Cet accident impliquant des soldats nigérians n’a aucun lien avec une éventuelle intervention de la Cedeao au Niger

Une vidéo virale sur les réseaux sociaux montre prétendument un accident impliquant les forces armées nigérianes près de la frontière avec le Niger, où un coup d'Etat a renversé le président Mohamed Bazoum le 26 juillet. Les internautes qui la partagent laissent entendre qu'il s'agit de troupes déployées dans le cadre de l'activation de la force en attente de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao), décidée le 10 août dans la perspective d'une éventuelle intervention militaire au Niger pour "rétablir l'ordre contitutionnel". Attention, ces images n'ont aucun rapport avec la crise actuelle au Niger: elles montrent un accident survenu en juin dans le nord-est du Nigeria, où l'armée lutte depuis des années contre l'insurrection jihadiste de Boko Haram.

Sur cet enregistrement d’une minute, on peut voir plusieurs hommes en uniforme étendus au sol, près d'un camion militaire renversé, les quatre roues en l’air. Plusieurs personnes s'activent pour porter secours aux blessés, dont on entend distinctement les cris de souffrance.

La vidéo est relayée sur X (ex-Twitter) avec la description suivante : "un accident très grave des forces de défense nigériane vers la frontière nigérienne. Une preuve que la nature elle-même est contre cette intervention [de la Cedeao, ndlr]. Qu’ils partent se battre contre Boko Haram au lieu d’aller tuer leur propre frère" (lien archivé ici). Ces images circulent également sur Facebook avec des affirmations similaires (1, 2, 3).

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Capture d'écran Facebook réalisée le 17 août 2023

Ces nouvelles allégations s'ajoutent aux nombreuses rumeurs infondées qui circulent sur les réseaux depuis le coup d’Etat du 26 juillet au Niger et que l'AFP a déjà démenties.

Dans la foulée des actions adoptées contre les nouveaux maîtres du pays, les chefs d'état-major des armées ouest-africaines étaient réunis jeudi et vendredi au Ghana pour discuter d'une éventuelle intervention armée, évoquée depuis quelques jours par la Cedeao.

Après l'expiration le 7 août d'un ultimatum exigeant un retour à l'ordre constitutionnel, la Cedeao présidée par le chef de l'Etat nigérian Bola Ahmed Tinubu a ordonné le 10 août à Abuja l'activation d'une "force en attente" (lien archivé) pouvant intervenir au Niger - bien que de nombreuses voix, notamment au sein de l'organisation régionale, prônent plutôt une résolution pacifique de la crise.

Pour certains internautes, la vidéo virale que nous vérifions constitue la preuve de l'imminence de cette intervention armée, dont le président nigérian était l'un des plus fervents promoteurs. Cependant, la vidéo de cet accident est apparue sur les réseaux sociaux plusieurs semaines avant le coup d’Etat au Niger. Une recherche d'image inversée grâce au logiciel InVID/We-Verify nous permet de retrouver les mêmes images publiées sur Facebook le 22 juin 2023 avec cette description en anglais : "BH AMBUSH MONGUNO SOLDIERS GOING TO Maiduguri around GAJIGANA".

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Capture d'écran Facebook réalisée le 17 août 2023

L'auteur évoque ici une embuscade tendue près de Gajigana par "BH", acronyme utilisé au Nigeria pour désigner le groupe jihadiste Boko Haram, à des soldats sur la route entre Monguno et Maiduguri, deux villes de l'Etat du Borno, dans le nord-est du pays, épicentre de l'insurrection qui a fait plus de 40.000 morts et deux millions de déplacés au Nigeria depuis 2009. Le conflit s'est propagé au sud-est du Niger, à l'ouest du Tchad et au nord du Cameroun, et les quatre pays ont mis en place en juillet 2015 une Force multinationale mixte (FMM, en anglais MNJTF) de 8.500 hommes pour combattre ensemble les jihadistes.

Une autre recherche par mots-clés basée sur la description en anglais de la vidéo nous permet de retrouver la même vidéo sur YouTube avec une légende identique, relative à une attaque de Boko Haram (lien archivé ici).

Afin de savoir si cette "embuscade" a été relayée par la presse nigériane, nous effectuons une recherche Google en anglais avec les mots-clés "boko haram ambush Nigeria Gajigana". Aucun média n’évoque une attaque dans les environs de Gajigana fin juin. En privilégiant l’hypothèse d’un accident, nous effectuons une nouvelle recherche, cette fois ci avec les mots-clés "Nigeria army car crash" à la date du 22 juin.

Les résultats nous renvoient à un article de The Guardian, l'un des principaux quotidiens nigérians, qui évoque effectivement un accident et non une embuscade de Boko Haram (lien archivé ici). "Les troupes de l'opération Hadin Kai ont été victimes d’un accident lors d'une patrouille dans l’Etat de Borno au nord (...) Le secteur 3 et le commandement de la force multinationale mixte (MNJTF) ont confirmé que 30 soldats étaient impliqués dans l'accident. Toutefois, aucun des 30 soldats n'a perdu la vie", relate le site du journal.

Sur la vidéo virale, on aperçoit d'ailleurs à 0,37 secondes, inscrite au dos du tee-shirt kaki d’un homme qui tente d'aider les victimes, l’inscription "MNJTF", du nom de la force conjointe déployée pour lutter contre Boko Haram dans la région.

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Capture d'écran YouTube effectuée le 17 août 2023

Dans son article, The Guardian précise que l'information a d'abord été révélée par l'Autorité de télévision du Nigeria (NTA). En nous rendant sur le compte X de cette chaîne gouvernementale, nous retrouvons effectivement un tweet du 22 juin à propos de cet accident (lien archivé ici). Photos à l’appui, la publication cite un haut responsable de la MNJTF qui évoque "un accident de la route impliquant un camion transportant une trentaine de soldats en patrouille depuis Baga, dans le nord de Borno, à Gajiram".

Sur les images postées avec le tweet, nous retrouvons le même camion renversé quesur la vidéo virale, cette fois tracté par un engin militaire venu le remorquer: on reconnaît dans les deux cas les inscriptions peintes en blanc sur la carlingue avant (cercle rouge) et le filet de camouflage suspendu à la benne (rectangle rouge).

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Capture d'écran Facebook réalisée le 17 août 2023
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Capture d'écran X (ex Twitter) réalisée le 17 août 2023

 

 

L’armée nigériane n’a pas répondu aux sollicitations de l'AFP à date de publication de cet article, mais The Chronicle (lien archivé ici), un autre site nigérian, a lui aussi confirmé la thèse d'un accident et démenti les rumeurs qui ont circulé sur les réseaux sociaux nigérians, dans un article intitulé "Troops involved in accident were not ambushed in Borno" ("L'armée impliquée dans un accident, il n'y a pas eu d'embuscade dans le Borno").

Selon les différents médias consultés, l’accident a eu lieu à Gajiram (Etat du Borno), soit à près de 200 km de la frontière avec le Niger, à l'extrême est du pays. En géolocalisant cette commune sur Google Map, on remarque qu’elle est située aux confins du Niger, du Tchad et du Cameroun.

La capitale Niamey étant situé à l'ouest du Niger, et les deux pays partageant plus de 1.500 km de frontière, en cas d'intervention de la Cedeao, il est de toute façon fort peu probable que les troupes nigérianes empruntent cet axe situé à l'extrêmité est, dans une région aussi instable qui constitue le coeur du théâtre d'opérations de Boko Haram.

18 août 2023 Ajoute lien archivé au deuxième paragraphe

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