Les forces maliennes paradent face au gouvernement de transition à Kati, le 20 janvier 2022 ( AFP / FLORENT VERGNES)

Le "surarmement du Mali" dénoncé par les Etats-Unis ? Décryptage d'une confusion sur les réseaux sociaux

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 03 avril 2023 à 15:12
  • Lecture : 9 min
  • Par : Marin LEFEVRE
Des publications cumulant plus de 2.000 partages depuis le 6 mars sur Facebook affirment que les Etats-Unis auraient dénoncé le "surarmement du Mali", dans un contexte de nouvelle guerre d’influence entre Washington et Moscou sur le continent africain. L’administration américaine a en effet alerté au sujet du "risque accru" auquel s’exposent les avions civils dans l’espace aérien malien, en raison de l’introduction de systèmes de défense aérienne "sophistiqués". Mais il s’agit d’une alerte et non d’une interdiction de vol, et la diplomatie américaine n’a pas à ce jour dénoncé de "surarmement" du pays. Pour autant, les Etats-Unis se sont inquiétés à plusieurs reprises ces derniers mois de l'influence jugée néfaste de la présence militaire russe au Mali et dans d'autres pays de la région.

"Les USA dénonce le 'surarmement du Mali' suite à sa coopération avec la Russie [sic]", affirment de nombreux internautes sur Facebook depuis le 6 mars, illustrant leurs publications de diverses photos de missiles, de tanks et de soldats. Cette rumeur a été partagée plus de 2.000 fois à date de publication de cet article.

Image
Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 27 mars 2023

Ces allégations ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux deux semaines après la publication d'une note de la Federal Aviation Administration (FAA), l'agence américaine supervisant l'aviation civile aux Etats-Unis, évoquant un "risque accru" pour les appareils desservant ou survolant le Mali "à toutes les altitudes".

"Le Mali est le théâtre de combats, d'activités extrémistes, d'une détérioration de l'Etat de droit, d'une présence militaire étrangère de plus en plus importante, et de l'introduction d'un système de défense aérienne sophistiqué", a expliqué la FAA dans ce message publié le 23 février. Des déclarations qui ont fait fortement réagir sur les réseaux sociaux au Mali (1, 2, 3...).

La FAA mentionne en particulier l'installation par le groupe paramilitaire russe Wagner, dirigé par Evguéni Prigojine et très actif sur le continent, de batteries de SA-22 "Pantsir", capables d'atteindre une cible distante de 36 km à une altitude de 15 km. Les avions commerciaux en vol de croisière évoluent à quelque 12 km d'altitude.

Image
Capture d'écran d'une Notam de la Federal Aviation Administration, réalisée le 28 mars 2023

L'administration américaine intime à tous les appareils civils américains amenés à évoluer dans l'espace aérien malien à "faire preuve de prudence", sans interdire à date de publication de cet article le survol ou l'atterrissage au Mali.

Peut-on pour autant déduire que les Etats-Unis ont condamné le "surarmement du Mali", comme l'affirment les publications virales ? La publication de la FAA, qui revient en détails sur le contexte sécuritaire au Mali, ne dénonce en tout cas à aucun moment un armement excessif du gouvernement malien.

Washington, qui témoigne d'un regain d'intérêt pour l'Afrique subsaharienne - illustré par les récentes tournées du secrétaire d'Etat Antony Blinken et de la vice-présidente Kamala Harris -, a néanmoins exprimé à plusieurs reprises sa préoccupation face à l'implication croissante de puissances rivales comme la Russie et la Chine qui courtisent le continent.

Inquiétudes liées à Wagner

Les autorités de la transition maliennes "se sont distancées de l'assistance étrangère et/ou des pressions politiques occidentales, intensifiant sa coopération sécuritaire avec Wagner", affirme notamment la FAA dans sa note.

C'est l'armement du groupe paramilitaire russe qui semble surtout préoccuper l'administration américaine. Bien que les batteries de SA-22 "Pantsir" soient "probablement installées pour contrer l'usage potentiel de systèmes aériens sans pilote" par les groupes armés contre lesquels Wagner intervient, la FAA rappelle "les antécédents douteux de Wagner en terme de tirs de défense aérienne".

Et de rappeler qu'en Libye, où Wagner avait déployé ces mêmes systèmes de défense antiaériens, le groupe russe "était probablement responsable de plusieurs incidents et avait mal identifié les autres opérations en cours dans la zone aérienne de Tripoli".

"L'expansion des opérations de Wagner au Mali pourrait entraîner le déploiement d'autres armes antiaériennes, qui à son tour pourrait induire des risques potentiels supplémentaires pour l'aviation civile", résume la FAA.

L'administration américaine mentionne également comme sujet de préoccupation les armes - plus légères - en la possession des différents groupes jihadistes actifs au Mali. En juillet 2022, l'Etat Islamique dans le Grand Sahara (EIGS) avait affirmé avoir éliminé un drone appartenant à Wagner, comme l'avait signalé à l'époque sur Twitter le journaliste de France 24 spécialiste des questions jihadistes Wassim Nasr.

Les armes détenues pas ces groupes, notamment les mortiers, roquettes et les systèmes portatifs de défense antiaérienne (Manpads) "pourraient prendre pour cible des avions à basse altitude notamment durant les atterrissages et les décollages, ou viser les appareils au sol et les aéroports", ajoute la FAA dans sa note.

Au-delà de l'aviation civile américaine, la diplomatie américaine a manifesté ces derniers mois son inquiétude au sujet de la présence russe sur le sol sahélien. Contacté par l'AFP le 23 mars, le département d'Etat américain regrette que "le Mali (soit) devenu de plus en plus isolationniste à l'égard de ses partenaires occidentaux, notamment en matière de sécurité". Il estime que "la présence de Wagner au Mali, couplée au retrait et au redéploiement des troupes françaises et européennes, a fragilisé une situation sécuritaire déjà délicate dans la région" et que la "déstabilisation" qu'elle engendre "inquiète les nations africaines".

Le ministère justifie également son inquiétude au sujet des armes antiaériennes, déjà évoquées par la FAA, en soulignant que hormis l'armée de l'air malienne, les seuls appareils volant au Mali sont des avions civils ou appartenant aux forces de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du pays (Minusma).

"Le département d'Etat et le gouvernement des Etats-Unis - en étroite coordination avec nos partenaires - poursuivent leurs opérations visant à contrer les activités illicites du groupe Wagner au niveau transnational, notamment en imposant des sanctions aux entités liées au réseau de Evguéni Prigojine", ajoute-t-on à Washington.

Les Etats-Unis estiment en effet que les pays africains où Wagner, soutenu par le Kremlin, opère - Centrafrique, Libye et Mali même si Bamako s'en défend - "se retrouvent plus faibles, plus pauvres, plus précaires et moins indépendants".

"Partout où Wagner se rend, de mauvaises choses tendent à arriver", avait déjà affirmé le secrétaire d'Etat Antony Bliken le 17 mars lors de sa visite à Niamey. "Là où nous l'avons vu agir, il n'a pas renforcé la sécurité, au contraire, nous avons finalement vu les choses s'empirer, l'exploitation des ressources et la corruption. La violence que ce groupe engendre est une épidémie qui se répand parmi les populations et les pays qui ont choisi de travailler avec lui."

Image
Le secrétaire d'Etat américain Anthony Blinken lors d'une conférence de presse jointe avec le ministre des Affaires étrangères nigérien, Hassoumi Massoudou, au palais présidentiel de Niamey (Niger) le 16 mars 2023 ( POOL / BOUREIMA HAMA)

Le 10 janvier, l'ambassadeur adjoint des États-Unis auprès des Nations Unies Richard M. Mills s'était fait l'écho de ces préoccupations, accusant le groupe de paramilitaires d'"augmenter la probabilité que l'extrémisme violent se développe" dans les pays concernés.

Des experts mandatés par l'ONU ont réclamé fin janvier une enquête "indépendante immédiate" sur les éventuels "crimes de guerre et crimes contre l'humanité" commis par les forces gouvernementales et les mercenaires du groupe Wagner au Mali.

Depuis 2021, des experts indépendants mandatés par le Conseil des droits de l'homme ont reçu "des récits persistants et alarmants d'exécutions horribles, de charniers, d'actes de torture, de viols et de violences sexuelles, de pillages, de détentions arbitraires et de disparitions forcées perpétrés par les forces armées maliennes et leurs alliés dans la région de Mopti et ailleurs, dans le contexte des hostilités en cours", avaient-ils déclaré dans un communiqué.

En novembre 2022, la junte malienne avait réfuté les conclusions d'un rapport de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) qui déjà accusait l'armée d'abus contre les civils, d'alliance avec des mercenaires de Wagner et de ségrégations contre la communauté peule.

Regain d'intérêt américain pour le Sahel

Ces prises de positions et récentes visites de hauts responsables américains - non seulement Antony Blinken, mais également la vice-présidente des Etats-Unis Kamala Harris en tournée au Ghana, en Tanzanie et en Zambie à date de publication de cet article - témoignent d'un "regain d'intérêt" américain pour les affaires sahéliennes, décrypte pour l'AFP le 29 mars Andrew Lebovich, chercheur au think tank néerlandais Clingendael Institute et expert des enjeux politiques et sécuritaires au Sahel.

L'expansion des activités du groupe d'Evguéni Prigojine dans la région "a poussé de nombreux membres du gouvernement à prendre conscience du besoin d'une politique de soutien (aux Etats africains, ndlr) plus cohérente", poursuit ce spécialiste. Le gouvernement américain est en train de redéfinir son approche face aux enjeux sécuritaires et économiques dans la sous-région et surtout "à quelle intensité il doit s'engager pour contrer la Chine, la Russie et Wagner en particulier - mais pas exclusivement".

La présence de ces deux concurrents se manifeste notamment dans les ventes d'armes à destination de la sous-région. Entre 2018 et 2022, Moscou a ainsi supplanté Pékin pour devenir le premier fournisseur d'armes en Afrique subsaharienne, note le Stockholm International Peace Research Institute (Sipri) dans une étude publiée en mars.

Pour asseoir leur influence dans les pays du continent, la Chine et la Russie multiplient également les grands projets d'infrastructures en Afrique. Pékin est ainsi devenu l'un des principaux bailleurs de fonds à travers le financement de lignes ferroviaires ou d'équipement civils. De son côté Moscou s'est vu octroyer de nombreux permis pour exploiter les ressources minières comme l'or au Soudan ou en Centrafrique.

L'intérêt accru des Etats-Unis pour le Sahel passe notamment par la recherche de partenaires fiables dans la région, au premier rang desquels le Niger. La visite du secrétaire d'Etat Antony Blinken à Niamey mi-mars témoigne d'un renforcement de la relation avec ce pays, interlocuteur privilégié des Occidentaux dans une région où plusieurs Etats ont récemment pris leurs distances avec la France, ancienne puissance coloniale.

"Les Etats-Unis ont ainsi très clairement affirmé que le Niger est leur partenaire privilégié auquel ils comptent fournir du soutien supplémentaire - militaire, mais pas seulement, bien qu'un accent très fort soit mis sur les aspects sécuritaires", analyse Andrew Lebovich.

"Washington est présent militairement de manière modeste dans des pays comme Djibouti, le Kenya et en particulier le Niger, où les drones et les moyens de renseignement américains ont joué un rôle important dans les opérations antiterroristes régionales" précise Paul Stronski, chercheur pour le groupe de réflexion Carnegie Endowment for International Peace, dans un article publié fin février.

Recherche d'une nouvelle stratégie

Pour autant, les Etats-Unis se montrent globalement "peu enclins à accroître leur présence militaire sur le continent", tempère ce chercheur.

Dans sa stratégie de sécurité nationale publiée en octobre 2022, Washington affirme s'engager à "soutenir les efforts menés par les pays africains à trouver des solutions à des conflits coûteux, à l'augmentation de l'activité terroriste et aux crises humanitaires".

Plusieurs axes sont énumérés dans ce document afin de mieux combattre le "terrorisme", tels que la lutte contre la corruption, l'investissement dans le développement économique et dans les droits humains.

Néanmoins, ces différentes pistes "ressemblent davantage à une longue liste de priorités qu'à un plan d'action concret", estimait en novembre 2022 le chercheur Alexander Thurston, du think tank américain Quincy Institute dans un article publié sur le site de cet institut.

Pour lui comme pour d'autres spécialistes de la région, "les Etats-Unis accordent une importance excessive à la lutte contre la Russie au Mali et au Sahel". Ce qui leur fait courir le risque d'une "guerre de propagande inutile et coûteuse" ainsi que celui d'accroître la défiance des populations africaines "qui ne souscrivent pas à l'idée que leur continent est, ou devrait être, une région de 'concurrence entre les grandes puissances".

Toutefois, les Etats-Unis doivent continuer à dénoncer les agissements de Wagner et montrer que le groupe ne peut résoudre les défis sécuritaires auxquels il prétend s'attaquer, estime Michelle Gavin, spécialiste des politiques africaines au sein du think tank américain Council on Foreign Relations, dans un article publié le 2 mars.

Mais cela doit s'accompagner d'une "approche multilatérale pour le développement et la démocratisation du Sahel", reprend Alexander Thurston, du Quincy Institute.

Une telle stratégie, abonde Paul Stronski, du Carnegie Endowment for International Peace, permettrait de répondre aux "vraies causes de l'instabilité au niveau régional - la mauvaise gouvernance, la souffrance des populations, l'impact dévastateur du changement climatique et la présence de groupes jihadistes armés".

Vous souhaitez que l'AFP vérifie une information?

Nous contacter