Cet appel à des sanctions américaines contre l’Algérie date de septembre 2022

L’Algérie est devenue la "nouvelle cible des Américains", affirme une publication apparue sur Facebook le 24 juin, selon laquelle Washington aurait décidé de sanctionner le pays d'Afrique du nord en raison de ses liens économiques avec la Russie. Attention, les intervenants de la vidéo qui accompagne ce message trompeur font référence à des appels à sanctions formulés en septembre 2022 par certains élus américains. Ils dénonçaient alors l'achat d'armes russes par Alger, équivalant selon eux à un soutien financier en faveur de Moscou, sur fond de guerre en Ukraine. Mais ces appels n’ont pas abouti, et aucune sanction n’a été adoptée à ce jour contre l’Algérie.

"L’Algérie est la nouvelle cible des américains : le parlement américain décide de sanctionner l’Algérie à cause de son alliance avec la Russie" : peut-on lire en légende de la vidéo qui cumule 550.000 vues, 6.500 commentaires et 3.500 partages. On peut y voir deux hommes débattre en anglais sur un plateau de télévision. Dans leurs échanges ponctués par les interventions de spécialistes et responsables politiques américains, ils évoquent des courriers émanant d’élus qui appellent le secrétaire d’Etat Antony Blinken à prendre des sanctions contre l’Algérie "en raison de ses accords d’armement avec la Russie".

Cet appel aux sanctions vient "aussi bien d’élus démocrates que républicains" très critiques du fait que "l’Algérie achète en abondance et dans une grande proportion des armes russes", précisent-ils. Les intervenants reconnaissent que "Blinken n’a aucune obligation de donner suite aux requêtes des élus [qui lui ont adressé les courriers]". Cependant, ils estiment que le secrétaire d’Etat "pourrait pencher en faveur de sanctions sur la base de la situation en Ukraine", en référence à l’invasion de ce pays par la Russie. Les deux hommes en plateau mentionnent à plusieurs reprises l’acronyme CAATSA (Countering America's Adversaries Through Sanctions Act, en français, loi pour "contrer les adversaires de l'Amérique à travers les sanctions") comme fondement de possibles sanctions contre l’Algérie.

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Capture d'écran Facebook réalisée le 11 juillet 2023

Le Congrès américain a-t-il décidé de sanctionner l’Algérie ? Avant de répondre à cette question, nous avons voulu vérifier si la vidéo partagée sur le sujet était authentique. Une recherche par image inversée grâce à l’outil InVid-WeVerify ne nous a pas permis de retrouver l’origine de la vidéo, mais nous avons en revanche pu identifier les deux hommes à l’écran. Le présentateur à gauche, qui mène le débat et pose les questions, est Adam Ereli, ancien ambassadeur et porte-parole du Département d’Etat américain. Son invité à droite est Mark Pfeifle, qui fut l’un des conseiller à la sécurité nationale du président George W. Bush de 2007 à 2009.

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Adam Ereli sur une capture d'écran Facebook réalisée le 11 juillet 2023
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Mark Pfeifle sur une capture d'écran Facebook réalisée le 11 juillet 2023

 

 

D’autres indices sur la vidéo nous permettent aussi d’identifier la chaîne de télévision qui a diffusé ce programme. L’émission a été enregistrée depuis Washington (1), elle est consacrée à une lettre de "27 députés demandent des sanctions contre Alger" (2), et on retrouve le logo de la chaîne marocaine MEDI 1 TV (3) ainsi que le titre du programme, "Avec Le Maroc depuis Washington", en bas de l’écran (4).

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Capture d'écran Facebook réalisée le 11 juillet 2023 ( SUY Kahofi)

Grâce à ces éléments, nous avons cherché sur Google les phrases suivantes: "Avec Le Maroc depuis Washington sanction contre l'Algérie" et "Avec Le Maroc depuis Washington Adam Ereli Mark Pfeifle". Les résultats suggérés nous ont permis de retrouver l’intégralité de l’émission d’où est tiré l’extrait partagé sur Facebook. La vidéo ne date pas de juin 2023, mais plutôt d’octobre 2022 et n’évoque à aucun moment des sanctions effectivement prises par le Congrès américain contre l’Algérie.

A 2 mn 35 secondes du replay de l’émission diffusée par la chaîne marocaine MEDI 1 TV, nous avons retrouvé l’extrait viral sur Facebook. L’émission, d’une durée totale de plus de 26 minutes, revient sur un courrier adressé à Antony Blinken par "27 députés américains qui demandent des sanctions contre l’Algérie".

Le 29 septembre 2022, un groupe de parlementaires républicains et démocrates emmené par la républicaine Lisa McClain a en effet réclamé des sanctions contre l’Algérie après d'importants achats d’armes russes, qui constituent selon eux une violation de la loi CAATSA.

Cet appel des 27 élus faisait suite à un autre, adressé à Antony Blinken par le sénateur Marco Rubio, le 14 septembre 2022. L’élu de Floride (républicain) demandait lui aussi que l’administration du président Joe Biden (démocrate) applique le train de sanctions prévues par la CAATSA à l’Algérie.

Pressions du Congrès américain

"La Russie est le plus grand fournisseur militaire de l’Algérie. L’Algérie figure également parmi les quatre premiers acheteurs d’armes russes dans le monde, avec comme point culminant un contrat d’armement de sept milliards de dollars en 2021. L’afflux d’argent vers la Russie, quelle que soit sa source, ne fera que renforcer la machine de guerre russe en Ukraine", écrivait notamment le sénateur.

Marco Rubio encourageait l’administration Biden à prendre au sérieux la menace que "la Russie continue de représenter pour la stabilité mondiale", rappelant à Antony Blinken que son administration n’avait pas encore utilisé les instruments répressifs dont elle dispose. Une manière à peine voilée d’inviter le Secrétaire d’État à déclencher les sanctions prévues par la CAATSA.

Le groupe des 27 membres du Congrès s'est montré plus explicite en invitant ouvertement le gouvernement américain à des sanctions. "Nous vous demandons de commencer à appliquer immédiatement des sanctions significatives à l'encontre des membres du gouvernement algérien impliqués dans l'achat d'armes russes. Les États-Unis doivent envoyer un message clair au monde que le soutien à Vladimir Poutine et les efforts de guerre barbares de son régime ne seront pas tolérés", lit-on dans la lettre adressée à M. Blinken.

Tous rappellent également qu’en 2021, l’Algérie a finalisé un contrat d’armement de plus de 7 milliards de dollars avec la Russie, qui comprenait l’achat "d’avions de chasse russes Sukhoi 57, jamais vendus auparavant".

Ces appels, comme le rappellent les analystes sur le plateau de MEDI 1 TV,reflètent uniquement le point de vue des députés signataires. La loi CAATSA prévoit des sanctions automatiques dès lors qu'un pays conclut une "transaction significative" avec le secteur de l'armement russe. Mais son application relève en dernier ressort de l’administration américaine.

La loi CAATSA est une loi fédérale américaine qui impose des sanctions économiques dites "secondaires" à des pays ou des individus - y compris des entités étrangères - qui feraient des transactions avec les pays ou entités visés par les sanctions dites "primaires" - ici la Russie - et présentés comme une menace pour les Etats Unis.

Ce texte est entré en vigueur le 2 août 2017 sous la présidence de Donald Trump, avec l’objectif de contrer les menaces et possibles agressions contre le gouvernement américain par des puissances étrangères. Le Congrès américain a adopté cette loi dans un contexte marqué par les accusations d’ingérence de la Russie dans l’élection présidentielle américaine et ses interventions militaires en Ukraine.

En septembre 2018, la Chine a été le premier pays à tomber sous les sanctions de la CAATSA, pour avoir acheté des armes russes. Le Département d’Etat américain avait alors précisé que "les sanctions ne sont pas imposées pour réduire la capacité militaire des pays" mais pour punir "la Russie pour son interventionnisme dans les élections américaines, son comportement inacceptable en Ukraine et autres activités malignes".

Sanctions aléatoires

Les sanctions financières sont devenues un outil essentiel de la politique étrangère des États-Unis et un moyen de pression sur les gouvernements comme les acteurs privés. Ces dernières années, d’autres alliés de la Russie se sont retrouvés dans le collimateur de Washington. La Turquie, pourtant membre de l’OTAN, a été sanctionnée en 2020 par les Etats Unis pour avoir fait l’acquisition du système de défense aérienne russe S-400.

L’Algérie est classée quatrième client de la Russie en matière d’achat d’arme selon les données de l'Institut de Recherche International de Stockholm sur la Paix (Sipri) relatives aux ventes et achats d’armes en 2022. Sur la période 2018-2022, selon ces estimations, elle arrivait ainsi juste derrière l’Égypte (9,3%), la Chine (23%) et l’Inde (31%), ce qui représentait 8,2% du total des exportations d'armes russes.

"L’Algérie a depuis longtemps acquis une variété d’armes auprès de la Russie pour toutes les branches de ses forces armées. Entr e 2018 et 2022, le SIPRI a identifié les armes les plus importantes que l’Algérie a reçues de la Russie comme étant 12 hélicoptères de combat Mi-28N, 8 avions de combat MiG-29M (6 autres en commande), 2 sous-marins projet-636E, 6 avions de combat SU-30MK (16 autres en commande) et 100 véhicules blindés d'appui au front BMPT Terminator", détaille pour l'AFP Pieter Wezeman, chercheur principal au Sipri. Le chercheur précise que "l’Algérie et la Russie sont toutes deux assez discrètes en ce qui concerne le commerce d’armes entre elles, et des rapports non encore confirmés font état de transactions récentes concernant, par exemple, des chars T-90".

Si la Chine et la Turquie sont sanctionnées pour des achats d’armes russes, pourquoi pas l’Algérie ? L'adoption de sanctions semble être aléatoire et guidée par les intérêts géopolitiques et stratégiques du moment. A titre d’exemple, l’Inde n’a jamais fait l’objet de sanctions au titre de la CAATSA parce que considérée comme un allié des Américains en dépit de ses liens avec la Russie. Les sanctions CAATSA contre la Turquie se sont avérées plutôt symboliques au terme d'une longue saga. Plus récemment, le nouveau ministre chinois de la Défense a fait l’objet de sanctions que Pékin souhaite voir levées pour pouvoir entamer un dialogue avec le secrétaire américain à la Défense.

L’Algérie reste un partenaire privilégié dans la lutte contre le terrorisme au Sahel et réussit jusque-là un délicat jeu d’équilibriste dans ses rapports avec les Occidentaux comme avec la Russie. Le pays achète aussi des armes aux Etats Unis et négocie l’achat d’avions de combat à certains pays Européen, indique Pieter Wezeman.

Le défilé régulier de responsables américains à Alger témoigne également de la bonne santé des relations entre les deux pays: une délégation interministérielle en juin 2023, le chef du Commandement des Etats-Unis pour l'Afrique (Africom) reçu par le président algérien Abdelmadjid Tebboune en février 2023 ou encore la visite du Coordinateur pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord au Conseil de sécurité nationale des Etats-Unis en décembre 2022.

Malgré les pressions exercées par un certain nombre de membres du Congrès, l’administration américaine conserve donc un pouvoir discrétionnaire pour adopter ou non des sanctions contre l'Algérie et pour le moment, elle n'a visiblement pas jugé opportun de le faire.

25 juillet 2023 revoici l'image de tête avec un bandeau "trompeur" orange et non rouge

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