Cette vidéo ne montre pas le meurtre d'un ressortissant ivoirien en Tunisie mais une agression à Saint-Etienne

La vidéo d’un jeune homme battu à mort circule sur les réseaux sociaux ouest-africains, notamment sur Whatsapp, et montre prétendumment l’assassinat du président d’une association de ressortissants ivoiriens en Tunisie. De nombreuses rumeurs ont émergé sur fonds de violences racistes visant les ressortissants des pays d’Afrique subsaharienne en Tunisie, après des déclarations incendiaires du président Kais Saied contre les migrants fin février. Mais la vidéo virale est ancienne et montre en réalité l’agression mortelle d’un Gambien en France en 2021.

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Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 14 mars 2023

Sur la séquence d'1 minute 30, on voit un jeune homme noir assailli par une dizaine d’hommes blancs qui le rouent de coups. La victime tente vainement d'échapper à ses bourreaux et finit par s'effondrer, en sang, sur une esplanade surplombant un escalier, à quelques mètres du sol.

"Tunisie, le meurtre du Président de l'association des ivoiriens résidant dans ce pays," croit savoir l’auteur du message abondamment relayé début mars sur les réseaux sociaux de pays ouest-africains comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal ou le Mali. Il a été amplifié par le tweet d’un influenceur et militant panafricain, connu sous le pseudo Egountchi Behanzin.

"Falikou Koulibaly, 33 ans, a été victime d’une agression meurtrière alors qu’il rentrait chez lui, dans la zone de la Soukra (banlieue nord de Tunis), en compagnie d’un ami. Il a ensuite été mortellement poignardé à deux reprises", a -t-il écrit le 7 mars dans une publication partagée plus de 1.200 fois sur Twitter.

Ces affirmations interviennent dans un contexte tendu en Tunisie, alors que les récentes déclarations du président Saied contre les migrants illégaux subsahariens ont entraîné des agressions racistes dans ce pays d'Afrique du Nord.

Un drame survenu en France en 2021

Le 21 février, celui-ci avait affirmé que la présence en Tunisie de "hordes" d'immigrés clandestins provenant d'Afrique subsaharienne était source de "violence et de crimes" et relevait d'une "entreprise criminelle" visant à "changer la composition démographique" du pays.

Des propos dénoncés par des ONG et condamnés par l’Union africaine qui a exhorté ses Etats membres à "s'abstenir de tout discours haineux à caractère raciste, susceptible de nuire aux personnes".

Mais la vidéo qui circule n’a rien à voir avec la Tunisie.

Nous avons effectué une recherche d’image inversée à partir de la vidéo virale avec l’outil InvidWeVerify et avons retrouvé quelques-unes des scènes qu'elle contient, associées à un tweet datant de mai 2021. Lequel évoque un incident dramatique survenu en France. "Youssoupha ne pourra pas donner son amour à sa fille et sa fille ne connaîtra pas l'amour d'un père," écrit l’auteur de ce tweet en y joignant la capture d'écran d'un article qui mentionne le hashtag #JusticePourYoussoupha.

Une recherche avec cet hashtag permet de retrouver d'autre tweets accompagnés de la vidéo qui fait l'objet de notre recherche, notamment le tweet d’un média français qui annonce la mise sous écrou de "trois personnesaprès le meurtre d'un #Gambien de 26 ans" à Saint-Etienne.

Une autre recherche Google en reprenant les mots clés qui précèdent conduit à une dépêche détaillée de l’AFP sur cette affaire, publiée le 29 mai 2021.

La victime, père d'une fillette de deux mois, a été agressé dans un quartier résidentiel pour un «motif futile» par des individus «apparemment sous l'effet de l'alcool», et a reçu quatre coups de couteau dans le ventre, selon l'AFP qui cite une source policière. Trois suspects ont été mis en examen pour "meurtre avec armes en réunion".

Une autre recherche Google avec les mots "Où a été tué un Gambien à saint Etienne" mène à un article du Bondy Blog qui évoque un "hommage à Yusufa" au "quartier de la Métare, le parvis de l’immeuble au 7b rue Colette". L’article est illustré par la photo d’un escalier qui ressemble à celui de la vidéo qui circule.

Avec l'outil de géolocalisation Google Maps, nous constatons que l'adresse évoquée dans l'article de blog correspond au site qui apparaît dans la vidéo virale. On y retrouve les mêmes garde-fous en fer (flèches jaunes), un espace de pierres blanches incrustées au sol (carré rouge) qui jouxte un escalier visiblement réaménagé quelques temps après la photo publiée sur Google Maps en 2019. Sa rampe a néanmoins la même forme (cercles rouges).

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Capture d'écran de la vidéo virale réalisée le 13 mars 2023
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Capture d'écran Google Maps réalisée le 13 mars 2023

 

 

Amalgame avec un drame ancien

Par ailleurs, certains internautes dont l'influenceur Egountchi Behanzin semblent faire l'amalgame avec un drame survenu en 2018 en Tunisie. Cette année-là, le président de l'Association des Ivoiriens de Tunisie (AIT), Falikou Coulibaly, avait effectivement été poignardé à mort dans une attaque qualifiée de "raciste" par sa communauté.

Contacté par l'AFP, le secrétaire général de l’association AIT a par ailleurs affirmé qu'aucun Ivoirien n'avait été récemment tué à sa connaissance. "Non, non, ce qui se raconte actuellement n'est pas vrai. Pour le moment, il n’y a pas eu mort d’homme parmi les ressortissants ivoiriens en Tunisie", a déclaré Ferdinand Tohbi. Des déclaration corroborées par Jean Bedel Gnabli, président de l'Association des ivoiriens actifs en Tunisie (ASSIVAT), un autre regroupement de la diaspora.

En revanche, ajoute Ferdinand Tohbi, "nous sommes menacés de mort. Je reçois des appels anonymes. Ce sont des réalités. On prend nos dispositions pour être en sécurité". D'ailleurs, ajoute-t-il, le président de leur association (AIT) est rentré en Côte d’Ivoire "lorsque la situation a commencé à se dégrader après les propos du président tunisien."

Les déclarations incendiaires de Kais Saied ont semé un vent de panique parmi les migrants subsahariens en Tunisie, qui font depuis état d'une recrudescence des agressions les visant. Originaires de Guinée, du Mali ou de Côte d'Ivoire, ils se sont précipités par dizaines vers leurs ambassades pour être rapatriés.

Selon le gouvernement ivoirien, 1.300 ressortissants ont été recensés en Tunisie pour un retour volontaire. Un chiffre significatif pour cette communauté qui, avec environ 7.000 personnes, est la plus importante d'Afrique subsaharienne en Tunisie, à la faveur d'une exemption de visa à l'arrivée. .

Les premiers vols de rapatriement ont eu lieu le 4 mars, près de 300 Maliens et Ivoiriens ont rejoint leurs pays.

Ce jour-là, quatorze personnes, dont un membre du Parlement sénégalais, ont en outre été arrêtées devant l'ambassade de Tunisie à Dakar, pour "participation à une manifestation interdite". Ils ont été libérés le lendemain.

Le 8 mars, le président Kais Saied s'est défendu de tout racisme à l'égard des Africains subsahariens après le tollé suscité par son discours contre les migrants clandestins dans son pays.

La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et Amnesty international ont condamné des "propos racistes", et exhorté les autorités tunisiennes à des enquêtes indépendantes sur les attaques visant ces migrants. La Banque mondiale (BM) a annoncé suspendre "jusqu'à nouvel ordre" son cadre de partenariat avec la Tunisie.

Selon des chiffres officiels cités par l'ONG Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, la Tunisie, qui compte quelque 12 millions d'habitants, abrite plus de 21.000 ressortissants de pays d'Afrique subsaharienne, en majeure partie en situation irrégulière.

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