
L’Afrique du Sud reste membre de la CPI et tenue au respect de ses engagements internationaux
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 03 mai 2023 à 12:45
- Mis à jour le 03 mai 2023 à 12:45
- Lecture : 6 min
- Par : Monique NGO MAYAG, AFP Afrique du Sud
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"Afrique du Sud : le parti au pouvoir demande que Pretoria quitte la CPI", affirme un internaute dans un post publié sur Facebook (archivé ici). L'information est abondamment relayée par plusieurs pages et comptes d'Afrique francophone (1,2,3...).
Dans les commentaires, certains estiment que c’est une "sage décision" qui mettrait Johannesburg à l’abri d’une sanction de la Cour pénale internationale (CPI) si le pays accueillait Vladimir Poutine, sous le coup d’un mandat d’arrêt (dépêche AFP archivée ici) émis le 17 mars.
L’Afrique du Sud s’apprête à abriter en août le 15ème sommet des pays émergents, les Brics, regroupant le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine, et l'Afrique du Sud. Membre de la CPI, l’Afrique du Sud est théoriquement censée arrêter le président russe s'il entrait sur son territoire. La CPI installée à La Haye a émis en mars un mandat d'arrêt contre Vladimir Poutine pour le crime de guerre de "déportation" d'enfants ukrainiens dans le cadre de l'offensive de Moscou en Ukraine.
L’Afrique du Sud reste membre de la CPI
Le président sud-africain Cyril Ramaphosa a certes annoncé (dépêche archivée ici) le 25 avril que son parti, le Congrès national africain (ANC), avait "tranché, estimant prudent" que le pays, critiqué depuis le début de la guerre en Ukraine pour sa proximité avec Moscou, "se retire de la CPI", mais son cabinet avait vite corrigé cette "erreur de communication".
"La présidence souhaite clarifier le fait que l'Afrique du Sud reste signataire du Statut de Rome (...) Cette clarification fait suite à un commentaire erroné lors d'une conférence de presse de l'ANC", avait-elle annoncé dans la soirée, soit quelques heures après les déclarations fracassantes de M. Ramaphosa.
L’Afrique du Sud ne se retire donc pas de la CPI et même si cela arrivait, le processus de sortie de cette institution prendrait au moins un an. De fait, si M. Poutine foulait le sol sud-africain en août prochain, le pays resterait soumis aux obligations qui incombent aux membres de l'institution.
En effet, le statut de Rome de la CPI (archivé ici) stipule en son article 127, paragraphe 1, qu’après la demande de retrait d’un Etat signataire, notifiée au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, "le retrait prend effet un an après la date à laquelle la notification a été reçue, à moins que celle-ci ne prévoie une date postérieure".

La procédure implique "un processus parlementaire rigoureux, nous serions toujours liés par nos obligations à la CPI pendant 12 mois après la communication de notre retrait", a souligné auprès de l'AFP Nicole Fritz, directrice de la Fondation Helen Suzman, qui milite pour la défense des droits humains.
De plus, le traité de la Cour mentionne que le retrait d’un Etat-partie "n'affecte pas non plus la coopération établie avec la Cour à l'occasion des enquêtes et procédures pénales à l'égard desquelles l'État avait le devoir de coopérer et qui ont été commencées avant la date à laquelle le retrait a pris effet".
La question de savoir si l'Afrique du Sud arrêtera Vladimir Poutine est "à l'étude", avait aussi affirmé (dépêche archivée ici) le chef d'Etat sud-africain le 25 avril, alors que le parti au pouvoir peine visiblement à parler d'une seule voix. Un peu plus tôt, le secrétaire général de l'ANC Fikile Mbalula avait lui assuré que le président russe "peut venir à tout moment dans ce pays". "La CPI ne sert pas les intérêts de tous, mais ceux de quelques-uns", avait-il ajouté lors d'une conférence de presse.
L’Afrique du Sud dans l’embarras
Le gouvernement sud-africain est visiblement embarrassé à l'approche du sommet des Brics, et des médias locaux (article archivé ici), ont fait état de discussions en cours au plus haut niveau sur la conduite à tenir par rapport à une éventuelle venue de M. Poutine.
Le chercheur Sascha-Dominik Bachmann, professeur de droit à l'université de Canberra (Australie), dont la tribune (archivée ici) a été publiée fin mars sur le site The Conversation évoque un "dilemme de taille" pour Pretoria.
D'un côté, le gouvernement de Ramaphosa cherche à "éviter les tensions" avec la Russie qu'entrainerait immanquablement l'exécution du mandat d'arrêt international. De l'autre, estime-t-il, "accueillir Poutine (...) ferait perdre au pays sa crédibilité internationale. Un effet probable est que l'Afrique du Sud pourrait perdre des conditions commerciales préférentielles. Par exemple, il pourrait compromettre son traitement des exportations vers les États-Unis".
Puissance diplomatique africaine, l'Afrique du Sud refuse de condamner Moscou depuis le début de la guerre en Ukraine, affirmant adopter une position neutre pour être en mesure de "jouer un rôle dans la résolution des conflits", selon Cyril Ramaphosa, qui dit s'être entretenu à plusieurs reprises avec M. Poutine.
Le pays a par ailleurs accueilli en février des exercices navals avec la Russie et la Chine au large de ses côtes, suscitant l'"inquiétude" de la scène internationale. Les liens entre l'Afrique du Sud et la Russie remontent à l'époque de l'apartheid, le Kremlin ayant apporté son soutien à l'ANC dans la lutte contre le régime raciste.
Précédent soudanais
La question du retrait de la CPI s'est déjà posée par le passé. Pretoria avait voulu quitter la Cour en 2016 après une visite de l'ancien président soudanais Omar el-Béchir. Les autorités avaient refusé de procéder à l'arrestation de ce dernier, également visé par un mandat d'arrêt international.
Mais le retrait de Pretoria avait été contrecarré par la justice du pays, qui avait estimé qu'une telle décision serait inconstitutionnelle.
Le fait de ne pas arrêter Poutine sur son sol reviendrait pour Pretoria à violer sa propre législation, confirme le juriste Sascha-Dominik Bachmann: "si Poutine assistait au prochain sommet des BRICS et que le gouvernement de Ramaphosa ne l'arrêtait pas, cela signifierait que l'Afrique du Sud bafoue la législation nationale ainsi que sa propre constitution. L'article 165 (5) de la constitution du pays stipule clairement que le gouvernement est lié par les ordonnances et les décisions des tribunaux."
Ainsi, "lorsque l'administration Zuma a refusé d'arrêter el-Béchir (...) la Cour suprême d'appel d'Afrique du Sud a conclu qu'elle avait violé à la fois le droit international et le droit national.", note Sascha-Dominik Bachmann.
La présence supposée de Vladimir Poutine au prochain sommet des Brics a fait l’objet de fausses informations précédemment vérifiées par l’AFP, des internautes affirmant qu'il avait récemment foulé le sol de l'Afrique du Sud malgré le mandat d'arrêt qui pèse sur ses épaules (archivées ici et ici) .