Non, cette image ne montre pas "de l’acier inoxydable découvert au Niger"
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- Publié le 20 octobre 2023 à 14:53
- Lecture : 7 min
- Par : Boubacar DIALLO, AFP Factual
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"Niger: De l’acier inoxydable à été découvert à Say et Kollo dans l'État de Tillaberi avec plus de 1,2 milliards [sic] de tonnes. Bénis [sic] soit nôtre [sic] terre africaine", peut-on lire sur cette publication Facebook partagée plusieurs dizaines de fois depuis le 15 octobre.
Deux images accompagnent ce message. Sur la première, on peut voir un rocher en gros plan recouvert d’une matière noire brillante avec un marqueur posé dessus. Sur la seconde image, en plan large, on voit plusieurs autres rochers sur un terrain incliné, avec le même feutre.
Le même type d’affirmation a été relayée par d’autres comptes Facebook (1, 2) mais également sur X (ex-Twitter) et TikTok, notamment par un compte soutien des militaires au pouvoir au Niger, au Mali et au Burkina. Celui-ci ajoute au message initial : "Voilà pourquoi le colon faisait tout son possible pour conserver sa domination."
On retrouve également des publications très virales sur cette supposée découverte en langue haoussa, parlée au Niger et dans plusieurs pays d'Afrique de l’Ouest, principalement sur Facebook et YouTube.
Mais ces affirmations sont fausses.
Alliage de métaux
Plusieurs experts contactés par l’AFP expliquent que l'acier n'est pas un minerai mais un alliage de plusieurs métaux.
"Le fer ne se trouve pas à l’état naturel et à plus forte raison l’acier non plus. L’acier est formé à partir d’un mélange de minerai de fer et de coke de charbon, qui est du carbone pur", explique Nicolas Florsch, ingénieur géophysicien et professeur à Sorbonne Université. Les deux matériaux, extraits sous forme d’oxyde pour le fer et de houille pour le charbon, "sont fondus dans un haut fourneau" pour former de l’acier, complète l’expert.
"Pour faire un acier inoxydable, on ajoute du chrome lors de la fusion. C’est ainsi que l’acier devient résistant à la corrosion, en particulier à l'oxydation. C’est pourquoi on dit qu'il est inoxydable. Donc l’acier inoxydable n’existe pas à l’état naturel", ajoute Yannick Callec, responsable de l’Unité cartographie géologique des territoires du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).
Comme expliqué dans l'Encyclopédie canadienne, "le fer est un métal commun qui se trouve dans la croûte terrestre, en combinaison avec d'autres éléments. Le minérai de fer est utilisé lorsque le roc est suffisamment riche pour être extrait de façon économique. Le minerai de fer donne du fer métallique (Fe) lorsqu'il est chauffé en présence d'un agent réducteur comme le coke. Le minerai de fer est habituellement composé d'oxydes et de carbonates de fer".
Une recherche d’image inversée sur internet permet de trouver une première occurrence des photos dans cette publication sur Facebook (archive). Elle date du 30 septembre et vient d’une page intitulée "Géologie Nigérienne 2" qui publie régulièrement des informations en lien avec les potentialités minières du Niger.
On y retrouve quatre images, dont celles reprises par les fausses publications. Quant au texte, il mentionne cette fois des "gisements de fer" et non d’acier inoxydable. Selon "Géologie Nigérienne 2", on retrouve ces réserves dans les plateaux de Say et de Kollo, dans la région de Tillabéri.
Le message s’appuie sur des travaux, successivement réalisés par le BRGM (1960 -1962) puis la société allemande KHO Humboldt (1981- 1983), qui évaluent les réserves de minerai de fer de la zone à environ 1,2 milliard de tonnes.
Ces études sont aujourd’hui introuvables sur internet, mais plusieurs autres rapports y font référence. Par exemple, le dispositif national de mise en œuvre de l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives du Niger (DN/ITIE-Niger), reprend dans son rapport 2020 (lien archivé ici) ces mêmes estimations. Un document (lien archivé ici) sur le site de l’Ambassade du Niger au Mali et intitulé "Etat des connaissances et ressources minières du Niger" confirme les mêmes proportions de réserves de fer. Et nulle part le 1,2 milliard de tonnes de réserves ne sont présentées comme étant de l’acier inoxydable.
De son côté, Yannick Callec, responsable de l’Unité Cartographie Géologique des Territoires du BRGM, confirme ces estimations.
Contacté par l’AFP, l’un des administrateurs de "Géologie Nigérienne 2" s’est dit surpris par la décontextualisation de son propos. "L’acier inoxydable résulte de l’alliage entre le fer, le carbone et le chrome. Dire que de l’acier inoxydable a été découvert, c’est absurde" a-t-il déclaré.
Croûtes d'oxyde de fer
Quant aux publications qui présentent ces images de matière noire comme de l’acier inoxydable, Yannick Callec explique qu'il s’agit plutôt "des croûtes d’oxydes de fer dans des grès et des amas d’oxyde de fer."
"C’est lié à l’altération provoquée par la circulation des eaux de pluie, qui se sont infiltrées en profondeur au cours de plusieurs dizaines voire centaines de milliers d’années. Ce processus fait littéralement dissoudre la roche, d’où les trous au sommet de la première photo. Il reste alors les oxydes de fer qui forment des croûtes de fer et parfois des amas d’oxydes comme sur la seconde photo", détaille le responsable de l’Unité Cartographie Géologique des Territoires du BRGM.
Malgré des réserves considérables, le Niger n’est pour autant pas un pays producteur de fer. Sur les réserves de Say et de Kollo par exemple, une étude (lien archivé ici) réalisée au début des années 1980 concluait qu'il s'agissait de minerais de fer "de qualité médiocre" avec une "faible teneur" en fer.
"Le Niger ne peut espérer une exportation, à l'échelle mondiale, de son minerai de fer", ajoutait ce document, rédigé avec le soutien du Fonds d'aide et de coopération française.
Vague de désinformation
Le renversement du président du Niger Mohamed Bazoum le 26 juillet par des militaires a suscité une large vague de désinformation sur les réseaux sociaux, comme l'a relevé l'AFP (lien archivé ici). Le sous-sol nigérien, très riche, a ainsi fait l'objet de nombreux messages trompeurs ou erronés.
Selon les données de l'ITIE, le secteur extractif dans son ensemble représentait en 2020 au Niger un peu plus de 45% des exportations, pour 7,67% du PIB du pays et 6,52% des revenus de l'Etat nigérien. L'uranium est le principal minerai extrait et vendu, représentant 92% de la valeur de la production minière en 2020, devant le charbon et l'or.
Cible de certains internautes mais aussi des autorités nigériennes, la France a été sommée par ces dernières de se retirer du pays. Le retrait par voie terrestre des 1.400 militaires français engagés au Niger a débuté le 10 octobre.
Le chef du régime militaire, le général Abdourahamane Tiani a déclaré fin septembre que "le peuple nigérien" allait "dicter" les "futures relations avec la France". Le nouveau dirigeant du Niger a également signé avec le Mali et le Burkina une coopération de défense, l'Alliance des Etats du Sahel (AES).
Ces deux pays, également aux mains des militaires, ont eux aussi chassé l’armée française. Ils se sont rapprochés de la Russie, concluant le 13 octobre des accords pour la construction de centrales nucléaires.
