréée. Les autres obligations concernent les constructeurs et les Etats membres dans un objectif d'amélioration de la collecte, du traitement et du recyclage des VHU, comme l'ont expliqué la Commission européenne et une avocate en droit de l'environnement à l'AFP.

"L’UE travaille sur une nouvelle loi pour saisir et mettre au rebut votre voiture si elle ne répond pas à ses critères. Tout cela fait partie de leur programme climatique." "L’Etat décidera pendant combien de temps vous serez autorisé à posséder votre voiture", affirme une publication sur X - anciennement Twitter - et sur Telegram partagée par Silvano Trotta, dont les allégations ont déjà été vérifiées à plusieurs reprises par l'AFP Factuel.

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Capture d'écran d'une publication sur X, réalisée le 30/11/2023.

Ce message a initialement été publié en anglais par @PeterSweden, Peter Imanuelsen de son vrai nom, qui se présente comme "journaliste" et "commentateur politique" dans sa biographie sur X et qui partage des contenus remettant en cause le réchauffement climatique.

Cette publication a ensuite été reprise sur des blogs, comme Planète 360, relais fréquent de fausses informations.

"L'UE a adopté une directive appelée Directive sur les véhicules hors d’usage, et elle cherche à l’étendre pour qu’elle devienne si draconienne qu'elle rappelle quelque chose qui se serait produit dans l'Union soviétique communiste", poursuit la publication.

Améliorer le recyclage des VHU

Début juillet 2023, la Commission européenne (lien archivé ici) a en effet diffusé une proposition de révision de la réglementation relative aux exigences en matière de circularité applicables à la conception des véhicules et, d'autre part, à la gestion des véhicules hors d’usage (VHU).

La circularité, au sens d'économie circulaire, consiste à produire "des biens et des services de manière durable en limitant la consommation et le gaspillage des ressources et la production des déchets", explique le site du gouvernement (lien archivé ici).

Avec cette proposition, la Commission européenne souhaite remplacer par un règlement unique la directive de 2005 (lien archivé ici) concernant les possibilités de réutilisation, de recyclage et de valorisation des véhicules à moteur et celle de 2000 relative aux VHU (lien archivé ici).

A la différence d'une directive, un règlement est applicable dans les Etats membres directement après son entrée en vigueur, sans passer par une transposition dans le droit national (lien archivé ici).

Selon la Commission, l’objectif est "d’améliorer la conception des véhicules et la gestion des véhicules hors d'usage" en fin de vie, afin de "renforcer la circularité du secteur automobile".

Les mesures proposées devraient permettre de générer 1,8 milliard d’euros de recettes d’ici 2035, pour l’industrie de la gestion et du recyclage des déchets, selon la même source.

Toutefois, contrairement à ce qui est affirmé dans les publications que nous examinons, cette proposition de règlement ne confère pas à l’UE la possibilité de "saisir et mettre au rebut votre voiture si elle ne répond pas à ses critères", ont indiqué à l’AFP la Commission européenne et une avocate en droit de l'environnement.

La proposition de règlement est disponible en accès libre ici (lien archivé ici).

Son objectif vise à "mieux encadrer la manière dont on se débarrasse des véhicules lorsqu’ils sont hors d’usage afin d'améliorer leur collecte, leur traitement et leur recyclage", a expliqué Adalbert Jahnz (lien archivé ici), porte-parole de la Commission européenne, à l'AFP le 29 novembre.

"Mais chaque propriétaire reste décisionnaire de ce qu’il fait de son véhicule. Il n’est pas question pour l’UE de pouvoir saisir un véhicule et le mettre au rebut comme affirmé dans les publications", a-t-il déclaré.

En effet, la proposition de règlement vise principalement à renforcer la "circularité" dans la conception et la production des véhicules, comme l’a également détaillé le 29 novembre à l’AFP, Emma Babin (lien archivé ici), avocate en droit de l'environnement et de l'énergie au sein du Cabinet Gossement Avocats.

"L’UE ne saisira rien du tout. On est sur un texte qui fixe des règles en termes d’intégration de matériaux recyclés, sur le démontage et le désassemblage d'un véhicule pour améliorer sa prise en charge en fin de vie. Ce règlement imposerait donc surtout des obligations aux constructeurs, aux centres de traitement de ces véhicules, et aux Etats membres. Mais pas vraiment aux propriétaires de véhicules. Ce n'est pas le but."

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Des épaves compressées de voitures sur le site de l'entreprise "Surplus recyclage", le 6 octobre 2022 à Gaillac, dans le Tarn. ( AFP / CHARLY TRIBALLEAU)

La proposition (archive)prévoit par exemple d’imposer :

  • que chaque véhicule soit conçu de telle manière à permettre l’atteinte d’un objectif de réutilisation ou de recyclabilité de 85% en masse (article 4)
  • que les centres VHU agréés réalisent la dépollution complète du véhicule (article 29)
  • que les États membres prennent les mesures incitatives nécessaires pour encourager la réutilisation, le remanufacturage et la remise à neuf des pièces et composants (article 33)

Les seules obligations concernant les propriétaires de véhicule sont listées à l’article 26.

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Capture d'écran de l'article 26 de la proposition de règlement, réalisée le 30/11/2023.

Cette obligation pour les détenteurs de VHU de remettre leurs véhicules destinés à la destruction à des centres VHU agréés uniquement, était déjà définie dans la directive européenne 2000/53/CE du 18 septembre 2000 relative aux VHU évoquée plus haut.

Qu'est-ce qu'un véhicule hors d'usage ?

L’article 3 définit qu’un véhicule hors d’usage est un "véhicule qui constitue un déchet au sens de l’article 3, point 1, de la directive 2008/98/CE ou un véhicule qui est irréparable selon les critères de l’annexe I, partie A, points 1 et 2".

Voici ci-dessous la liste précise des critères proposés par la Commission européenne pour déterminer si un véhicule est hors d’usage. Parmi eux le fait que le véhicule soit "en morceaux ou déshabillé", "soudé" ou "complètement brûlé".

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Capture d'écran de l'annexe de la proposition de règlement, réalisée le 30/11/2023.
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Capture d'écran de l'annexe de la proposition de règlement, réalisée le 30/11/2023.

 

 

D’après la publication que nous examinons, l’UE aurait établi un nouvel ensemble de critères "qui déterminera si vous serez autorisé à conserver votre voiture. Si votre voiture ne répond pas aux critères, l’UE la saisira et la mettra au rebut".

Interrogé sur ce point, Adalbert Jahnz de la Commission européenne assure une nouvelle fois que "aucun critères ne seront établis pour 'déterminer si vous êtes autorisé à conserver votre voiture'. C’est au propriétaire d’un véhicule de décider s’il a envie de s’en défaire".

Lutter contre certains abus

Selon lui, les critères listés ci-dessus servent avant tout en cas de revente pour "déterminer s’il s’agit d’un véhicule d’occasion, ou d’un véhicule hors d’usage" car, dans ce cas, "il faut que ces déchets soient gérés de manière responsable, plutôt que de polluer l’environnement et gaspiller de précieuses matières premières".

En effet, le deuxième objectif de cette proposition de règlement est de s’attaquer aux exportations illicites de VHU sous l’étiquette "véhicule d’occasion".

Dans la proposition de règlement, la Commission européenne explique qu'"une quantité importante de 'véhicules disparus' soumis à la directive VHU ne sont pas collectés pour être traités dans de bonnes conditions environnementales et un grand nombre de véhicules d’occasion qui ne répondent pas aux exigences de contrôle technique et qui génèrent de la pollution sont exportés depuis l’Union chaque année".

En 2017, 3,8 millions de véhicules en fin de vie auraient ainsi "disparu du marché légal", selon un rapport de la Commission européenne réalisé en 2021 (lien archivé ici).

"Le but de cette liste de critères est donc d’assister les autorités compétentes à déceler de possibles abus consistant à tenter de vendre des voitures hors d’usage comme voitures d’occasion pour échapper aux règles de gestion de déchets", complète Adalbert Jahnz.

La liste des contrôles et exigences applicables à l’exportation des véhicules d’occasion est détaillée à l’article 38.

Pour la Commission (lien archivé ici), ces nouvelles règles doivent permettre "d’améliorer la sécurité routière dans les pays tiers en empêchant l'exportation de véhicules inaptes à la circulation et en réduisant la pollution nocive et les risques sanitaires dans les pays qui importent des véhicules d'occasion de l'UE".

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Des employés travaillent sur des moteurs extraits de véhicules endommagés dans un atelier de l'entreprise "Surplus Recyclage", le 6 octobre 2022 à Gaillac, dans le Tarn. ( AFP / CHARLY TRIBALLEAU)

Un passeport de circularité

La publication que nous examinons affirme également : "Ils parlent d’introduire un 'passeport circulaire' pour les véhicules. Autrement dit, un passeport pour votre voiture".

Attention, si le règlement propose effectivement la mise en place d’un "passeport circulaire", celui-ci n’a rien à voir avec "un titre de voyage qui permettrait de circuler ou non dans l’UE", précise Adalbert Jahnz.

"Il s’agit d’un passeport de circularité, en référence à l’économie circulaire. Le but étant de s’assurer que les matières premières du véhicule circulent : qu’on les réutilise ou qu’on les recycle mieux."

Détaillé à l’article 13, le passeport de circularité serait un "outil numérique servant à améliorer la fourniture d’informations sur la manière d'extraire et de remplacer en toute sécurité les pièces et composants des véhicules, selon des modalités cohérentes avec d’autres outils et plateformes d’information numériques qui existent déjà ou qui sont en cours de développement dans le secteur automobile".

"Ce n’est qu’un document en plus, attaché au véhicule, et qui sera principalement à destination du centre VHU qui le prendra en charge", ajoute l'avocate Emma Babin.

Selon l’article 13, le passeport de circularité d’un véhicule qui est devenu un véhicule hors d’usage cesse d’ailleurs d’exister "au plus tôt 6 mois après la délivrance du certificat de destruction de ce véhicule hors d’usage".

Enfin, la publication que nous examinons affirme également que "si le coût de réparation de votre voiture dépasse la valeur de votre voiture, l'UE la saisira et la mettra au rebut pour vous" et que "si votre voiture n'a pas passé le contrôle régulier de l'UE pendant deux ans, elle est alors considérée comme un 'déchet' et elle sera mise au rebut".

Toutefois, ces points ne sont pas mentionnés dans la proposition de règlement, comme le confirme le porte-parole de la Commission européenne.

"Ces affirmations sont complètement fausses et ne s’appuient sur aucun élément de la proposition de règlement", affirme Adalbert Jahnz.

Pour rappel, en France, un véhicule doit être détruit lorsqu'il est considéré comme étant une épave, explique le site Cartegriseminute (lien archivé ici).

"C'est le cas lorsqu'il a été sujet à un accident, et qu'après évaluation, il a été jugé comme étant techniquement ou économiquement irréparable, voire dangereux. Les véhicules à détruire font l'objet, soit d'une VEI (Véhicule Economiquement Irréparable), soit d'une VGE (Véhicule Gravement Endommagé). Il est question de VEI lorsque le coût de réparation du véhicule excède sa valeur vénale. Il est mention de VGE lorsque le véhicule est considéré comme dangereux pour la sécurité routière. Autrement dit, il n'est plus adapté à une circulation sur la voie publique", détaille le site.

Processus législatif européen

Cette révision de la réglementation de l'UE sur les VHU n'est pour l'instant qu'une proposition de règlement.

"La proposition a été faite par la Commission européenne. Désormais, le Parlement et le Conseil vont débattre chacun de leur côté, amender puis adopter le texte", détaille Adalbert Jahnz.

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Les principaux corps décisionnels de l'Union européenne

Au Parlement, le texte doit être adopté à la majorité des votants, tandis qu’au Conseil il s’agit d’un vote à la majorité qualifiée.

Dans ce système de vote, 55% des Etats membres doivent exprimer un vote favorable (ce qui correspond à 15 Etats sur 27) et les Etats membres qui soutiennent la proposition doivent représenter au moins 65% de la population de l’UE, est-il précisé sur le site d'information sur les questions européennes Toute l’Europe (lien archivé ici).

Ainsi, il s'agit d'un processus plutôt long et entre les négociations et la validation, plusieurs mois, voire plusieurs années peuvent s'écouler avant que ne soit adopter cette proposition de règlement.

Ces derniers mois, l'AFP a vérifié plusieurs affirmations fausses ou trompeuses au sujet de l'Union européenne, accusée de vouloir imposer des mesures liberticides au détriment de ses pays membres. Ainsi par exemple, à propos de la prétendue suppression par le Parlement européen du "droit de véto" des pays de l'UE, d'un règlement européen qui imposé un passe vaccinal en France.

Vous pouvez retrouvez l'ensemble des articles de vérification de l'AFP consacrés aux enjeux de l'énergie, du climat et de la biodiversité ici.

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