Non, le 17 novembre, la Cour suprême du Sénégal n'avait pas autorisé Ousmane Sonko à se présenter à la présidentielle de 2024

Des internautes ont laissé éclater leur joie sur les réseaux sociaux mi-novembre au Sénégal croyant à tort que l'opposant Ousmane Sonko, incarcéré depuis juillet, avait été autorisé par la Cour suprême à se présenter à l'élection présidentielle de 2024. Une publication de son avocat français, qui s'était rapidement rétracté, avait concouru à propager la rumeur. Mais c'était faux: la Cour suprême avait au contraire annulé le 17 novembre un précédent jugement d'un tribunal d'instance qui le rendait éligible au scrutin. Mais le 14 décembre, un nouveau jugement a finalement relancé l'opposant dans la course présidentielle.
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Capture d'écran d'une publication sur Facebook, réalisée le 28 novembre 2023

Au Sénégal, mais aussi au Mali, au Burkina Faso ou en Côte d'Ivoire, la nouvelle s'était propagée comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux ouest-africains le soir du 17 novembre: "Sénégal: Ousmane Sonko autorisé à participer à la présidentielle. Le juge de la Cour suprême a annulé la radiation de Ousmane Sonko dans la soirée du 17 novembre 2023. Il ordonne la réinscription de l'opposant sur les listes électorales.", avaient avancé des centaines de publications sur X (1,2) et Facebook (1,2,3).

Ce jour-là, la Cour suprême du Sénégal avait pourtant annulé un jugement qui remettait l'opposant emprisonné Ousmane Sonko dans la course à la présidentielle du février 2024 (dépêche archivée ici).

Elle avait cassé une précédente décision du 12 octobre du tribunal d'instance de la ville de Ziguinchor, dont M. Sonko est maire, et qui le réintégrait sur les listes électorales.

Le 17 novembre, le président de la Cour suprême Ali Ciré Ba avait ainsi annoncé que l’affaire serait rejugée prochainement devant un tribunal à Dakar.

La Cour suprême n'avait pas fixé de délai au nouveau jugement, et en l'absence de celui-ci, Ousmane Sonko était toujours radié des listes électorales et ne pouvait donc pas se présenter au scrutin du 25 février 2024.

Mais le 14 décembre, la justice sénégalaise a finalement confirmé la décision rendue en octobre par le tribunal de Ziguinchor, et ordonné sa réinscription sur les listes électorales (dépêche AFP archivée).

Ce dernier jugement remet dans la course l'opposant, qui a désormais jusqu'au 26 décembre pour déposer sa candidature et recueillir ses parrainages.

Difficile de retracer l'origine exacte la fausse information relayée le 17 novembre, mais une publication de l'avocat français de M. Sonko, qui s'était ensuite rétracté, avait certainement concouru à propager la rumeur.

Sur Facebook et X, Juan Branco publiait ainsi: "Ousmane Sonko pourra se présenter à l’élection présidentielle de 2024".

Au même moment, des éditions spéciales étaient aménagées dans des chaînes de télévision et radio locales annonçant qu'Ousmane avait été "rétabli dans ses droits" et était de nouveau éligible à la course au palais présidentiel.

Amadou Barry, présentateur radio au sein du groupe de presse Emedia et correspondant des médias étrangers Russia Today et South Africa Broadcasting Corporation, était lui aussi tombé dans le piège. Rassuré par la diffusion de "l”info" sur toutes les plateformes du groupe de presse qui l’emploie, à son tour, il avait propagé la nouvelle, y compris sur ses propres réseaux sociaux, avant de se confondre ensuite en excuses.

Puis c'était au tour de l'avocat Juan Branco de supprimer sa publication, et de s'excuser dans une nouvelle publication (archivée ici).

"Une opération d'intoxication nous a fait croire, un instant, qu'Ousmane Sonko avait été définitivement réintégré aux listes électorales. Nous avons relayé avant que nos confrères nous préviennent de la manipulation. Il était trop tard et des centaines de personnes l'avaient partagé. Je le regrette et en suis désolé", avait-il écrit.

Contacté par l'AFP le 24 novembre, Me Branco avait imputé sa méprise à des "confrères" et certains médias sénégalais qui auraient fait circuler la fausse information bien avant lui.

Le 17 novembre, rien n’indiquait donc que M. Sonko puisse être candidat à la prochaine présidentielle.

Cette fausse nouvelle avait suscité de très nombreuses réactions sur les réseaux sociaux: les partisans de M. Sonko laissant éclater leur joie dans les commentaires des publications relayant la fausse information.

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Capture d'écran prise sur Facebook le 30 novembre 2023

Ousmane Sonko, 49 ans, jouit d’une grande popularité auprès du public sénégalais: son discours souverainiste et panafricaniste, ses diatribes contre "la mafia d'Etat", les multinationales et l'emprise économique et politique exercée selon lui par l'ancienne puissance coloniale française lui valent une forte adhésion chez les moins de 20 ans qui représentent la moitié de la population. Ses détracteurs voient en lui un agitateur incendiaire.

Le bras de fer de M. Sonko avec l'Etat dans plusieurs affaires politico-judiciaires tient le Sénégal en haleine depuis deux ans et demi.

Entre autres affaires, le 1er juin 2023 le candidat arrivé troisième à la dernière présidentielle de 2019 avait été déclaré coupable de débauche de mineure et condamné à deux ans de prison ferme. Ayant refusé de se présenter à son procès, qu'il dénonçait comme un complot pour l'écarter de l'élection, il avait été condamné par contumace.

Sa condamnation avait provoqué les troubles les plus meurtriers depuis des années au Sénégal. Il avait été écroué fin juillet sous d'autres chefs d'inculpation, dont appel à l'insurrection, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste et atteinte à la sûreté de l'Etat.

Parrainage

M. Sonko avait alors été radié des listes électorales, ce qui l'empêchait en l'état de concourir à la présidentielle. Le gouvernement avait essentiellement argué de sa condamnation par contumace pour justifier sa radiation.

Les avocats de M. Sonko avaient ensuite contesté sa radiation des listes devant le tribunal de Ziguinchor (dans le sud du pays), car c'est là que M. Sonko était inscrit.

Selon eux, leur client ayant été arrêté depuis sa condamnation de juin, il doit être rejugé. Ils affirment que sa condamnation n'est pas définitive et ne peut donc justifier une radiation des listes.

Le 12 octobre, le jugement du tribunal d'instance de Ziguinchor leur donnait raison, en réintégrant Ousmane Sonko sur les listes électorales, ce qui le rendait de fait éligible.

L’État sénégalais s’était alors pourvu en cassation, et il revenait donc à la Cour suprême de trancher (dépêche AFP archivée ici).

"La Cour casse et annule la décision du tribunal de Ziguinchor du 12 octobre et renvoie l'affaire au tribunal hors classe de Dakar" pour qu'elle soit rejugée, avait alors annoncé le président de la Cour suprême Ali Ciré Ba à la lecture du jugement du 17 novembre.

La Cour n'avait pas fixé de délai au nouveau jugement. Mais le 14 décembre, un juge sénégalais a relancé sa candidature à la présidentielle en ordonnant sa réinscription sur les listes électorales.

M. Sonko a désormais jusqu'au 26 décembre pour déposer sa candidature et recueillir ses parrainages.

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Une femme dépose son bulletin de vote pour l'élection présidentielle sénégalaise dans un bureau de vote à Thiès le 24 février 2019. ( AFP / MICHELE CATTANI)

Ousmane Sonko est l’un des principaux opposants au camp présidentiel et dénonce un "complot" pour torpiller sa candidature à la présidentielle, ce que nie le pouvoir.

Le président Macky Sall, élu en 2012 et réélu en 2019, a annoncé en juillet qu'il ne briguerait pas un troisième mandat (dépêche archivée ici). Il a désigné en septembre son Premier ministre Amadou Ba comme candidat de son camp pour la présidentielle du 25 février. Mais ce choix est contesté au sein de la majorité présidentielle.

14 décembre 2023 Actualise avec nouveau jugement du 14 décembre qui autorise finalement M. Sonko à se présenter à la présidentielle Change l'illustration de couverture et précise que M. Sonko n'était pas autorisé à se présenter à la présidentielle le 17 novembre dernier.

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