Ces images ne montrent pas l'agression d'un ministre mais d'un chanteur sénégalais à Paris
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 03 juillet 2023 à 19:35
- Lecture : 8 min
- Par : Monique NGO MAYAG, AFP Sénégal
Copyright AFP 2017-2024. Toute réutilisation commerciale du contenu est sujet à un abonnement. Cliquez ici pour en savoir plus.
La séquence de près de trois minutes montre un homme en tunique bleue attaqué en pleine rue par une poignée d’hommes et de femmes en colère. On voit ses agresseurs le rouer de coup au sol jusqu'à ce que plusieurs personnes s'interposent pour lui permettre de se relever, les mains ensanglantées et visiblement sonné.
A mesure qu’il s'éloigne, ses agresseurs continuent de l'accabler : "comment il peut oser donner les coups en premier ?", dit l’un d’eux. Puis d’autres crient tour à tour : "Macky Sall, criminel", "tueur de Sénégalais", "assassin de Sénégalais","il assassine les Sénégalais".
La vidéo a été publiée de nombreuses fois sur Facebook (1,2,3 , 4…) et Twitter. A chaque fois décrite comme montrant "un ministre sénégalais tabassé à Paris par la brigade anti 3ème mandat", elle a notamment été rendue virale par une page Facebook au nom d’un parti d’opposition ivoirienne, Pdci-rda grand centre, où elle cumule plus de 28.000 partages depuis le 23 juin.
Le Sénégal sous haute tension
Cette vidéo circule alors que de vives tensions agitent le Sénégal ces dernières semaines. Le pays francophone d'Afrique de l'Ouest a été le théâtre, début juin, de violentes protestations populaires après la condamnation du principal opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison pour une affaire de mœurs (dépêche archivée ici) qui le rend inéligible.
Ces violences ont fait au moins 16 morts selon les autorités, 24 morts selon Amnesty International et une trentaine selon l'opposition.
Après avoir laissé plâner le doute pendant des mois, le président Macky Sall, lui, doit mettre fin au suspense sur son intention de se présenter à l’élection présidentielle de février 2024 pour un 3ème mandat, en dépit des dispositions de la Constitution qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels consécutifs. Ses partisans le présentent comme leur candidat en 2024, arguant que la révision a remis les compteurs à zéro.
Sous l’une des publications virales sur Facebook au Sénégal, un internaute croit savoir que la victime de l'agression n'est pas un membre du gouvernement sénégalais, mais Demba Ndiaye Ndillaan, un chanteur sénégalais connu localement pour quelques titres à la gloire de l’actuel président.
"FAUX, il n'est pas ministre.C'est plutôt un artiste musicien, chanteur sénégalais, son nom est Demba Ndiaye Ndillaan" commente-t-il.
Nous avons saisi ce nom dans le moteur de recherche de YouTube et avons retrouvé des clip vidéo de l’artiste Demba Ndiaye Ndillaan, qui présente effectivement une forte ressemblance avec l'homme agressé sur les images qui circulent actuellement sur les réseaux sociaux.
Contacté par l'AFP, il a confirmé être celui qu’on voit sur la vidéo virale et assure qu’elle ne montre qu’une partie de son agression.
Sympathisant du pouvoir
Demba Ndiaye Ndillaan relate qu’il sortait de la résidence de l’ambassadeur du Sénégal à Paris, où, comme musicien, il devait participer à l’accueil de Macky Sall le 21 juin. Le lendemain, le 22 juin, le président sénégalais devait assister aux côtés de nombreux autres chefs d'Etat au "sommet pour un nouveau pacte financier" (dépêche archivée ici) qui se tenait dans la capitale française.
En raison du fort attroupement ce jour-là, le chanteur n’a finalement pas pu accéder à l'enceinte diplomatique où il devait réaliser sa "prestation musicale", dans le très chic 16ème arrondissement de Paris. Il a donc rebroussé chemin vers la station de métro Passy, sur la ligne 6, et a alors aperçu une foule qui criait "à-bas Macky Sall!" "A mort, Macky Sall!"
Il aurait ensuite été directement pris à partie, cible d'insultes et d'invectives "contre tous ceux qui soutiennent Macky". Selon Demba Ndiaye Ndillaan, ses agresseurs lui ont aspergé un "liquide toxique" sur les yeux qui l’a obligé à consulter un ophtalmologue et se faire ensuite consulter pour les coups et blessures subis.
La bagarre a commencé dit-il, lorsqu’un jeune homme "a posé ses deux mains violemment" sur sa poitrine pour l’étrangler. "Je me suis défendu. La vidéo que vous voyez, elle n’est pas entière. Ils ont peut-être coupé le début", affirme l’artiste, persuadé qu’il a été pris dans un guet-apens savamment orchestré.
L’’agression de Demba Ndiaye Ndillaan, qui dit avoir porté plainte, s’est précisément déroulée rue Marietta Alboni, à Paris.
Pour le savoir, nous avons recherché sur Google, les coordonnées de la résidence de l’ambassadeur du Sénégal à Paris - 23 Rue Vineuse, 75016 - qui correspond au lieu de départ de l’artiste; puis celles de la station de métro Passy, sa destination.
Nous avons ensuite inséré ces deux adresses dans l’outil de recherche Google street View (lien archivé ici) et avons ainsi identifié l’axe qui mène de l'une à l'autre.
Au niveau du 8 rue Marietta Alboni (géolocalisation archivé ici) dans le moteur de recherche, certains indices visuels correspondent à ceux recensés sur la vidéo virale: le lampadaire urbain au bout de la rue, les pointes de deux dômes visibles au loin.
D'autres éléments de la vidéo virale sont visibles sur la même rue géolocalisée sur Google Maps : la grande porte noire près de fenêtres jumelles et une poubelle verte. L'architecture des batiments est identique sur les deux images.
Demba Ndiaye Ndillaan, qui est de mère mauritanienne et de père sénégalais, croit avoir été molesté par "la brigade anti 3è mandat". "Ce sont des gens du Pastef-Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité, Ndlr-", le parti de l’opposant Sonko, affirme-t-il à l’AFP.
Sonko "séquestré"
Cet artiste est connu comme un partisan de Macky Sall. Il a par exemple enregistré une chanson, en 2018, qui de son propre aveu, "magnifie les grands travaux réalisés par le Président Macky Sall et son gouvernement dans le cadre du PSE (Plan Sénégal Émergent)."
Il précise ne pas être membre du parti au pouvoir, l’Alliance pour la République (APR) mais se décrit comme un fervent admirateur du président sénégalais, élu en 2012 et réélu en 2019.
L’opinion sénégalaise attend désormais avec fébrilité le discours de Macky Sall pour savoir s'il va briguer un troisième mandat ou se retirer de la course.
Ousmane Sonko, de son côté, a appelé dimanche les Sénégalais à "sortir massivement" les prochains jours pour "affronter le régime de Macky Sall et dire que ce ne sera pas à lui de choisir les candidats qui devront s’affronter pour la prochaine élection présidentielle".
L'opposant n'a cessé de crier au complot du pouvoir pour l'écarter de la présidentielle, ce que le pouvoir réfute. Il est bloqué par les forces de sécurité chez lui à Dakar, "séquestré" selon lui, depuis le 28 mai.
Pour protester contre cette situationn des partisans de l'opposition ont également attaqué, début juin, des représentations diplomatiques du Sénégal à Paris, Bordeaux, Milan et New-York entraînant leur fermeture temporaire.